• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > L’attribution des Prix Nobel : une dérive depuis plusieurs (...)

L’attribution des Prix Nobel : une dérive depuis plusieurs décennies

La semaine dernière furent annoncées les identités des différents Prix Nobel de l’année 2007.

Agoravox l’a relaté notamment pour la médecine, la physique et la chimie avec les articles de Bernard Dugué.

La France s’enorgueillit d’avoir cette année avec Albert Fert et sa magnétorésistance géante son quatrième Prix Nobel de physique en seize ans, après Pierre-Gilles de Gennes (1932-2007) en 1991, George Charpak (né en 1924) en 1992 et Claude Cohen-Tannoudji (né en 1933) en 1997.

Pour la France, c’est un événement rare, car il faut ensuite remonter loin dans le temps pour une telle attribution : à Louis Néel (1904-2000) en 1970, Alfred Kastler (1902-1984) en 1966, Louis de Broglie (1892-1987) en 1929, Jean Perrin (1870-1942) en 1926, Gabriel Lippman (1845-1921) en 1908, Henri Becquerel (1852-1908), Pierre Curie (1859-1906) et Marie Curie (1867-1934) en 1903.

L’Allemagne est aussi à la fête puisque, après l’autre Prix Nobel de physique 2007, le physicien allemand Peter Grünberg, c’est le chimiste allemand Gerhard Ertl qui obtient le Prix Nobel de Chimie 2007 pour sa contribution sur les processus chimiques sur les surfaces solides.

Les interactions matières/surfaces constituent un domaine de la science très particulier, où la gravité ne joue plus vraiment son rôle (voir comment l’eau peut remonter d’une paroi en carton par exemple ou comment une lessive mouille bien l’intérieur du linge, etc.) et où d’autres phénomènes sont nettement prédominants.

Là, Gerhard Ertl est récompensé pour ses travaux qui ont eu une influence déterminante dans la compréhension des mécanismes de l’oxydation du fer (rouille), des pots catalytiques (ammoniaque sur fer, monoxyde de carbone sur palladium, réactions sur les surfaces platinées), la compréhension de l’atténuation de la couche d’ozone de l’atmosphère ou encore dans les méthodes de production des fertilisants.

La France avait reçu le Prix Nobel de chimie récemment, en 2005, avec la gratification du chimiste français Yves Chauvin (né en 1930) - qui s’en souvient encore ? - bien après celle de Jean-Marie Lehn (né en 1939) en 1987, premier Français a obtenir cette récompense après Irène Joliot-Curie (1897-1956) et Frédéric Joliot-Curie (1900-1958) en 1935.

Mais là n’était pas mon propos.

Juste une remarque sur l’âge des personnalités récompensées cette année.

Gerhard Ertl a eu en fait un super cadeau d’anniversaire le jour de l’annonce de sa récompense, car il fêtait en même temps son 71e anniversaire.

71 ans pour la chimie.

Mais aussi 69 ans (Albert Fert) et 68 ans (Peter Grünberg) hier pour la physique.

Et 82 ans (Oliver Smithies), 70 ans (Mario Capecchi) et 66 ans (Martin Evans) pour la médecine.

Également 88 ans (Doris Lessing) pour la littérature.

Puis 59 ans (Al Gore) pour la paix.

Enfin 90 ans (Leonid Hurwics, le doyen), 56 ans (Eric Maskin et Roger Myerson) pour l’économie (pseudo-Prix Nobel).

Eh oui, on congratule uniquement des personnes d’âge mûr !

Excusez mon expression, mais c’est quand même bien ça.

Je parle surtout des scientifiques des "sciences dures" (je ne parle pas des autres).

On récompense maintenant, et depuis pas mal de décennies maintenant, des chercheurs (très méritants et qui n’ont évidemment pas volé leur Nobel), mais seulement à la fin de leur carrière, voire dans leur retraite.

C’est fort dommage, car le sens de ce prix est dévoyé.

Effectivement, ces scientifiques ont déjà été largement reconnus dans leur communauté scientifique respective, et finalement, n’ont plus besoin ni d’honneur ni d’argent (1,5 millions de dollars à éventuellement partager). Certes, cet argent est généralement redistribué dans leur (ancien) laboratoire.

Au début du siècle dernier, on a même attribué le Prix Nobel à un jeune homme de 25 ans (William Bragg, mais il bossait avec son père), mais ce n’était pas une exception de récompenser un jeune chercheur.

Au contraire, beaucoup de scientifiques ont été récompensés au début de leur carrière, même bien avant la fin de leur thèse de doctorat, dans la pleine force de l’âge.

L’argent leur a permis alors d’avoir une certaine autonomie financière pour poursuivre leurs travaux (achat d’équipements, recrutement de techniciens et doctorants) tandis que la renommée acquise leur permettait d’acquérir des postes à l’université ou dans des organismes de recherche prestigieux (comme le CNRS) leur permettant de ne plus s’occuper de leurs problèmes alimentaires.

Hélas, aujourd’hui, la science étant tous azimuts, elle produit plusieurs milliers de jeunes docteurs incapables de se recaser dans le circuit normal de la vie active, par faute de postes dans la recherche publique et faute de crédibilité face à un employeur privé.

Si bien qu’ils seront loin de pouvoir envisager d’obtenir avant 40 ans un Prix Nobel puisqu’ils sont désormais bien loin de leurs travaux scientifiques (d’ailleurs, la Médaille Fields, qui récompense tous les quatre ans les meilleurs mathématiciens du monde, ne récompense que des personnes de moins de 40 ans !).

Autre dévoiement du Prix Nobel, on récompense des personnes qui ont excellé essentiellement dans la voie expérimentale.

Je schématise, mais en gros, il y a deux types de chercheurs : ceux qui imaginent et ceux qui observent. Attention, je ne fais pas de dichotomie. Le clivage se fait en fait sur l’ordre des tâches.

Celui qui observe des phénomènes, les reproduit, met au point un procédé fiable, puis essaie de comprendre les mécanismes. Soit statistiquement, soit par modélisation numérique. Mais il démarre de la réalité et il cherche à en déduire de nouvelles lois, ou des corollaires à des lois existantes, ou au contraire, à les infirmer et à les remettre en cause (comme la "catastrophe ultraviolette" de Max Planck qui a façonné la physique quantique).

Et puis, il y a celui qui, aidé de solides bagages mathématiques théoriques (calcul tensoriel, etc.), ne s’amuse d’abord qu’avec des équations différentielles, des intégrales triples, des opérateurs hamiltoniens, etc., et qui soudain... en déduit une loi, un monde nouveau. Concevoir les lois est alors la première étape, puis, évidemment, la valider par l’observation, l’expérience, le retour sur le réel est la seconde étape (sans laquelle on pourrait affirmer n’importe quoi).

La performance du second est nettement plus louable que celle du premier. En termes d’intelligence et d’abstraction, je veux dire. Pas forcément en termes d’efficacité sociale.

Par exemple, Albert Einstein qui, uniquement dans l’aboutissement de sa démarche abstraite de la Relativité générale, en a déduit (entre autres) la déviation du rayon des étoiles à proximité d’un autre astre. Il a voulu donc vérifier sa théorie en observant cette déviation lors du passage d’une étoile lors de l’éclipse solaire de 1915.

La guerre n’ayant pas permis l’observation, Einstein n’a pas heureusement perdu sa crédibilité car si son principe était finalement juste, il avait commis une (légère) erreur de calcul qui aurait infirmé sa prédiction (et du coup, sa théorie)... Il la refit après la guerre en 1919 en vérifiant au mieux ses calculs (Stephen Hawking a rappelé cependant que ces bons résultats expérimentaux n’avaient pas été significatifs pour apprécier la véracité de la théorie ultérieurement validée autrement).

Cette démarche est effectivement plus difficile que le processus d’observer (parfois par hasard) cette déviation et d’essayer ensuite d’en donner un sens mathématique.

Les deux ont évidemment leur utilité et si ce sont maintenant les "expérimentalistes" qui sont récompensés, c’est surtout qu’il existe de moins en moins de "concepteurs".

Parmi les expérimentalistes, il y a même une nouvelle catégorie de ceux qui, en fait, réalisent des appareils et instrumentations (très complexes certes) pour d’autres projets, et qui ne sont que ces créateurs d’outils. C’est le cas de Charpak, par exemple (dont le mérite, je le répète, est réel).

Autre tendance, pour justifier ses choix, l’Académie royale des sciences de Suède se sent maintenant obligée d’évoquer des préoccupations de la vie quotidienne (disque dur, couche d’ozone, pot catalytique..) afin de mieux coller à l’ère du temps, à la proximité qui donne de l’aura à la "démocratie participative" et à la prise de conscience "citoyenne".

En bref...

Maintenant, les Prix Nobel ne récompensent essentiellement plus que des scientifiques d’âge mûr (parfois très mûr), pour des travaux qui ne représentent aucune révolution conceptuelle ni technologique majeure pour notre société mais qui apportent des améliorations notables d’éléments de la vie quotidienne.

Nous sommes loin des Prix Nobel lancés aux jeunes et prolifiques théoriciens de l’aventure quantique dont les travaux sont, aujourd’hui encore, décortiqués, analysés et améliorés.

À quand la prochaine révolution scientifique ?

Sylvain Rakotoarison


Moyenne des avis sur cet article :  2.64/5   (22 votes)




Réagissez à l'article

13 réactions à cet article    


  • orwell 18 octobre 2007 16:28

    Ridicule. Le prix Nobel va à une découverte dont l’évaluation (dans tous les sens du terme, résistance aux réfutations, impact sur la science ou la vie quotidienne) prend du temps. Il y a également des prix pour les jeunes chercheurs, mais il n’ont pas la même signification.

    En général les découvertes nobélisées sont d’une très grande importance, même si, au, cas par cas, certaines peuvent être discutées. L’attribution des Nobel permet à une audience plus large que celles des spécialistes de savoir quels sont les jalons important dans une discipline. On peut discuter de la façon dont les médias privilégient l’attribution du prix Nobel sur d’autres aspects de la science, mais il n’en reste pas moins que le prix a le mérite de représenter l’opinion des scientifiques et pas celle des médias (pas de prix Nobel pour les frères Bogdanoff ou Axel Kahn, par exemple).


    • Sylvain Rakotoarison Sylvain Rakotoarison 23 octobre 2007 20:51

      Je n’ai jamais écrit que les scientifiques récompensés ne le méritaient pas. Au contraire, j’aurais tendance à dire qu’ils le méritaient trop.

      Ce n’est pas anodin que la Médaille Fields ne récompense que des mathématiciens de moins de 40 ans (et pas anodin que ce prix n’est distribué que tous les quatre ans).

      Les prix de jeunes chercheurs etc. n’ont rien à voir avec les Prix Nobel, leur notoriété et leur reconnaissance.

      Cordialement.


    • Servais-Jean 18 octobre 2007 17:50

      Vers une dégradation d’Agoravox.

      Si ce site se met à faire les ’poubelles’ d’autres sites,il va bientôt devenir redondant donc sana objet. Faites attention,d’autant plus que ce n’est pas la première fois que vous renvoyez à d’autres sites. Nous sommes assez grands pour le faire nous même !


      • Servais-Jean 19 octobre 2007 10:09

        Le précédent commentaire ne concerne en aucune manière l’article ci-dessus.Il s’agit d’une mauvaise manipulation de ma part et je m’en excuse. Je râlais aprés Agoravox qui parfois nous renvoie sur d’autres sites.


      • Philou017 Philou017 18 octobre 2007 21:24

        Les prix nobels sont attribués dans le cas d’une science dogmatique, sans imagination, controlée par des pontifes sourcilleux de leur importance et porteurs du vrai « savoir » officiel, de plus en plus soumise aux diktats de l’industrie et au « scientifiquement correct ». La notoriété s’acquiet dans des revues scientifiques controlées par quelques gros bonnets et subventionnés par les entreprises privées qui les emploient. Des voix nouvelles et discordantes ont bien du mal à se faire entendre dans ce cadre-là, d’autant que les gardiens du temple veillent.

        Dans ce cadre-là, il n’est pas etonnant que l’on attribue des prix nobels, non pas à de jeunes chercheurs imaginatifs et novateurs, mais à de vieux messieurs, n’ayant pas forcement decouvert des choses extraordinaires, mais qui sont de bon « travailleurs » de la science dogmatique et poussiereuse telle qu’elle existe aujourd’hui.

        Voir en particulier le cas du VIH, qui n’a jamais été prouvé de maniere scientifique, et dont le lien au Sida est parfaitement discutable, mais qui a donné deux prix Nobels ... http://www.sidasante.com/


        • Bernard Dugué Bernard Dugué 19 octobre 2007 09:04

          Bonjour Sylvain,

          C’est un article intéressant que je ne commenterai pas puisque je suis d’accord sur le fond de la thèse qui s’y expose et que j’avais évoquée dans mes billets. Le Nobel récompense en effet les vieux routiers de labo. La question est de savoir s’il y a quelques portes ouvertes pour des champs théoriques qui n’ont pas été explorés et un intérêt du système pour les théoriciens. La question vaudrait 20 pages pour un exposé.


          • Sylvain Rakotoarison Sylvain Rakotoarison 23 octobre 2007 20:48

            Merci Bernard.

            Il ne reste plus qu’à l’écrire !

            Cordialement.


          • mike57 19 octobre 2007 09:28

            Arafat ,Nobel de la paix


            • arion92000 19 octobre 2007 11:13

              Le texte est interessant et fait un certain point sur les prix Nobel francais et les ages des laureats.

              Néanmoins je ne suis pas d’accord sur le prétendu clivage bien français entre les expérimentateurs (en bon français) et les théoriciens. Il faut lire pour s’en convaincre « De la physique avant toute chose » d’Anatole Abragam. « La performance du second est nettement plus louable que celle du premier. En termes d’intelligence et d’abstraction... », écrivez-vous. Diriez vous que Copernic était plus intéligent et ses travaux plus louables que ceux de Galillée ? Plus récemment, les découvertes d’Albert Fert ou d’Arno Penzias seraient - elle plus faciles que celles de Peter Higgs et de son boson hypothétique - dont d’ailleurs l’éventuelle découverte au CERN l’indiffére ? Je ne le crois pas, dans tous les cas il y a la meme quantité de travail, d’imagination, de création et de recherche.

              Le texte d’origine d’Alfred Nobel stipule que seront récompensés« ...l’œuvre et les travaux scientifiques (qui) ont apporté une contribution remarquable et permis un progrès considérable des savoirs et des techniques dans le domaine ». C’est ainsi que l’on donnera de préférence le prix à celui qui aura ammené une avancée concréte à court ou moyen terme plutot qu’à une grande théorie. Il y a donc peu de chances, on peut le regretter, que Stephen Hawkins ou Gabriele Veneziano (théories des cordes) aient un jour le prix Nobel.

              S’il existe une dérive des prix, elle serait plutot du coté de l’attribution des prix Nobel de la paix, mais celà est une autre histoire...

              Un scientifique expérimento-théoricien


              • Sylvain Rakotoarison Sylvain Rakotoarison 23 octobre 2007 20:46

                Merci d’avoir corrigé mon terme sans doute trop franglais.

                Comme je l’expliquais, je schématisais sans vouloir faire de dichotomie.

                Je n’ai pas voulu dévaloriser les expérimentateurs par rapport aux théoriciens (étant moi-même un ‘expérimentateur’) , et effectivement, les deux approches sont souvent imbriquées.

                Cordialement.


              • houchmandzadeh 19 octobre 2007 12:58

                Prix Nobel aux expérimentateurs aux dépend des théoriciens ? De Gennes était pur théoricien. Cohen Tanoudji est d’abord théoricien. Des générations de physiciens ont appris la mécanique quantique et l’interaction matière-rayonnement à travers ses cours ; quiconque aujourd’hui veut comprendre la décohérence quantique se réfère à ses cours de collège de France. L’article est bourré de ce genre d’erreur.


                • Sylvain Rakotoarison Sylvain Rakotoarison 23 octobre 2007 20:44

                  À Houchmandzadeh,

                  Relisez, je n’ai pas dit que Pierre-Gilles de Gennes ou Claude Cohen-Tannoudji étaient des expérimentateurs. J’ai moi aussi appris la physique quantique à l’aide des cours de ce dernier (la rédaction d’ouvrages pédagogiques ne constitue pas en soi une avancée de la connaissance théorique, Claude Cohen-Tannoudji a réalisé d’autres travaux que pédagogiques).

                  Cordialement.


                • Sylvain Rakotoarison Sylvain Rakotoarison 23 octobre 2007 20:38

                  Merci de vos contributions et remarques.

                  Mon propos se voulait simplificateur, mais je donnais les grandes tendances qui sont quand même que ce sont des scientifiques déjà reconnus qui reçoivent le Prix Nobel, et assez tardivement par rapport à leur découverte.

                  Même James Watson qui a défrayé la chronique et qui l’a obtenu pourtant à 34 ans a été récompensé 9 ans après la découverte de la structure de l’ADN. Si ce Prix Nobel avait été donné en 1954 ou 1955, ils auraient sans doute été quatre et pas trois, incluant sans doute (enfin, je l’espère) Rosalind Franklin (morte d’un cancer en 1958) et qui fut à l’origine de la découverte.

                  Cela dit, je n’ai donné aucune explication sur la tendance, et à mon sens, c’est plutôt l’évolution de la science, dotée de moyens financiers pour la science expérimentale, et le résultat par pays semble en rapport avec les politiques de valorisation et de financement de la recherche de ces pays.

                  J’ai également évoqué la nationalité française de certains Prix Nobel scientifiques, mais je rejoins complètement la conclusion de Bernard Dugué dans son article sur Albert Fert :

                  « Et comme la science n’est pas un sport, mais a un usage universel, alors on s’en fout un peu, sauf les nationalistes narcissiques. L’essentiel, c’est que des chercheurs trouvent et que les bénéfices de ces découvertes profitent à l’humanité. ».

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès