Karen-Montet-Toutain, ce survivant reproche vivant qu’aimerait discréditer « Le Figaro »
Déontologie ! Déontologie ! crient des journalistes « en sautant comme des cabris » pour faire croire que c’est le baume-miracle qui guérira la presse de son discrédit ! Force est de constater que la déontologie pèse de peu de poids dans la guerre de l’information. Un article venimeux du Figaro sur l’affaire du lycée Blériot d’Étampes l’a montré, au moment où comparaissait en appel l’agresseur devant la cour d’assises de Paris (1). On se souvient que, le 16 décembre 2005, Mme Karen Montet-Toutain avait failli mourir sous les coups de couteau d’un élève enragé. (2)
I- L’insinuation d’un profil psychiatrique par le mépris de l’autorité de la chose jugée
On passe sur l’erreur de date. La tragédie est survenue le 16 décembre 2005, mais selon le torchon non signé, c’est 19 décembre : le 6 a basculé en 9. On n’est pas à ça près, quand, indifférent à une réprésentation fidèle de la réalité et prenant servilement le parti de l’administration, on entend faire basculer aussi la victime en coupable : on se moque bien des dates.
Ce qui choque davantage, c’est une mise hors-contexte par omission : le journal ne respecte même pas l’autorité de la chose jugée. Dans la bonne tradition du pouvoir absolu que « dérange » toute opposition, Le Figaro veut faire croire que Mme Montet-Toutain souffre de troubles psychiatriques : « Mais pour la jeune enseignante, lit-on avec stupeur, cette épreuve est le début d’une longue bataille qui lui donnera, à tort ou à raison, le sentiment d’avoir été lâchée par son administration. À l’entendre, elle aurait averti sa hiérarchie des incidents qui se multipliaient avec l’élève et même de menaces de mort dont elle aurait fait l’objet. Or, aucune mesure sérieuse n’aurait été prise à temps. Le rapport d’inspection sur son affaire dit malheureusement le contraire. D’où la frustration de la victime. »
Ou Le Figaro n’a pas eu connaissance du jugement du tribunal administratif de Versailles rendu le 14 novembre 2008, ou il s’en moque, là encore ! On ne peut plus écrire, en effet, que la victime a « le sentiment d’avoir été lâchée par son administration à tort ou à raison », en feignant une neutralité qu’affectionne la profession par le lâche emploi de cette formule alternative hypocrite, « à tort ou à raison ». On ne peut pas davantage soutenir qu’ « à l’entendre », elle n’a pas été protégée ni que « le rapport d’inspection dit malheureusement le contraire » ! Pourquoi ? Mais parce que le tribunal administratif a tranché et que c’est lui qu’il faut entendre désormais. On savait que les inspecteurs-maison avaient exonéré l’administration de toute responsabilité pour refus de protection d’un fonctionnaire attaqué à l’occasion de ses fonctions, conformément à l’assurance donnée par le triste ministre de Robien avant même qu’ils ne rendent leur rapport en janvier 2006.
Le tribunal en a jugé autrement et le Figaro devrait en tenir compte sous peine de s’asseoir sur sa déontologie : l’État a été condamné à verser à Karen Montet-Toutain 15.000 Euros au titre du préjudice moral subi (4). L’État aurait-il été condamné si ses représentants avaient respecté la loi du 13 juillet 1983 dont l’article 11 leur fait un devoir de protéger un fonctionnaire attaqué à l’occasion de ses fonctions ? Le Figaro s’en tamponne ! Quand il faut sauver la mise de l’administration, franchement, est-ce le genre de question qu’on se pose ?
II- L’insinuation de la culpabilité de la victime
Mais ça ne suffit pas au Figaro, de mépriser par omission l’autorité de la chose jugée. Le Figaro pousse l’ignominie jusqu’à insinuer que Mme Montet-Toutain aurait quelques responsabilités personnelles dans la tragédie qui lui est arrivée. Il estime que le livre qu’elle a publié (3) « pour exorciser cette sombre journée où sa vie a basculé (…) trahit une certaine candeur. Était-elle suffisamment armée, demande le journal, pour affronter des ados que plus rien n’impressionne ? Les traits fins, le visage pâle, Karen Montet-Toutain a l’air si fragile. Elle a grandi dans la verdure, à Sainte-Geneviève-des-Bois. Elle aimait les chevaux, les entrechats, Degas, Turner, Delacroix. » On a bien lu : comment une artiste à la frêle silhouette, une si jolie jeune femme à la sensibilité si vive est-elle venue se jeter délibérément dans la gueule du loup ? Quelle inconscience !
Ainsi Le Figaro réussit-il le tour de force de faire de la victime une coupable par une distribution manichéenne des rôles inversée en trois coups de cuiller à pot.
1- Le journal use d’abord d’un amalgame longtemps opposé aux femmes violées portant plainte : il leur était rituellement demandé si elles n’avaient pas été elles-mêmes provocantes, car, dans ce cas, elles n’avaient obtenu que ce qu’elles cherchaient. On retrouve ici le même amalgame : la victime agressée n’était-elle pas trop désarmée ? Ses qualités, comme la grâce et la sensibilité, deviennent des défauts dans le milieu où elle s’est aventurée imprudemment.
2- Ensuite, parallèlement, le milieu en question est masqué par une périphrase qui évite de le qualifier : « (ces) ados que plus rien n’impressionne » est un bel euphémisme pour désigner des élèves qui ont menacé leur professeur de viol collectif sur son bureau et d’un élève qui a tenté de la tuer ! En somme, la civilisation que représente la professeur est sommée de s’excuser devant la barbarie. (3)
3- Enfin, une autre omission majeure permet d’écarter le rôle primordial joué par l’administration de l’Éducation nationale et les responsabilités accablantes qui lui incombent. Qui a nommé ce professeur à ce poste et qui est en charge de l’ordre dans cet établissement ? Le Figaro se garde de poser la question. Elle y répond pourtant quelques lignes plus loin, mais en pratiquant une ellipse qui lui évite de demander des comptes à l’institution responsable : « (Mme Montet-Toutain) a découvert l’enseignement en ZEP, écrit le journal, après une licence d’arts appliqués et une courte formation en IUFM. » Est-il donc si difficile de deviner qui a pris la responsabilité d’envoyer cette jeune professeur civilisée chez des barbares à qui est laissé tout loisir d’imposer dans un établissement le caprice de la jungle ?
L’acharnement frénétique du Figaro
Et comme si ça ne suffisait pas, le Figaro court après des anecdotes incertaines mises hors-contexte pour tenter de salir la victime.
- L’une est prétendument recueillie auprès d’un « cher collègue », présenté comme « un de ses proches », quand il a tout l’air d’être plus proche de l’administration que d’elle : « Lors de l’une de ses premières sorties avec des élèves, écrit le journal en citant ce témoin complaisant, elle s’était imprudemment lancée dans une chanson paillarde, pour détendre l’atmosphère, et ce fut aussitôt l’anarchie ». Voilà bien, on s’en doute, l’origine des coups de couteaux portés à la malheureuse.
- Il est ensuite reproché à Mme Montet-Toutain d’être entrée en conflit avec son administration. Le Figaro veille évidemment à toujours omettre de préciser que le tribunal lui a donné raison le 14 novembre 2008 : « Au rectorat de Versailles, observe le journal, elle n’a pas laissé un souvenir impérissable. Les multiples entretiens préalables à son retour au travail se passaient mal. » Le jugement du tribunal laisse pourtant à penser que Mme Montet-Toutain avait quelques raisons de s’opposer à cette administration inhumaine. On appréciera en passant la délicatesse de la litote : la jeune professeur a failli, elle, "périr" et a survécu, mais, heureusement, le souvenir qu’elle laisse, lui, ne sera pas « impérissable ».
- Enfin, emporté par sa passion haineuse, Le Figaro fait feu de tout bois. Il est collé sur le dos de la malpropre des sympathies nationalistes corses qui sans doute expliquent tout. Tant qu’à user d’un leurre de diversion, autant qu’il impressionne ceux qui ne le trouveront pas grotesque : « Karen Montet-Toutain, écrit le journal, qui met en avant ses racines corses - sa grand-mère paternelle était de Corte - se veut rebelle. Dans ses écrits, elle épouse vaguement la cause nationaliste. » En somme, sous tout ce charivari il n’y avait qu’une plaisante histoire corse !
On appréciera l’adverbe très précis « vaguement » pour qualifier la fibre nationaliste de la professeur. Il rend compte surtout de la représentation très vague et malhonnête que le journal livre de cette tragédie. Le Figaro avait pourtant commencé son article en évoquant l’indignation de Mme Montet-Toutain : « Le traitement de mon affaire par la presse m’a blessée », aurait-elle confié. Ça n’a pas empêché le Figaro de n’avoir aucun vague à l’âme et même de mettre les bouchées doubles dans l’ignominie. Car, pour complaire à l’administration de l’Éducation nationale, il ne craint ni de se moquer de l’autorité de la chose jugée en l’ignorant superbement ni de tenter de détruire l’image de celle qui reste pour l’institution et ses collègues un survivant reproche vivant. Paul Villach
(1) Vendredi 23 janvier 2009, la cour d’assises d’appel de Paris a réduit la peine de l’agresseur de 13 à 10 ans de réclusion. La préméditation a été cette fois écartée et seule la tentative de meurtre retenue, bien que l’agresseur soit venu en classe avec un couteau de cuisine : c’était sans doute pour tailler ses crayons.
(2)http://www.lefigaro.fr/france/20070825.FIG000000640_karen_montet_toutain_l_enseignante_poignardee_d_etampes.html
(3) Paul Villach, « Le livre de Karen Montet-Toutain, professeur poignardé : le service public outragé ! », AGORAVOX, 4 octobre 2006.
(4) Paul Villach, « La conduite indigne de l’administration envers K. Montet-Toutain, cette professeur poignardée dans sa classe », AGORAVOX, 9 décembre 2008.
(5) Le Figaro.fr, 23 janvier 2008, persiste à se moquer du jugement du Tribunal Administratif de Versailles qui contredit le rapport des inspecteurs-maison : « Alors que Karen Montet-Toutain avait auparavant alerté sa hiérarchie sur des problèmes en classe, un rapport de l’Inspection générale a estimé en janvier 2006 que l’Education nationale n’avait pas commis de « faute caractérisée » ayant pu entraîner l’agression de l’enseignante. »
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