Je suis perdu, ne m’aidez pas !

Parfois, il y a des moments où on sent que l’on ne peut plus avancer, que chaque pas semble déclencher des vents contraires, que l’œuvre continue à progresser lentement tout en donnant l’impression de faire du surplace et même d’aller à rebours. C’est le moment de consulter, dirait Desproges. Oui mais j’ai passé l’âge de faire une psychanalyse. Dix ans sur le divan, qui sait, je serais crevé d’un cancer avant d’avoir trouvé la solution de mon impasse. Et puis, une psychanalyse, c’est éprouvant, surtout pour le compte en banque. Etant un citoyen respectueux de ma règle d’or, je ne demanderai pas un crédit à ma banque pour faire une psychanalyse. Ni pour éditer à compte d’auteurs les manuscrits en attente d’édition. Justement, cette idée d’édition m’est venue spontanément dans cet exercice d’écriture presque automatique et c’était d’ailleurs le but recherché puisque vous l’aurez compris, n’ayant pas l’intention d’aller sur un divan pour connaître les méandres d’un inconscient qui peut-être recèle la révélation de ces vents contraires, de leurs origines, alors je m’empressais de régler ça à la régulière, face à mon écriture et de surcroît, sans dépenser le moindre sou. Si les psychanalyses veulent m’endetter, qu’ils aillent se faire voir chez les Grecs !
Où se situe donc le problème ? Peut-être dans le manque de cohérence dans le mode opératoire que je pratique depuis quelques mois. J’analyse des résultats scientifiques extrêmement pointus, nécessitant la lecture de reprints gracieusement transmis après demande par les auteurs, puis je rédige un exposé en ajoutant mes commentaires et parfois une hypothèse. Mais simultanément, j’observe les événements de l’actualité et je tente de formuler quelques pensées sur le système, ses traits, ses travers. Bref, j’ai l’impression de courir deux lièvres à la fois. Les articles les mieux conçus sont stockés en vue de deux essais projetés dans un avenir proche, l’un sur le système contemporain et le sens de l’existence, l’autre sur l’évolution. Et donc ça phosphore, ça réfléchit, ça pense, ça cherche et ça se perd. En fait, j’ai le sentiment d’être devenu une sorte de zombi savant qui fonce dans les savoirs et finit par ne plus savoir où il fonce. Le regard hébété, je fixe mon écran en regardant les mots s’inscrire. Et je laisse l’écran et je rallume l’écran sans jamais éteindre le son de la musique, seule muse qui inspire ma métaphysique. Je médite sur ce génome central, sur ces tas de petites découvertes et je n’avance pas. Question société et capitalisme, même tendance. Sorte d’épuisement de la pensée. Il n’y a rien de bien génial au bout.
Une idée me vient ! Après tout, il est possible que j’aie passé ma vie à chercher des choses qui ont déjà été découvertes par d’autres ou bien des choses qui n’existent pas, sauf dans mon imaginaire. Drôle d’impression alors, celle d’une fin de partie. Une petite porte de sortie, écrire un roman avec comme thème central mon personnage pathétique qui pédale pour n’arriver nulle part, qui explore chaque chemin sans jamais visiter un paysage. Toujours à côté des événements en croyant animer la pensée et faire progresser la torche de la connaissance. Bref, l’histoire d’un type qui court bêtement dans le monde, brandissant une torche olympique alors qu’il n’y a aucun témoin ni spectateur, aucun clampin à qui causer, sauf dans l’imaginaire de ce marathonien qui concept qui n’arrivera jamais dans un stade pour y planter ses formidables découvertes et se faire applaudir tel le héros contemporain de la pensée. Est-ce moi ce type que je décris ? Si tel est le cas, je me félicite pour un auto-flingage assez giflant mais pourtant, je ne suis pas maso à ce point. Je suis perdu, ne m’aidez pas, vous pourriez m’égarer un peu plus. En pareille circonstance, le geste le plus approprié est de faire bouillir un peu d’eau pour se faire un thé. Pourquoi pas un thé ? Pour un athée qui se rabat sur le thé. Mais non, je ne suis pas athée, et en vérithé, je suis théiste. Ce qui me rappelle cette fameuse métaphysique des miroirs que je présentai devant un jury de thèse, face au portait de Hegel. C’était peu être ça la belle découverte, avec à l’intérieur la dualité forme énergie suscitant un nouvel hylémorphisme issu de la mécanique quantique. J’ai encore en tête le schéma générique du concept ontologique, avec ses formes, sa substance et ses subtils jeux de réflexion dans le Miroir universel. Un machin complètement inédit mais qui n’a servi à rien sauf à me persuader de poursuivre dans cette voie qui maintenant, semble avoir abouti dans un cul-de-sac, sauf si par un heureux coup du destin je pouvais raccorder ces travaux à des champs du savoir comme la génétique ou même les sciences sociales. Mais en fait, pour les dernières, c’est déjà fait, consigné dans un livre paru en 1998 où j’annonçais une nouvelle philosophie, et même une métaphysique pour le 21ème siècle. Les universitaires ne s’intéressent pas à ce qui est produit par un type qui n’est pas l’un des leurs. Cela ne rapporte rien d’étudier une pensée nouvelle, quitte à la critiquer ou même la déglinguer.
Bref, je n’ai plus rien à trouver pour l’instant. La société ne va pas bien. Les problèmes sont aussi faciles à mettre en évidence que les solutions, du moins les mesures à prendre, encore faut-il savoir si l’on veut la justice. Tout est intelligible, le système, la société, excepté la part de mystère qui échappe à l’entendement mais qu’on peut comprendre. A bon entendeur ! Allez savoir, mon impasse serait le reflet de l’impasse du système. Quand même, est-ce raisonnable d’être si présomptueux ? Mon impasse découle de mon entêtement, voilà une hypothèse bien plus humble !
Mais des hypothèses, on peut en formuler plusieurs. Par exemple, l’idée d’un jeu universel, le jeu des connaissances et des savoirs. Imaginons que j’ai pu pratiquer ce jeu avec des règles qui seraient celles des savants des siècles passés. Chercher, penser, réfléchir, concevoir, publier ses résultats pour qu’ils soient discutés. Ces règles faites miennes, je me suis heurté à un système universitaire où la grande majorité des membres appliquent une autre règle. Bref, moi en Antigone et l’université sous le joug de Créon, mais pas de créons ! Cette conjoncture explique que je puisse être perdu à force de naviguer en solitaire et de ne pas pouvoir discuter mes thèses dans un environnement bienveillant. C’est même l’inverse, je pense que le système est un peu malveillant et qu’à la limite, il fonctionne pour décourager les intentions innovantes, les aventures savantes. Je ne dois pas être le seul à penser ainsi. Cela dit, le monde est humain, trop humain. Les individus ne sont pas des méchants, ils sont intéressés et sans doute pour une part, inconscients de ce qu’ils laissent de côté, savoirs mais aussi savants reclus dans les méandres d’un système qu’on peut qualifier de despotisme mou et décentralisé.
Tourner autour du graal, telle est maintenant l’impression du moment après tant d’années de quête scientifique. J’ai parfois eu le sentiment d’approcher du graal, de la réponse à des questions métaphysiques et même à une appréhension du mystère jouant d’évanescence et de subtiles évaporation, comme si l’approche de l’ultime se dérobait sous l’action d’un étrange chérubin voué à dissoudre le graal dès qu’un esprit, trop humain, s’en approche. Il n’est peut-être pas nécessaire ni recommandé d’entrer dans le mystère, même si celui-ci se transforme en espérance, dissolvant l’absurde dans le néant de l’humanité déchue. Ou alors n’ai-je pas été jugé digne d’entrer dans le mystère et donc livré au combat contre mon ombre, sorte de chemin de croix où chaque station est faite de doute et de rencontre avec l’absurde d’une société qui se perd et ce faisant, joue à me perdre en ne jouant pas le jeu universel. Le voyageur, l’absurde et l’espérance. Nietzsche n’aurait pas supporté la lecture de Camus. Interlude.
Logion 1 : Il me disait mystique là où je ne l’étais pas ; alors que j’étais mystique là où il ne me voyait point.
Logion 2 : Ils parlent du mystère là où il ne s’y trouve pas ; mais le mystère est présent là où leur regard n’entre point.
Je flotte dans un univers sans direction, privé d’espace-temps, étrange comme une composition glaciale de Steven Wilson. Rien n’est absurde, au contraire, une inquiétude qui refuse de s’installer alors que le sombre mystère envahit la conscience. Je flotte dans un rêve éveillé à la Descartes, attendant un improbable songe ce 11 novembre, quand la saint Martin approche, que d’étranges phosphorescences illuminent la conscience et que les fous se mettent à danser, à jouer aux cartes, à chanter sur une scène de théâtre devant des spectateurs médusés. Il est raisonnable de suivre les fous quand le monde est dirigé par des dingues. La saint Martin approche mais le graal reste préservé de mon regard sans doute trop profane. Oui, je sais ce que va me dire le rêve de la saint Martin, que je suis trop cartésien pour créer un savoir du mystère et que Dieu ne m’autorise pas à aller plus loin. Et que de plus, je n’ai pas besoin d’aide céleste vu que je sais pertinemment m’être perdu et pourquoi et donc je saurai retrouver mon chemin ou alors continuer à me perdre.
Il y a les égarés et les éclairés. Ceux qui sont éclairés traversent la pénombre, munis de leur chandelle, en quête de miroirs réfléchissants, alors qu’ils sont eux-mêmes un miroir. L’homme éclairant est à la fois la lumière et le miroir. Il est éclairé autant qu’éclairant.
Je revois le passé, quand j’étais encordé avec une équipe de scientifiques, à tenter d’escalader une petite colline. J’ai voulu m’écarter pour monter plus vite sur une autre voie, ils ont méchamment tiré sur la corde et je me suis retrouvé en bas, mais j’ai gravi d’autres collines, puis des montagnes et maintenant, je suis coincé en haut et je leur lance un appel ohé, ohé… mais ils sont sourds tout en bas et du reste, ils ne peuvent me voir, il y a une brume épaisse qui ne vient pas du ciel mais de leur respiration spirituelle embrumée. Comprenne qui pourra.
Aphorisme. Le texte officiel dit que le chercheur participe à l’avancement de la science, la réalité montre que la science participe à l’avancement du chercheur.
La vie est cognition, l’homme doit devenir savant mais il a le choix et peut renier son destin et se livrer à la barbarie. C’est le lot de l’Histoire. J’ai gagné la partie céleste mais pas terrestre. L’explication est évidente, les hommes penchent pour la barbarie plutôt que pour la civilisation. Comprenne qui pourra.
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