La guerre des polices refait surface sur fond de discorde interprofessionnelle & l’usage des agents chimiques
Les attentats du mois de novembre ont réveillé d'anciens antagonismes police gendarmerie. Début janvier 2016, le ministre de l'Intérieur a reçu un courrier de la Fédération autonome des syndicats du ministère de l'Intérieur dénonçant « des manœuvres de déstabilisation » et autres dénigrements de gendarmes à l'encontre du Raid et de la BRI suite à leurs interventions au Bataclan et à Saint-Denis. La rodomontade vise les « aspirations expansionnistes de la gendarmerie qui se moque des zones de compétence de chaque force… » Ambiance lors d'une réunion : « Les gendarmes du GIGN auraient-ils été plus prompts que les policiers de la BRI, le soir du 13 novembre, à intervenir au Bataclan ? On a regardé les vidéos, leurs premiers véhicules ne sont arrivés à la caserne des Célestins qu'à 23h15 ! » Un gendarme d'argumenter : « Pourquoi le patron du Raid s'est-il amusé à communiquer sur des tirs nourris de kalachnikovs qui n'existaient pas ? » Un policier de répondre : « Personne ne s'intéresse à la quasi-destruction de l'imprimerie de Dammartin par le GIGN alors que les frères Kouachi ont été tués sur le parking ! »

Cette partie de ping-pong verbal rappelle l'affaire Mohamed Merah dont la Nouvelle République a rapporté les propos d'un ancien sous-officier du GIGN qui a participé au dénouement de la prise d'otage de l'Airbus de Marignane le 26 décembre 1994. Florilège sur l'appréciation des événements de Toulouse : « J'ai regardé le siège en direct à la télévision. Et dès le début, j'ai vu qu'il y avait un problème. (...) Est-ce qu'ils sont arrivés avec leurs gros sabots ou le gyro deux tons, je ne sais pas. (...) Il suffisait de ne pas se faire repérer, de péter la porte avec des explosifs, de rentrer à quinze et c'était terminé. (...) Mais ce que je ne m'explique pas, c'est pourquoi au lieu de geler la situation, ils l'ont laissée pourrir. Ils n'ont fait qu'exciter ce type qui n'était pas suicidaire au départ. Sinon, il se serait tiré une balle bien avant. (...) Trente-deux heures et 50 policiers pour un mec tout seul dans un appartement de banlieue de 40 m2, même s'il est lourdement armé, faut pas me la faire. J'ai fait les comptes. Merah avait avec lui un fusil à pompe, un Uzi, une Kalachnikov et un pistolet 9 mm. En supposant qu'il ait utilisé toutes ses armes en même temps, ce qui est fort improbable, et que les chargeurs étaient pleins, il a tiré 70 cartouches maximum. Maintenant, il faut m'expliquer comment le Raid a pu en tirer 300 ! A la télé, on a entendu les gars rafaler dans tous les sens, c'était affolant. (...) Ils se sont amusés à jeter des grenades dans l'appartement. Ce qui n'a fait qu'exciter le type qui était un jusque-boutiste. A la fin, il a voulu se faire suicider et il a réussi. (...) Il y avait pourtant d'autres moyens pour l'avoir vivant et obtenir des informations sur les ramifications d'Al-Qaïda. Comme le gaz lacrymogène ou même le chien. Ils disposaient de tout le matériel, fibre optique ou caméras thermiques, pour savoir exactement quand intervenir. » (...) De l'amateurisme dans toute sa splendeur. Il suffisait d'intervenir proprement dans la nuit de mardi à mercredi et tout était réglé en quelques secondes. »
Selon le commandant Prouteau, l'ancien patron et père fondateur du GIGN, il aurait fallu « bourrer » Merah de gaz lacrymogènes, d'assurer qu’il n’aurait « pas tenu cinq minutes ». Avait-il en mémoire l'intervention du GIGN en 1979 contre la Grande Mosquée par des gendarmes qui auraient été contraints à se convertir à l'islam avant de pénétrer à l'intérieur de l'édifice ? Ou s'inspirait-il de la prise d'otages du théâtre de Moscou du mois d'octobre 2002 sur laquelle le GIGN a beaucoup « phosphoré » ? Le sous-officier de préciser : « On peut penser que c'est terrible, qu'il y a eu 140 morts dans le théâtre, mais il y avait plus de 750 otages. Il n'y avait pas de solution, vingt-deux femmes martyres étaient prêtes à faire exploser leurs ceintures d'explosifs à tout moment. Mais l'utilisation d'un moyen technique extrêmement novateur, les gaz anesthésiants, a finalement permis de sauver 600 personnes. »
L'idée d'avoir recours à un gaz remonte à 1690, lorsque le magicien Duprè proposa au roi Louis XIV : « une liqueur propre à étourdi l'ennemi ». Le roi refusa le « liquide infernal » et accorda une rente à son inventeur en contrepartie de la destruction des documents dans l'intérêt de l'humanité. La police française sera probablement la première à utiliser des gaz lacrymogènes en 1912. Les agents chimiques sont répartis entre agents létaux et non-létaux ou incapacitants, mais l'utilisation d'un agent chimique en opération de police n'a d'intérêt que par : sa fiabilité - à pouvoir être dispersé sous forme de vapeurs ou aérosol - être absorbé par inhalation - la marge importante entre la dose incapacitante et la dose létale (DL) - une courte période de latence - la persistance des effets - la récupération et son élimination totale par l'organisme - ne pas être explosible ni inflammable - rapidité dans les soins dispensés.
De nombreux agents chimiques ont été testés principalement durant la guerre froide : anesthésiants, cocktail de narcotiques, d'hypnotiques, barbituriques, d'agents psychochimiques : drogues, hallucinogènes, etc. La différence entre un agent létal et incapacitant réside souvent dans la quantité inhalée et la durée d'exposition. Le calcul du dosage prend en compte le coefficient moléculaire de l'agent et le volume de la pièce ; l'usage de CS avec une DL 50 dans une pièce de 1000 m3, par exemple, correspond à 25 grammes et 28 minutes (DL 100 à 56 min). L'intervenant doit colmater l'interstice sous la porte palière et les conduits de ventilation afin d'accroitre l'effet de confinement, mais aussi éviter que les intervenants soient exposés à des fuites gaz résiduels (retour de gaz, masque défaillant). Les effets d'une exposition à de fortes concentrations de gaz résiduels se manifestent par les signes annonciateurs suivants : étourdissements, vertiges, nausées, maux de tête.
Après ces considérations techniques sur l'emploi des gaz, revenons à l'opération de Toulouse. L'intervention du RAID a un volet technique et judiciaire, mais aussi politique. Il fallait s'emparer de Mohamed Merah vivant. Capturer vivant ce genre d'individu est source d'information. La tactique du RAID à en conséquence été celle de privilégier la négociation tout en jouant l'épuisement. Cette tactique aurait très bien pu aboutir si elle avait été conduite à terme. Lors de son intervention en 1993 suite à la prise en otages d'enfants de l'école maternelle de Neuilly, le siège avait duré deux jours jusqu'à ce que le preneur d'otage s'écroule ivre de sommeil, ses explosifs toujours à portée de main.
Une technique similaire a-t-elle d'abord été initiée lors de l'affaire de Saint-Denis avant que le procureur parle de « tirs très nourris et quasi ininterrompus » essuyés par les policiers, ce dont semble douter le service technique de la police scientifique : « Ils ont beau chercher dans les décombres, ils ne trouvent pas d’autres éléments balistiques attestant du déluge de plomb supposé s’être abattu sur leurs collègues. » Après avoir tamisé les gravas des décombres, onze munitions tirées par pistolet semi-automatique de marque Browning, calibre 9 mm ont été attribuées aux terroristes contre plus de 1 500 du côté des forces de l'ordre (source DGSI & SDAT). Ces détails allaient faire les choux gras de Mediapart qui relève qu'aucun des 1 500 projectiles tirés par les policiers n'auraient atteint leurs cibles... Le journal de préciser à propos d'un porte-boucliers, de quatre boucliers et d'un casque de protection : « dix-sept impacts sont recensés sur l’avant et peuvent donc, a priori, être attribués à des tirs effectués par les terroristes, au moins quarante autres impacts figurent à l’intérieur des équipements de protection, » ce qui laisserait à supposer que ces impacts proviendraient de tirs policiers ! Mediapart de s'interroger sur les propos du directeur du Raid qui avait parlé de « ripostes à la kalachnikov », de jets de « grenades offensives » (...) « Cinq de nos hommes sont blessés, certains par balles, d'autres ont pris des morceaux d'explosifs. Ils ont été touchés aux bras, aux jambes, aux mains, dans le bas du dos. » et la déclaration du ministre de l'Intérieur disant que les policiers avaient « essuyé le feu pendant de nombreuses heures dans des conditions qu’ils n’avaient jusqu’à présent jamais rencontrées ». Des doutes subsistent encore sur les circonstances de la mort de Diesel. Le chien d'assaut aurait été fauché par une balle Brenneke de calibre 12 !
S'il faut analyser les faits et leurs enchaînements lors des séances de debriefing, ce genre de polémique étalée en place publique est totalement absurde et stérile, voire puérile, comme si diminuer un acteur grandissait l'autre. Les gendarmes impliqués semblent pour leur part atteints d'amnésie rétrograde... Les trois services : BRI-Raid & GIGN ont leur raison d'être et une quatrième unité calquée sur le principe du Commandement des Opérations Spéciales (COS) intervenu le 25 juillet 2003 lors de l'opération « Victor » qui comprenait des gendarmes, des commandos marine et des militaires appartenant au 11° choc finira par s'imposer.
Les organisations auxquelles nous sommes confrontés semblent pour l'instant n'avoir engagé une réflexion sur cette tactique opérationnelle de nature terroriste, mais qu'adviendra-t-il le jour où ils trouveront leurs idéologues et théoriciens ? « On ignore combien et quels types d'armes sont stockés dans nos banlieues régies par d’autres lois que celles de la république. » Les militaires répètent depuis plusieurs années : « Les combats de demain ne seront pas ceux d’hier, et l’armée se battra en ville. (...) Ce sont des combats de grande intensité qui nécessitent des relèves. » (programme Scorpion). Chaque type de menace nécessite une formation différente et la capacité d'affronter différentes formes de menaces hybrides requière la mise en place de groupes d’intervention pluridisciplinaires, sorte de boite à outils formant un bouquet de compétences réunissant des spécialistes : Nedex, RGE, génie, NRBC, CT, et des collaborateurs : interprètes, ethnopsychiatres, psychosociologues, architectes, urbaniste, spécialistes du milieu maritime, lacustre & fluvial, aérien, du transport, des sites Seveso, liste non exhaustive. Les grandes interrogations, leur articulation, leur commandement et leur rattachement ?
Petite phrase du jour : On ne se baigne jamais deux fois dans la même eau d'un fleuve.
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