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La mort du Prince des dandys

Il y a, dans la vie, d'étranges coïncidences. J'étais en train d'écrire sur la mort de David Bowie, disparu, il y a un peu plus de trois mois à peine, le 10 janvier dernier, lorsque j'ai appris, vers vingt heures, ce 21 avril, le décès, à l'âge de 57 ans seulement, de Prince – Prince Rogers Nelson, né le 7 juin 1958 à Minneapolis, de son nom à l'état-civil –, autre icône du pop rock, teinté, en ce qui le concerne, d'un funk mâtiné de soul : une sorte de géniale synthèse, fantasque et électrisée, débridée et pourtant rigoureuse, entre Little Richard, James Brown et Michael Jackson, autres grands défunts.

En cet émouvant cimetière des éléphants du rock, gît bien sûr aussi celui qui, artiste culte parmi les artistes cultes, influença de manière déterminante, à l'aube de sa carrière, Prince : Jimi Hendrix, dont les légendaires solos de guitare ne sont pas sans rappeler les riffs tout aussi ébouriffants de ce même Prince. Hey Joe, du premier, et Purple Rain, du second : deux hymnes incandescents, tout aussi mythiques, à vous donner la chair de poule et à vous faire chavirer en une tempête d'émotions, de la musique rock en ce qu'elle a de plus créatif, tendrement insolent, audacieusement jouissif et terriblement libre à la fois. Magique !

 

LIBERTE ET INDEPENDANCE

La liberté, sans compromis ni concessions : c'est elle, cette indocile déesse tant chérie par ce « prince des nuées » qu'est le poète-albatros, comme le qualifia jadis Baudelaire en ses vénéneuses Fleurs du mal, qui caractérisa le plus, tout au long de sa tumultueuse mais fabuleuse existence, Prince.

Prince : le prince, par cet intraitable esprit de liberté précisément, des dandys !

De cette belle âme rebelle, de cet indomptable esprit d'indépendance tout autant que de cette foncière insoumission à l'ordre établi, Barbey, dans Du dandysme et de George Brummell, à une sentence définitive :

« Ce qui fait le Dandy, c’est l’indépendance. Autrement, il y aurait une législation du Dandysme, et il n’y en a pas. ».

Il insiste, dans la foulée, y donnant, par la même occasion, une définition aussi pertinente qu’originale du dandy :

« Tout Dandy est un oseur, mais un oseur qui a du tact, qui s’arrête à temps et qui trouve, entre l’originalité et l’excentricité, le fameux point d’intersection de Pascal. ».

Barbey ne se contente toutefois pas d’y livrer cette juste définition du dandysme. Il y apporte aussi d’importantes précisions, aux niveaux sociologique et psychologique, quant à sa véritable nature, toute en nuances :

« Ainsi, une des conséquences du Dandysme, un de ses principaux caractères (…) est-il de produire toujours l’imprévu, ce à quoi l’esprit accoutumé au joug des règles ne peut pas s’attendre en bonne logique. (…). C’est une révolution individuelle contre l’ordre établi, quelquefois contre nature (…) ».

 

SE POSER EN S'OPPOSANT : SINGULARITE ET DISTINCTION

Sur cette rébellion du dandy, mais aussi sur son extrême discipline, quasi ascétique, presque monacale paradoxalement, Albert Camus a, dans L'Homme révolté, des phrases judicieuses par leur subtilité tout autant que leur profondeur. Reprenant à son compte cette « mort de Dieu » qu'annonça Nietzsche dans Le Gai Savoir puis qu'il réaffirma dans le prologue d'Ainsi parlait Zarathoustra, il y stipule :

« Le dandysme est une forme dégradée de l'ascèse. Le dandy crée sa propre unité par des moyens esthétiques. Mais c'est une esthétique de la singularité et de la négation. (…). Le dandy est par fonction un oppositionnel. Il ne se maintient que dans le défi. La créature, jusque-là, recevait sa cohérence du créateur. À partir du moment où elle consacre sa rupture avec lui, la voilà livrée aux instants, aux jours qui passent, à la sensibilité dispersée. (…). Le dandy (…) se forge une unité par la force même du refus. »

Il conclut, non moins opportunément :

« Le dandy ne peut se poser qu'en s'opposant. (…). Sa vocation est dans la singularité, son perfectionnement dans la surenchère. Toujours en rupture, en marge (...) Il n'est qu'un honneur dégradé en point d'honneur. (…) L'art est sa morale ».

Le portrait tout craché de Prince, certes toujours transgressif, sulfureux même, avec des titres aussi érotiquement suggestifs, presque pornographiques, que le tube planétaire Kiss ou, pis encore, le très provocant Sexy Mother Fuck  ! Prince pourtant, ainsi paré de ses éternels jabots, ses fastueuses redingotes, ses gilets de soie, ses chemises blanches à dentelles, ses cols cassés et ses bijoux scintillants, était d'une rare élégance, tant vestimentaire que gestuelle. Ainsi, en constante représentation de lui-même, à l'image de toute icône précisément, paraissait-il toujours sorti tout droit, sur scène comme sur ses photos, d'un tableau du dix-huitième siècle. Pour peu, on l'aurait vu parader, à l'instar du titre de l'un de ses meilleurs albums (Parade) et discourir nonchalamment, en plein Paris, Ville-Lumière dont il raffolait, aux côtés de Voltaire, Diderot ou des Encyclopédistes, voire de Louis XVI en personne, si celui-ci n'avait pas perdu la tête, un jour de trop grande ivresse révolutionnaire, sous une sanguinaire et bien peu reluisante guillotine.

Quant à cet « imprévu » caractérisant, selon Barbey d'Aurevilly, le dandy et donc Prince par excellence, il n'est ps exagéré de dire qu'il illustre à merveille ce que Jacques Lacan, maître de la psychanalyse contemporaine, nommait, pour définir l'inconscient, l' « objet petit a » : il n'est jamais là où l'on croit qu'il est, et est toujours là où on croit qu'il n'est pas. La prise de risque est immense, palpable, et la mise en danger non moins évidente, tangible. Cet inclassable qu'était Prince avait décidément, en plus de son indéfectible panache, de la classe !

 

UNE OEUVRE D'ART VIVANTE

Il était, racé comme une panthère noire et gracile comme un jeune poulain, la grâce personnifiée, d'une extraordinaire et séduisante finesse : le charisme incarné. L'aura de mystère qui l'entourait, sa naturelle distinction, au double sens du terme (distingué et différent), en faisait un être singulier, dans la double acception là aussi (unique et inhabituel), semblable à une œuvre d'art vivante : quintessence du dandysme !

Oscar Wilde, le plus flamboyant des dandys de son temps, écrit à ce sujet, dans le célèbre Portrait de Dorian Gray  : « Il arrive qu'une personnalité complexe prenne la place et joue le rôle de l'art, qu'elle soit en vérité, à sa façon, une véritable œuvre d'art, car la Vie a ses chefs-d’œuvre raffinés, tout comme la poésie, ou la sculpture, ou la peinture. ». Il renchérit, dans cet aphorisme-clé de ses subversives Formules et maximes à l’usage des jeunes gens  : « Il faut soit être une œuvre d’art, soit porter une œuvre d’art. ».. Fulgurant : tout est dit !

 

LE PRINCE CHARMANT

Adieu donc, très cher et beau Prince charmant ! Reposez à jamais, au royaume des morts, en paix : l'immortel David Bowie, ce « duc blanc » (The Tin White Duke) comme ma génération aujourd'hui endeuillée le surnomma dans les glorieuses années 80, et en qui vous reconnaissiez humblement l'un de vos maîtres en matière d'invention musicale et l'un de vos modèles sur le plan de la création artistique, vous tient à nouveau, désormais, compagnie. Un fameux duo, le vôtre : inégalable !

Moi, triste et de plus en plus nostalgique face à ma jeunesse qui, avec votre définitif départ, fout ainsi encore un peu plus le camp, je me sens de plus en plus seul, comme orphelin de mes rêves : avec le temps, cet impitoyable fossoyeur de la vie, va, tout s'en va, comme le chantait si tragiquement bien, bouleversant de vérité, Léo Ferré.

Purple Rain : les larmes, en ces doux mais ternes jours de printemps, sont pourpres, pareilles à l'éternelle et royale couleur du Prince !

 

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

 

*Philosophe, auteur de Philosophie du dandysme - Une esthétique de l'âme et du corps (Presses Universitaires de France), Oscar Wilde - Splendeur et misère d'un dandy (Éditions de La Martinière), Lord Byron (Gallimard-Folio Biographies). A paraître : Petit éloge de David Bowie - Le dandy absolu (Éditions François Bourin).


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4 réactions à cet article    


  • Piere CHALORY Piere CHALORY 25 avril 2016 10:24

     Les goûts & les couleurs...


    Autant Bowie était un dandy indiscutable, autant Prince & ses 1 mètre cinquante fut physiquement nettement plus proche du dindonneau que de ce qu’il est convenu d’appeler un dandy, ce mot connote automatiquement ; implique en effet un genre de gens assez éloigné du regretté Prince...

    Sans parler de la ringuerie sonore générale et du son surgras de Purple rain, par exemple. 

    Vous aurez compris que je n’appréciais pas particulièrement Prince, enfin il est mort à 57 ans, c’est un peu jeune.

    Paix à ses cendres.

    • Fergus Fergus 1er mai 2016 11:56

      Bonjour, Piere CHALORY

      J’approuve votre commentaire, même si je n’étais pas non plus très amateur de Bowie, nettement plus intéressant pour sa présence scénique que pour la piètre qualité de son répertoire.


    • Phoébée 25 avril 2016 14:09

      J’ai regardé hier une série Vinyle, un truc hallucinant, une série. C’est mauvais et ca fait mal aux oreilles. Par contre c’est sans pitié pour ce monde de crétins qu’est la variété internationale. Votre dandy en faisait partie au même titre que Bowie n’en déplaise à l’intervenant ci-dessus.


      • oula (---.---.86.135) 25 avril 2016 20:52

        @Phoébée

        Je me demande ce qui est le plus misérable, ce que la société sort comme « merdes », ou bien tous ceux qui aiment ces dites « merdes ».

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