Jacques Chirac, version NCIS
"En tout Président, il y a un tueur qui sommeille. Le chemin de l'Elysée est barré de tant d'embûches, d'épreuves et de pièges qu'il requiert force et résistance d'une densité peu commune. Mais la victoire suppose en outre l'élimination des concurrents et le souvenir de ces meurtres politiques laisse à leur auteur le goût inoubliable du sang. Le pouvoir fournit ensuite les moyens d'assouvir, de temps à autre, la tentation de récidiver. Parfois, la vindicte seule commande l'élimination d'un adversaire. Il arrive que s'y ajoute la crainte d'avoir à le retrouver sur sa route" écrit Hervé Gattegno dans "l'Irresponsable, une présidence française 1995-2007". Jacques Chirac, véritable bête politique, est-il allé plus loin que l'élimination seulement politique de ceux qui barraient sa route, là est tout le problème en effet. Car il n'y a pas que Robert Boulin qui a croisé cette bête féroce en politique sur son chemin. Quatre autres personnes au moins, trop curieuses, se sont approchées un peu trop près de ce qu'elles n'auraient pas dû voir. Et toutes sont mortes mystérieusement. Quelle étrange coïncidence n'est-ce-pas ! Rappel des faits, tous "abracadabrantesques", ou comment un ex-président aurait pu se retrouver scénariste d'épisodes de la série NCIS au lieu de se rendre à un procès sans gloire pour des emplois fictifs...
L'affaire Boulin, c'est une chose relativement connue, sur laquelle je vais rapidement revenir avant de rester un peu plus longtemps sur les quatre autres cas, eux aussi à ce jour non résolus. Car en plus du ministre de Raymond Barre sous Valéry Giscard d'Estaing, Joseph Fontanet, Jean de Broglie et Charles Bignon, ont tous disparu dans des circonstances troublantes. Des personnages à qui on peut ajouter Jean-Pascal Couraud, celui qui avait eu le tort semble-t-il de flairer de trop près les affaires d'un grand ami de Jacques Chirac : Gaston Flosse, détenteur de secrets à préserver. Si les premiers cités après Boulin ne semblent pas avoir eu maille à partir avec Jacques Chirac, ce n'est pas le cas des deux derniers.
A noter tout de suite que lors de l'assassinat de Robert Boulin (impossible de croire au suicide il me semble, au vu des révélations qui se sont succédées depuis *), de nombreuses personnalités encore en exercice ont été amenées à figurer au long de l'enquête. Ainsi le nouveau responsable de l'Intérieur, à l'époque simple grouillot de ministère : "En 1979, les téléphones portables n'existaient pas", précise Mediapart, "ce qui obligeait les membres des cabinets à assurer des permanences dans les locaux de leurs ministères. A l'Intérieur, Place Beauveau, cette nuit du 29 au 30 octobre, c'était le tour d'un conseiller technique, enarque issu de la promotionThomas More, Claude Guéant. C'est naturellement au futur secrétaire général de l'Elysée qu'incomba de faire réveiller son ministre Christian Bonnet. Tout aussi naturellement, M. Guéant n'a pu ignorer ni le déroulement des manipulations intervenues entre la découverte initiale du cadavre de Boulin et son repêchage dans l 'l'étang rompu, 7 h plus tard, ni qui en étaient les principaux acteurs". Ah, voilà que l'on avait oublié cette dimension, depuis... l'actuel ministre de l'intérieur était donc aux premières loges ! Que ce monde est petit !
Le précurseur de la série de cadavres politiques en France est bien entendu Jean de Broglie (prononcez "debreuil"). "Prince de son état, ce personnage roulait sa bosse dans la politique depuis 1946. Propriétaire d’un château et de milliers d’hectares de terre, décoré moult fois, cousin de la femme du président en place, Valérie Giscard d’Estaing, et ami intime du ministre de l’intérieur Michel Poniatowski. En 1976, Broglie est âgé de 55 ans. C’est un personnage important. On ne s’attend certes pas à le voir finir comme un quelconque truand avec trois balles dans la tête, étendu sur un trottoir parisien…" écrit fort à propos Le Monde. Une mort d'autant plus étrange que " toute la hiérarchie policière était au courant des menaces qui pesaient sur Jean de Broglie, et il faisait l’objet d’une surveillance rapprochée" affirmera un des témoins de l'enquête. Selon cette dernière, rondement menée, Jean de Broglie aurait été la victime d'une sombre histoire de remboursement de prêt pour l’achat d’un restaurant, La reine Pédauque, à Paris. En fait, Jean de Broglie était celui qui avait financé la campagne électorale de Giscard, selon l'inspecteur Simoné, qui sera condamné à dix ans de prison pour complicité de meurtre... L'emprunt pour la campagne électorale était estimé à 20 millions de dollars ! Pour y arriver "Broglie dépose les statuts d’une dizaine de sociétés (Sodetex, Brelic international, Publifinance, etc.) en France et dans des paradis fiscaux « […] Officiellement, l’activité principale était l’import-export de métiers à tisser… », nous dit Simoné". En fait, lors de l'enquête, on va découvrir avec quoi De Broglie arrondissait ses fins de mois : le trafic d'armes. C'est ce qu'avouera sans hésiter un indicateur de la police : "Leyris [...] avance des hypothèses, déclare Roux. L'une d'elles est qu'une commission portant sur une somme de cent vingt millions de francs (douze milliards de centimes), liée à un trafic d'armes entre le Moyen-Orient et l'Espagne, n'a pas été versée." Leyris avait averti la hiérarchie policière des menaces de mort qui planaient sur De Broglie. Peine perdue : visiblement, "on" s'était séparé des services (pourtant avantageux !) du prince De Broglie. Grillé, découvert, repéré, le prince avait été sans doute abandonné par ses propres soutiens (Giscard l'avait lâché dès 1973). Ou éliminé pour priver le parti de Giscard de subsides... "En 1976, aucun membre du gouvernement de l'époque n'assista à ses obsèques" conclut le Nouvel Obs.
De Broglie, mort quasi ruiné, avait de fait inventé toutes les ficelles tordues qui traineront longtemps encore dans la vie politique française. En 1974, Giscard sera élu, grâce à l'argent récolté, et De Broglie tué le 24 décembre 1976, quatre mois après que Chirac ne claque la porte avec fracas du bureau de Giscard d'Estaing. En 1981 ce dernier sera défait, les partisans de Chirac ayant appelé secrètement à voter... Mitterrand ! La vengeance est un plat qui met longtemps à chauffer en politique... Chez les adversaires de Chirac, les Républicains Indépendants de Giscard ont été entre temps "verrouillés" par les envoyés de Pasqua, tels Hubert Bassot (un pro-OAS, c'est lui qui engagera Madelin comme nervis venu d'Occident) ou Gérard Ecorcheville, le beau frère de... Gérard Longuet, et le fondateur du GUD (ou l'on trouve déjà aussi Hervé Novelli !). Leur but est de surveiller étroitement le candidat des RI à la mairie de Paris ; Michel d'Ornano, proposé et soutenu par Giscard, qui sera au final battu lors de l'élection à la Mairie tant convoitée ; le 25 mars 1977. Pendant ce temps, on n'a pas pour autant retrouvé ceux qui avaient tiré sur De Broglie : avait-il été indélicat avec quelques mafieux qu'il aurait délesté ? C'est aujourd'hui l'hypothèse la plus probable : le prince naviguait dans des eaux sombres ; il semble bien, pour gérer ses biens et son château de l'Eure "de 365 fenêtres et un hectare de toiture". Et dans ce cas, la politique pure n'y serait strictement pour rien, à part si l'hypothèse des commissions sur les ventes d'armes avait émergé davantage, ce qui n'a pas pu être vérifié plus profondément. Car De Broglie était en fait très symptomatique de l'époque, où les partis politiques se finançaient de façon totalement opaque.
Après Boulin et de Broglie, le troisième cadavre s'appelle Joseph Fontanet, MRP de la première heure, catholique pratiquant, ancien militant à la JEC, du genre plutôt discret, à la vie sans aucune frasque et sans grand relief non plus, à vrai dire. L'homme disparait donc subitement à la surprise générale, révolvérisé le 2 février 1980, et donc quelques mois à peine après Boulin. Son assassinat, aujourd'hui encore est une totale énigme, lui aussi. Fontanet était une des figures probes du gaullisme : lui aussi voulait s'en prendre au SAC, qu'il souhaitait dissoudre, carrément. Cela n'explique pas pour autant totalement sa brutale disparition. S'était-il plutôt occupé du trésor de guerre de Chaban-Delmas pour sa candidature présidentielle de 1974 ? Rappelons qu'en 1974 Chirac choisira de soutenir Giscard dans l'espoir d'être son premier ministre... au détriment de Chaban, contre qui il sortira son "appel des 43". L'histoire du "trésor de guerre" de campagne de Chaban n'a jamais non plus été élucidé : leur rivalité était devenue de notoriété publique, et Chaban évincé ne retrouvera jamais son magot : à la tête du RPR, créé sur les bases de l'UDR, c'est désormais Jacques Chirac le chef. Chaban, lors de sa nomination comme premier ministre, l'avait appelé "le forban" ou le "bandit de grand chemin". D'autres penseront de même plus tard.
Un ou des forbans ? A ce moment là, le SAC, honni de Fontanet, se procurait encore de l'argent en attaquant l'Hôtel des Postes de Strasbourg, par exemple, pris d'assaut par des truands infiltrés par les hommes de Charly, dit-on. Pour un montant record : 11 680 000 de francs (7 120 000 €), voilà qui permet de voir loin ! Cela, ou les trésors d'Afrique, savamment choyés par Foccart. Beaucoup de gaullistes s'étaient enrôlés derrière lui, notamment l'homme-clé de l'affaire Boulin. Le soir même de la mort du ministre, en effet, des personnalités avaient été vues en compagnie du principal acccusateur du ministre, l'homme par qui le scandale de la maison de campagne de Boulin à Ramatuelle était arrivé, Henri Tournet : "Quand nous sommes arrivés, Charles Bignon et moi même, nous avons trouvé Robert Boulin en compagnie de deux Ministres en exercice, de deux policiers de très haut niveau et de Robert Fontanet. Ils discutaient de Tournet. Les deux Ministres sont repartis presque aussitôt et Boulin est venu nous dire : « J’ai convoqué Tournet dans une demi-heure, un peu plus bas, au Carrefour des Voleurs. J’attends quatre divisionnaires. On va prendre Tournet et l’expédier en Espagne » affirmera Hermann Stromberg, gendre de l’infortunée Mme Rachez, la propriétaire du Casino de Saint Amand les Eaux" (**) .Tournet, travaillait en effet lui aussi pour Jacques Koch, alias Jacques Foccart, "monsieur Françafrique" dans son entreprise d'import-export, la Safiex. C'est là tout le nœud du problème : l'Afrique, déjà, à l'époque, était l'endroit de tous les trafics. Et Omar Bongo déjà aussi un très "grand ami de la France" (***).
La Safiex, une société dont on ne sait que peu de choses..., et d'où émerge à peine le nom de son second dirigeant Gilbert Beaujolin. "Dernier croisement de deux parcours parallèles : Gilbert Beaujolin et Jacques Foccart ont-ils pu travailler ensemble ? Et en premier lieu, la Safiex avait-elle des marchés en Afrique ? Renaud de Rochebrune pense que la Safiex était une entreprise tournée vers les Antilles, étant donné l'ascendance et les réseaux familiaux de Jacques Foccart. Pourtant, Pierre Péan, dans Affaires africaines, affirmait que le groupe Beaujolin et la Safiex servaient au financement occulte des « réseaux Foccart ». Attaqué en justice par Gilbert Beaujolin, il fut condamné en 1984 conjointement avec les éditions Fayard. La Safiex et le groupe Beaujolin auraient-ils pu servir à lever des fonds pour le financement du parti gaulliste ? Autre question à laquelle il est impossible de répondre". On le voit, Boulin était au milieu d'un nœud d'intrigues fort diverses, dans lesquelles le financement occulte des partis politiques occupait une place centrale. Foccart et son équipe de nervis gaullistes, prêts au putsch au cas où... "Le financement de ce “recours” putschiste provient d’un nombre important de grandes entreprises françaises et étrangères : Rhône-Poulenc, Esso-Standard, le Crédit Lyonnais, Simca, Dassault, pour n’en citer que quelques unes. Jacques Foccart et d’autres acolytes du général ont mis en place une constellation de sociétés d’import-export, telles que la Safiex, dont la fonction est de fournir une couverture “commerciale” à l’activité des agents de renseignement gaullistes, d’alimenter les caisses noires de l’organisation et de financer les campagnes électorales des candidats gaullistes".
Dans l'affaire Boulin, l'homme par qui le scandale est arrivé, a été trop souvent négligé par la presse : "Tournet n'est donc nullement le traîne savate qu'on prétend. Chef de cabinet de Jean Monnet à Washington, resté très proche de Jacques Chaban-Delmas, il évolue entre Ursula Andress et le marchand de tableaux Fernand Legros. Il met au service des services de renseignement français ses innombrables relations aux USA, en Suisse, à Hong-Kong où il a également des intérêts. Il est clair que son intimité avec Jacques Foccart sera mise à contribution pour le financement des fameux " réseaux africains " et du S. A.C dont on sait à peu près aujourd'hui comment ils fonctionnaient financièrement : d'une part, pour l'intérieur, grâce à de fausses traites émises par des sociétés fantôme et faussement garanties par des firmes très solides, d'autre part, pour l'extérieur, grâce, entre autres, à un trafic d'or entre la Suisse et l'Inde via le Golfe Persique". Voilà qui éclaire autrement les relations qu'aurait pu avoir Boulin avec son principal accusateur, indique Florence Mothe dans son dossier. Dans ce cas, le discret Fontanet pourrait aussi avoir disparu pour avoir été mêlé indirectement à l'affaire Boulin, mais de quelle façon ? Pour avoir côtoyé Tournet et sa collecte d'argent africain ? Personne pour l'instant n'a compris son assassinat, au point qu'on a même imaginé comme explication une bête erreur sur la personne de la part de petits truands !
Des truands chez les gaullistes ? allons allons, je vous entends déjà d'ici railler la thèse. Et pourtant : "à peine constitué, le SAC se lance dans une campagne d’infiltration et d’assassinat contre le FLN. Pour ses “sales coups”, Pasqua et les chefs du SAC recrutent dans les prisons, notamment parmi les truands incarcérés pour des attaques à main armée. Comme à l’époque du RPF, les gaullistes travaillent à travers de nombreuses entreprises (la Barracuda, la Frimotex etc.), qui, tout en ayant une existence légale, sont entre les mains de membres ou d’anciens membres des services secrets et s’engagent dans un trafic d’armes particulièrement lucratif - de chars, de mitrailleuses, de munitions et d’explosifs - en direction de l’Afrique Noire, des pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Dans toutes les basses œuvres de la France en Afrique - coups d’État, assassinats, corruption, détournement de fonds, élimination d’opposants - les hommes du SAC sont de la partie, autour de Jacques Foccart, surnommé le “Monsieur Afrique” du camp gaulliste". Foccart, Pasqua : toujours les mêmes, encore... et encore des armes, comme pour De Broglie.

Un gaullisme dont le chef est un militaire, ce qu'il ne faut jamais oublier, et ses nervis, toujours prêts à servir "le" Général, quoiqu'il demande. Une organisation quasi-mafieuse, qui nous ramène donc nécessairement à la drogue ou au trafic d'armes... "Le SAC était une organisation paramilitaire spécialisée dans l’assassinat, le chantage, la corruption, le trafic d’armes et de drogue, le blanchiment d’argent “sale”, bref, la criminalité sous toutes ses formes, et par ailleurs dévouée corps et âme au Général de Gaulle. Son existence remonte au lendemain du coup d’État de 1958 et de la Cinquième République. Cependant, les réseaux qui en formaient le noyau existaient dès la fin de la deuxième guerre mondiale dans le cadre du “Service d’Ordre” du RPF, le parti gaulliste de l’époque. Partisan d’un régime fort, “au dessus des partis”, puisque fondé essentiellement sur l’appareil répressif de l’armée et de la police, de Gaulle avait mis en place, sous la couverture légale du RPF, une organisation paramilitaire de quelque 16 000 hommes recrutés dans les milieux criminels - ainsi en était-il du proxénète Jules Orsini - et dans les réseaux de l’extrême-droite et des anciens collaborateurs de l’occupation hitlérienne, comme Simon Sabiani et Gérard Gerekens" précise l'auteur. Bigre, des truands et des tueurs au sein du principal parti politique français ? Cela expliquerait certaines... étranges "disparitions". Parfois bien tardives, même... comme ce "fameux" 20 septembre 1979. Le journaliste Frédéric Laurent étant le premier en 1978 à soulever le lièvre des contacts entre barbouzes, dont celles d'Aginter Press,"des demi-soldes de l'OAS recyclés dans la barbouzerie et le banditisme (****)".
Charles Bignon lui aussi est mort dans le secteur de la forêt de Rambouillet, là où a été retrouvé le corps de Robert Boulin. Dans des circonstances presqu' aussi surprenantes. Il disparaît à peine 5 mois à peine après le ministre de Raymond Barre. Il "meurt le 29 mars 1980, à 1 h 45 du matin. Sa voiture, arrêtée tous feux éteints sur la voie lente de l'autoroute A 10, près de Rambouillet, est percutée par un camion danois. La voiture est carbonisée, le corps est à l'intérieur. Pour étayer la thèse de l'assassinat de Charles Bignon, Fabienne Boulin-Burgeat (la fille de Robert Boulin) s'appuie sur une note blanche des Renseignements généraux datée du 28 mai 1982. Cette note « met sérieusement en doute la thèse de l'accident du député, écrit l'auteur. Curieusement, elle figure au dossier judiciaire de mon père ; tout aussi curieusement, elle n'a jamais été exploitée. » Or qu'avait eu le tort de dire Bignon quelques mois auparavant ? Ceci : "lors d'un vote interne au conseil national du RPR, le 20 juin 1979. "Avec quelques autres, dont Charles Bignon, Boulin avait obtenu de Chirac que le vote soit annulé et que Pasqua soit évincé du Conseil national, rappelle l'auteur. Conseil qu'il réintégra huit jours à peine après la mort du ministre du Travail." En résumé, Bignon ET Boulin avaient réussi à éliminer Pasqua du circuit politique et de la hiérarchie du RPR, ou sa présence pesait chaque jour un peu plus davantage ! Les deux députés craignaient que le parti ne dérive mafieux, connaissant l'oiseau corse, capable de mensonges pendables avec un aplomb incroyable, comme les vidéos de l'époque le montrent encore avec éclat. Que savaient exactement Bignon et Boulin des trafics divers de Charles Pasqua, qu'avaient-ils découvert, on ne le saura sans doute jamais. Mais il est à noter que les deux qui ont osé le défier l'ont payé du même tarif fatal. Le fils de Charles Bignon, Jérôme, reprendra le flambeau gaulliste et deviendra à son décès maire de Bermesnil, poste repris en 2001 par le second fils, Jean-Paul. Mais personne dans la famille Brignon n'osera remettre en doute la cause officielle du décès de Charles. Gaullisme oblige, diront certains.
Pourtant, selon Mme Charbonnel, veuve du ministre, "La version du suicide (de Robert Boulin) ne colle pas et les coupables possibles (...) ont agi à ce moment pour des raisons purement politiques et qui allaient plus loin que les simples affaires immobilières", affirme Mme Charbonnel, évoquant "un règlement de compte politique". Revoilà la phrase de Gattegno qui ouvre ce chapitre. La bête politique qui sommeille en Jacques Chirac aurait-elle confié à un éxécuteur de basses œuvres d'évincer celui qui lui ferait perdre la direction même du RPR ? Robert Boulin était pressenti par Giscard pour devenir premier ministre. Barrant la route alors à Jacques Chirac et à sa carrière politique. Boulin, membre successivement du l'UNR, de l'UDR puis du RPR était le gros poisson pêché par les giscardiens : en devenant le successeur probable de Raymond Barre, il aurait acquis une aura qui aurait fait trop d'ombre à Chirac. Comme celui-ci avait grillé sa première cartouche avec Giscard, il ne lui en restait plus beaucoup pour briguer le leadership du mouvement, à part la Mairie de Paris comme solution refuge. Un Boulin qui surtout en savait trop, question gestion du RPR selon les méthodes prodiguées par Pasqua, comme beaucoup l'ont déjà dit en effet : "selon Laetitia Sanguinetti, la fille d'Alexandre Sanguinetti, qui lui avait déclaré, quinze jours après la mort de Boulin, qu'il s'agissait d'un « assassinat », l'affaire de l'achat de la garrigue à Ramatuelle avait été montée de toutes pièces pour décrédibiliser Boulin, qui aurait eu connaissance d'un réseau de financement occulte des partis politiques, en particulier – mais pas seulement – du RPR. De même, Michel Jobert a affirmé au journaliste Jean Mauriac, proche de la famille Boulin, que le ministre du Travail en savait trop sur le financement du RPR, notamment via Saddam Hussein, mais aussi Omar Bongo. Olivier Guichard a aussi confirmé la thèse de l'assassinat à Jean Mauriac" nous apprend Wikipedia. Bigre, cela fait beaucoup de monde. Robert Boulin aurait été l'objet de menaces de mort dont l'origine ne fait aucun doute : "Jacques Paquet, ancien chef de cabinet de Robert Boulin, témoigne de menaces très précises venant de membres du SAC dirigé par Charles Pasqua, conseiller influent de Jacques Chirac, lors du passage de Boulin au ministère de l’Économie et des Finances (mars 1977-mars 1978)".
Au centre de l'affaire Boulin, il semble bien qu'il y avait la collecte des subsides du RPR, donc, et non un simple problème de propriété. Boulin s'apprêtait-il à parler, menacé par sa propre famille ? Parler de la collecte des fonds, comme le fera Jean-Claude Méry et sa fameuse cassette, et ses "cinq millions de francs" en grosses coupures... Méry se définissait lui comme "collecteur de fonds" du RPR, et il avait fait sa confession vidéo car il s'estimait menacé. Par la même famille politique qu'il avait alimentée pendant des années. Expliquer devant une caméra le racket systématique du RPR était en effet très risqué, et il en avait bien conscience, en demandant que rien ne soit divulgué de son vivant. Même la cassette, une fois enregistrée, personne n'en voudra, trop dangereux, même après la mort du principal intéressé. Seul Edwy Plenel prendra la décision de diffuser le contenu, avec Hervé Brusini de FR3. Le jour où les révélations sortiront, ce sera comme un coup de massue pour Jacques Chirac : et là, plus la peine d'essayer de faire taire son auteur, déjà mort. Plus la peine d'envoyer Pasqua. Dans ce monde féroce, un requin a toujours besoin de rémoras, et Charles Pasqua semble assez souvent avoir tracé la route pour Jacques Chirac, on l'a vu. Un requin, c'est bien l'image en effet, puisque l'histoire suivante nous transporte à Tahiti. Le vieux requin de la politique, adroitement conseillé par Dominique de Villepin, avait balayé les graves accusations de Méry d'un seul mot : "abracadabrantesque". C'était bien trouvé, mais ça n'aura pas suffit, semble-t-il. Une autre histoire allait le rattraper. Avec encore un cadavre au milieu.
Tous ces cadavres jonchant une longue carrière, ne peuvent qu'interpeller. Jacques Chirac en scénariste de série sur les serial killers, je n'y aurais jamais pensé. J'avais eu la chance de le rencontrer il y a 25 ans lors d'une interview et son côté franchement convivial m'avait assez impressionné : j'étais à mille lieues de découvrir bien plus tard un Chirac façon Dark Vador, doté d'un côté obscur assez prononcé. Car en fait, on n'en a pas encore fini avec ce genre d'hypothèses sur ce qu'il aurait pu ou non commanditer pour avoir le champ libre. L'homme politique féroce, sous ses aspects débonnaires, présente certes une allure présidentielle à mille lieues de la marionnette actuelle, mais il a aussi une bonne série de dossiers inquiétants sur le dos. Notamment celui, encore une fois, d'une bien étrange disparition. Une de plus, la cinquième du lot. Celle d'un jeune journaliste, Jean-Pascal Couraud, surnommé JPK, qui en fouinant dans un endroit inattendu semblait lui aussi avoir vu ce qu'il n'aurait jamais dû voir. Son histoire est racontée ici. Elle est édifiante, et démarre en 1996 avec des protagonistes bien connus. Cette année là, en effet "le chef de poste de la DGSE à Tokyo souligne dans un « blanc » adressé à son siège parisien, l’existence d’un compte bancaire ouvert au nom de Jacques Chirac à la Tokyo Sowa Bank ; les notes de Rondot révèleront que ce compte aurait été ouvert en 1992". Au début, personne n'y croît, à cette énième histoire venue du Pacifique et du Japon.
L'affaire qui sera ébruitée comme il se doit par le Canard Enchaîné est en effet tout d'abord perçue comme grotesque ou rocambolesque : on savait Chirac fan de Sumo, mais de là à l'imaginer aller planquer son magot au Japon ! Mais l'implication évidente de Gaston Flosse, grand ami de Chirac, laisse entendre que l'histoire abracadabrantesque (!) du compte bancaire japonais est plausible. De plus, dès 1997, un avocat, Maître Des Arcis, qui travaille parfois avec le jeune journaliste reçoit des menaces appuyées lui intimant de cesser au plus vite de s'occuper de cette affaire. Ce qu'il fait, et ce que ne fait pas Couraud, qui continue ses recherches. La pression est très forte, et c'est bien le plus haut sommet de l'Etat qui semble la mettre, ce qu'à bien compris l'avocat. Des pressions qui aboutiront à un point de non retour. Le 15 décembre 1997, "JPK" est enlevé et probablement assassiné : on ne retrouvera jamais son corps. Il faudra attendre sept ans pour que sa famille, lassée de ne voir aucune avancée à l'enquête sur sa disparition, dépose plainte contre X, ce que révèle Libération en mars 2005, relançant ainsi l'affaire. Une affaire qui aboutit à un livre en 2008, un ouvrage de de Nicola Beau et Olivier Toscer sobrement intituél "L’incroyable histoire du compte japonais de J.Chirac".
Tout ceci paraît incroyable, et pourtant. Onze ans après les faits, en mars 2008, des enquêteurs découvrent chez Raymond Flosse, celui qui a poussé le clientélisme à son paroxysme, un document dactylographié édifiant. Une confession en fait. « Je me nomme Vetea CADOUSTEAU. J’écris ce courrier car je sais que je serai tué dans quelques temps car j’ai participé à l’assassinat de Couraud. J’ai réfléchi à ce qui s’est passé et je n’arrive pas à vivre avec ça. Je fais ce testament car je souhaite que la vérité éclate et je fais confiance à (...), qui fera son possible pour faire la lumière sur cette affaire. Je sais qu’elle n’a pas peur de mourir car elle est condamnée". Et l'éxécuteur de raconter à froid ce qu'il a commis : "Je vais vous dire comment, pourquoi, pour qui et avec qui j’ai exécuté Couraud. Sur le bateau, nous étions trois autour de Couraud avant qu’il ne meure. J’étais avec Firmin, (...). et (...). Dans la nuit du 15 décembre 1997,nous avons reçu l’ordre par Félicien de faire nettoyage de Couraud. (...) Nous avons récupéré Couraud et le dossier. (...) Nous avons amené Couraud sur le bateau qui nous attendait. On a accroché Couraud à une corde et une chaîne. On l’a tarere dans la mer (« jeté à la mer »). (...) T....... a demandé encore c’est quoi ce dossier et il n’a pas répondu.(....) Quand on a vu que Couraud était presque mort, on a appelé Rere. Il nous a dit de tutau (ancrer par le fond) Couraud,c’est plus facile (...) Le lendemain, Félicien est venu nous voir et nous a dit merci (..). Rere est venu nous dire après que c’était bien." L'homme décrit l'assassinat du journaliste, on ne rêve pas, c'est bien cela. Et un assassinat suivi d'étranges décès : le signataire, Cadousteau va mourir lui aussi. "Vetea Cadousteau, auteur supposé du courrier, est décédé le 21 janvier 2004, officiellement de blessures dûes à une chute de 25 mètres au pied d’une cascade d’une vallée de Faaone, où il aimait aller chasser. Le dossier de gendarmerie lié à son décès a été également versé au dossier remis à la famille de Jean-Pascal Couraud. Vetea Cadousteau, chasseur chevronné, est retrouvé dans l’eau, au pied de la cascade, en chaussettes sans aucune chaussure au pied. L’autopsie révèle, en plus des blessures à la partie inférieure du corps, un choc violent reçu à l’arrière de la tête." Ah tiens. Le second responsable, "Firmin" (Tepuai), décédera en 2002 d'une crise cardiaque sur un chantier de construction. On meurt beaucoup trop, à Tahiti. Que faisait chez Flosse ce document accablant, là est tout le mystère (*****)...
Aujourd'hui, donc va s'ouvrir ce qu'on a appelé le procès Chirac. Celui des fausses factures et des faux emplois à la mairie de Paris. Il semble que ce ne soit pas le bon, à la lecture de ce que je viens de vous rappeler. Vu autrement, on pourrait dire également qu'à Hollywood, Jacques Chirac aurait pu faire davantage fortune encore comme scénariste de série policière, et n'aurait même pas eu à mettre en sécurité aussi loin ses émoluments. Il semble en tout cas avoir démontré durant toute sa carrière un talent certain pour mettre en scène des personnages qui ne lui ont en effet pas tous survécu. Le scénariste, dit-on, se réserve toujours le meilleur rôle.
(*) la dernière en date étant celle du gendarme aujourd'hui en retraite qui a retrouvé le corps en premier.
(**) infortunée, car assassinée en 1973... dans des circonstances troubles où se profile déjà Henri Tournet : "N’oubliez pas que l’affaire boulin est la partie visible de bien d’autre mort suspecte le 4 février 1973 madame Rachez propriétaire du Casino de st Amand, de l’hôtel et de la station thermale décédait mystérieusement, on retrouve dans cette affaire un homme dénommé Henri tournet son administrateur qui tout de suite après sa mort a revendu le casino au Partouche ruinant la famille en la dépossédant de tous ces biens ils ne leur ont rien laissé grâce à la complicité d’un notaire" note une intervenante dans un blog.
(***) "Omar Bongo, c'était le pivot de la Françafrique. Depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny, tout passait par lui. Quand Jacques Chirac essayait de gérer la chute de Mobutu, il s'appuyait sur lui. Quand Nicolas Sarkozy voulait rencontrer Nelson Mandela, il s'adressait à lui. Omar Bongo, c'était plus qu'un ami de la France. C'était à la fois le Président du Gabon et le vice-président de la France en charge de l'Afrique. Pour lui, la France était une seconde patrie" écrit Christophe Boisbouvier.
(****) Dans ce sens, l'attentat à l'explosif sur la voiture de Xavier Duprat, le 18 mars 1978, et la mort de de dernier, pourrait même figurer comme précurseur de la série des assassinats politiques : c'était un des meilleurs informateurs de la DST, avant d'être le négationniste que l'on sait. Là aussi, on n'a jamais retrouvé les responsables, les membres du PFN, rivaux de JMLP, étant le plus souvent cités. Duprat avait été viré d'Occident, où nichaient aussi un bon nombre de gaullistes... dont certains toujours au premier plan aujourd'hui (lire ici la liste des "anciens sympathisants".
(*****) attention, le téléchargement de ce très bon reportage est pesant : le fichier fait 685 mo compressé. Disponible ici également. Notez les interventions de Renaud de la Faverie, ancien adjoint de Gaston Flosse, accablants pour le responsable gaulliste.
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