Pluralité de médias ne signifie pas pour autant pluralisme d’opinions. Quand les médias se copient, ce psittacisme ressemble au monopole de l’information propre à la tyrannie. Leur nombretend même à faire illusion et ne sert qu’à le masquer. On n‘y est jamais tant sensible que lorsqu’on en fait soit même l’expérience.
On vient de publier, vendredi 10 juin 2011, un livre intitulé, « L’affaire DSK, deux hypothèses pour une énigme » (1). L’Express.fr a été, semble-t-il, le premier site à en annoncer la parution, vendredi en fin d'après-midi, parmi d’autres livres inspirés par DSK (2). L’AFP et Le Nouvel Obs.com ont suivi de peu. Puis, dans la soirée et la nuit, les référencements sous Google ont poussé comme champignons après la pluie : La Croix, Le Télégramme, France Soir, Le Point, le Parisien, RTL, Les Échos, etc. (4) Or que relève-t-on à la lecture de ces sites ? Trois singularités.
Une première singularité : le plagiat
La première est que cette pluralité apparente de médias perd toute signification : ils se pillent et se copient les uns les autres pieusement et copieusement. On distingue deux types d’articles.
1- L’un paraît avoir pour matrice celui de L’Express avec pour titre « DSK, muse des auteurs et manne des éditeurs », et cette présentation : « « L'affaire DSK : deux hypothèses contraires pour une énigme » de Pierre-Yves Chereul, aux éditions Golias, ouvre le bal des publications ce vendredi. Le rédacteur d'AgoraVox y montre comment l'Amérique, au travers de ses médias, a mis "au pilori" la présomption d'innocence. Il cite évidemment la sortie menottée du commissariat de police et l'entrée au tribunal le 6 juin sous les "Shame on you". »
2- L’autre plagie l’AFP en reprenant mot pour mot une « dépêche » intitulée « Avalanche de livres sur l'affaire DSK » : « L'affaire DSK : deux hypothèses pour une énigme" (éditions Golias) de Pierre-Yves Chereul, rédacteur d'AgoraVox, s'interroge sur les médias et la partialité des informations qu'ils mettent en avant. » « Et ça commence, aujourd’hui, vendredi 10 juin 2011, écrit alors de son côté le Nouvel Obs.com, avec un essai de Pierre-Yves Chereul, « L’Affaire DSK : deux hypothèses pour une énigme » (éditions Golias), dans lequel ce rédacteur d’AgoraVox s’interroge notamment sur le rôle joué par les médias et sur leurs choix éditoriaux ». On aura remarqué l’usage de l’euphémisme pour ménager les médias : « la partialité des informations » devient les « choix éditoriaux » !
2- Une deuxième singularité : l’absence de vérification de l’information
Si encore cette présentation du livre était exacte ! Mais les modèles sont erronés et les plagiaires répètent donc forcément les mêmes erreurs, faute de vérifier l’information. Où est donc le respect de la fameuse règle tant vantée par la mythologie journalistique qui fait un devoir de vérifier une information avant de la publier ? Elle est ici allègrement violée en chœur.
1- Un site procède, par exemple, à une usurpation comique de titre : « En tête de ce classement de rapidité, écrit-il, figure aussi l'auteur Pierre-Yves Chereul, rédacteur en chef d'AgoraVox. » On voudrait rassurer Carlo Revelli, directeur d’AgoraVox : on n’est pour rien dans cette prétention à lui disputer sa fonction. On est seulement rédacteur d’AgoraVox, fidèle sans doute, mais seulement rédacteur.
2- Ensuite, dans leur précipitation à vouloir mener la course en tête, certains sites présentent le titre provisoire donné d’abord au livre avant le choix définitif de l’éditeur : « L’affaire DSK, deux hypothèses contraires pour une énigme ». L’adjectif « contraires » a été effacé dans la version finale parue le 10 juin.
3- Surtout, cette précipitation prouve que TOUS les médias parlent du livre SANS L’AVOIR LU, pas même parfois sa présentation en 4ème de couverture. Ils auraient pris la peine de l’examiner, ils auraient évité de livrer une représentation aussi inexacte du livre.
- Dans la plupart des médias, le livre est présenté en deux ou trois lignes comme une critique de la partialité de l’information délivrée sur l’affaire par les médias : « "L'affaire DSK : deux hypothèses pour une énigme" (éditions Golias) de Pierre-Yves Chereul, rédacteur d'AgoraVox, s'interroge sur les médias et la partialité des informations qu'ils mettent en avant. » Or, cette critique des médias occupe tout juste 15 % du livre, 13 pages sur 85 !
- Une lecture attentive de la 4ème de couverture aurait permis aux médias de ne pas tromper leurs lecteurs. Certains, Dieu merci, la reproduisent, mais beaucoup l’ignorent. Or qu’y apprend-on ? On y découvre que le livre s’applique à respecter une règle énoncée par Fontenelle en 1686 dans « L’histoire des oracles » au sujet cette histoire de « dent d’or » qui, disait-on, était poussée à un enfant et avait suscité l’enthousiasme dans le pays et des élucubrations d’augure de la part de cuistres réputés savants. Or, ce n’était qu’un leurre du père qui avait recouvert cette dent d’une feuille d’or pour faire parler de lui… « Assurons-nous bien du fait, prévient Fontenelle pince-sans-rire, avant que de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait ; mais enfin nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est point. »
- « Ce livre, annonce, en effet, la 4ème de couverture, fait de (l’ affaire DSK) un cas pratique d’une approche prudente de l’information, comme on avance sur un chemin de crête vertigineux en se gardant de verser d’un côté ou de l’autre, faute d’indices décisifs. » Les médias sont certes critiqués pour leurs conclusions hâtives et aventurées, mais c’est une méthode d’analyse de l’information qui est essentiellement illustrée dans ce livre sans vaine polémique.
3- Troisième singularité : le soupçon malveillant de la cupidité éditoriale
Rien ne remplace la lecture d’un livre avant de pouvoir en parler. On s’épargne le ridicule d’ignorer le sujet qu’il traite et de prêter à l’auteur et à l’éditeur des motivations douteuses.
- Ainsi L’Express fait-il croire qu’il a lu le livre en prétendant qu’y est citée « l'entrée (de DSK) au tribunal le 6 juin sous les "Shame on you" », criés par des femmes de ménage réunies dans "la manifestation spontanée organisée" du 6 juin. Même si l’événement avait toute sa place dans le livre parmi les indices étudiés qui plaident en faveur de l’une ou l’autre hypothèse, il n’y figure pas pour la bonne raison que le bon à tirer du manuscrit avait été donné la semaine précédente. En revanche, on en a fait un article paru sur AgoraVox, le 8 juin ! (3)
- À défaut de pouvoir critiquer le contenu du livre, on en vient donc à jeter le soupçon sur son existence : « DSK, muse des auteurs et manne des éditeurs », titre encore L’Express. Or, qu’y a-t-il de répréhensible à saisir l’instant où l’attention des citoyens est captée par une affaire très singulière pour proposer une représentation qui se distingue de celle des médias officiels ? Alors que l’affaire vient de commencer, est-il inconvenant de publier un livre pour faire le point, montrer que beaucoup vont bien vite en besogne et mettre en garde contre des conclusions hâtives ? Le format d’un article était insuffisant pour passer en revue les informations disponibles et les analyser. « La manne » qu’on reproche aux éditeurs de rechercher, est-elle d’ailleurs si illégitime ? Dans la société libéraliste, vit-on d’amour et d’eau fraîche ? Peut-on en vouloir à un éditeur de tenter de publier une réflexion qui ne reste pas confidentielle ?
En fait, cette partialité voulue ou étourdie dans la présentation de ce livre est comparable à celle dont nombre de médias ont fait preuve dans « L’affaire DSK ». On n’en sait pas grand chose, mais on juge. On n’a pas lu le livre, mais on abuse ses lecteurs en recopiant servilement les articles des autres et avec eux leurs erreurs. On songe à "La parabole des aveugles" peinte par Brueghel l’Ancien, exposée au Musée de Capodimonte à Naples : on y voit un aveugle entraîner une file d’autres aveugles qui se tiennent par le bâton sur l’épaule, dans un trou… Face à cet aveuglement, ce livre ne pouvait donc mieux tomber ni trouver meilleure justification en proposant de « (faire) de (l’affaire DSK) un cas pratique d’une approche prudente de l’information, comme on avance sur un chemin de crête vertigineux en se gardant de verser d’un côté ou de l’autre, faute d’indices décisifs ». On va objecter qu’on l’a déjà dit plus haut ! On le sait. Si on se répète, c’est parce que les médias de Panurge ne savent pas lire ! Paul Villach
(1) Pierre-Yves Chereul, « L’affaire DSk, deux hypothèses pour une énigme », Éditions Golias, Lyon/Villeurbanne, 10 juin 2011.
(2) Anne Dumoulin, « DSK, muse des auteurs et manne des éditeurs », L’Express, 10.05.2011, 17heures.
(3) Paul Villach, « DSK : deux barbares chorégraphies pour une redécouverte de l’Amérique ! », AgoraVox, 8 juin 2011
(4) Liste non exhaustive des référencements du livre sous Google :