La problématique de l’éveil
Un terme nouveau apparaît, wokenisme.
Il faut être woke, c'est-à-dire éveillé.
Si on parle beaucoup de « wokenisme », que je nommerais en français « éveillisme », c'est aussi avec une critique qui va jusqu’à parler de racisme anti-blanc.
C’est absurde. Le racisme est une spécificité blanche ou plutôt occidentale qui part des théories du dix-neuvième siècle d’hérédité-dégénérescence et prétend une supériorité de la race blanche sur les autres avec des degrés de supériorité, théories qui ont conduit au nazisme.
Que ce soient les formes d’extrême droite, qui représentent le racisme et l’antisémitisme incarné, qui parlent de racisme anti-blanc est assez révélateur. Ce sont ceux qui évoquent ce terme qui sont racistes. Pour eux, les non-blancs sont des êtres inférieurs et n’ont pas à revendiquer de droits.
L’éveillisme est simplement la constatation que l’occidental blanc est un oppresseur, par l’esclavage d’abord, la colonisation ensuite, le néocolonialisme, la ségrégation et la discrimniation.
Cela est indéniable si on regarde les siècles passés ou présents.
Le fait de revendiquer des droits est lui-même un droit incontestable.
Par contre, ce qui constitue un abus, c’est à partir de ces faits, de cette histoire, de cette réalité, de considérer que le mâle blanc est « en-soi » un ennemi. Ce n’est pas du racisme, car il n’y a pas de notion d’infériorité, mais la définition d’un point à partir duquel il est considéré comme le bourreau, quoiqu’il fasse et quoiqu’il dise. Sa parole n’a plus de valeur. Il doit être détruit, éliminé, « cancelled ».
C’est en fait l’explosion des identités, des séparatismes de l’insupportable négation de l’offense faite à tel ou tel groupe.
Les œuvres du passé sont revues et corrigées, les groupes se ferment, les conflits se généralisent.
Cela vient de la frustration dans le capitalisme. Nul ne veut plus être dominé et comme la domination est au centre du système capitaliste, chacun veut sa part de domination sur autrui.
Les blancs refusent de décoloniser, les noirs les accusent de racisme, et se réunissent entre eux, les homos veulent devenir le centre du monde, les musulmans radicaux veulent créer une guerre totale contre les mécréants, etc. par ailleurs, les minorités elles-mêmes ne s’entendent pas du tout, par exemple entre les féministes et les musulmans, ou entre les LGBT et les décolonialistes. Une guerre civile universelle semble se réparer où l’individualisme ultralibéral accompagné du communautarisme radical emporte tout sens commun. Il n’y a plus d’espace pour le citoyen autonome de la république. L’explosion de le dissociété en quelque sorte. Même les ténors de la république se laissent emporter dans la défense des intérêts particuliers.
À priori, pourtant, l'idée est séduisante. Reconnaître à chaque minorité ses droits, revenir sur des passés obscurs, le regarder en face sans en cacher les turpitudes, cela devrait nous faire progresser.
Mais au contraire, au lieu de libérer la parole entre les êtres, ce mouvement consiste à priver celle-ci à ceux qui sont censés être des bourreaux ontologique, et à ne faire parler qu'entre soi. Il n'y a plus de dialogues, mais des multilogues centrés entre mêmes qui refusent de côtoyer les autres.
À partir de là on voit un point d’inflexion qui fait passer l’éveillisme d’un mouvement revendiquant des droits, ce qui est légitime à un mouvement revendiquant la suppression de droits à un groupe d’êtres humains a priori condamnés par l’histoire, ce qui devient dangereux et commence à ressembler à un nouveau totalitarisme. Il s’agit d’une sorte de puritanisme politique, où les purs, c’est-à-dire les minorités qui se considèrent opprimées, au-delà de leurs droits légitimes, décrètent l’abolition de l’impur, l’oppresseur ontologique. Celui-ci n’a rien à dire, n’a pas accès à une quelconque défense, a perdu toute légitimité et tous droits.
Car il existe une différence fondamentale entre dénoncer un système d’oppression et considérer que tel groupe humain est responsable de cette oppression en les jugeant non entant que personnes concrètement responsables de faits qu’eux mêmes ont commis, mais en tant que groupe.
Lorsque le pire régime jamais régnant a été vaincu, le nazisme, ce n’est pas la population allemande dans son ensemble qui a été condamnée, mais les responsables nazis, pour les crimes réels qu’ils ont commis.
Lorsque l’apartheid a été aboli en Afrique du Sud, les blancs ne se sont pas trouvés condamnés en tant que blancs, même si leurs actions concrètes ont été jugées.
L’éveil, le vrai, ne peut venir que du dialogue. L’éveil des minorités à réclamer leurs droits, toute leur place dans la société, mais aussi celui des occidentaux, de cesser de se considérer comme des êtres supérieurs, voire des êtres supérieurs déchus, qui voient le développement de ces droits, ou l’environnement sociétal qui se diversifie, comme une menace.
L’impasse vient que pour casser la soumission, il faut non pas se mettre à dominer à son tour, ce qui ne fait que déplacer le problème, et crée une hostilité entre les nouveaux et les anciens dominants, mais casser le système capitaliste lui-même.
Il ne sert à rien pour le féminisme, par exemple, de remplacer un pédégé par une pédégère, mais de casser la nécessité d’avoir un ou une pédégé[1] ; c’est-à-dire d’obtenir une démocratie sociale qui dépasse le système capitaliste et sa chaîne de la domination.
Mais les politiciens ne peuvent aller dans cette démarche, car elle implique une modification tellement radicale de peser que l’idée même ne les effleure pas, et si elle le fait, ils tremblent d’effroi devant les conséquences, qui sont la perte de leur propre pouvoir. Qu’un personnage comme celui de Mélenchon ne veuille pas d’une société où chaque citoyen est vraiment l’égale de l’autre est normal, car cela détruirait son propre ego. La gauche radicale s'est détournée du social, dans la mesure où la transformation exigée se heurte au turbo-capitalisme avec ses cohortes de think tank et appuyés par les GAFAS.
Or, aucune vraie évolution sociétale ne peut s’accomplir sans également une évolution sociale. La néo-gauche pro-libérale est en train de l’oublier et creuse ainsi sa propre tombe, laissant les classes populaires qu’elle abandonne rejoindre les sirènes de l’extrême droite.
Nous sommes alors dans une impasse où la seule issue c’est l’auto-organisation sociale et sociétale post-capitalistique.
Dans sa poursuite jusqu’à l’absurde, l’éveillisme, au lieu de libérer socialement et sociologiquement, peut aller jusqu’à abolir toute culture blanche, c’est-à-dire de fait européenne.
De Homère à Proust, de Le Titien à Picasso, de Buxtehude à Boulez, il faut détruire cette culture. il faut détruire tout de ce qui représente l’Europe dans les arts et les sciences. Notre petit macron ne vient-il pas de déclarer qu’il fallait détruire l’histoire elle-même (il a employé le terme moins effrayant de « déconstruire l’histoire », mais c’est la même idée)
Adieu Platon, Aristote, Newton, Kant, Descartes, Voltaire, Leibnitz, Copernic, Galilée, Hegel, Freud, Spinoza, tous à la poubelle de l’éveil. Un éveillé doit ignorer toute cette fabuleuse histoire humaine. Et ne lire que des auteurs désoccidentalisés.
Adieu Shakespeare, Molière, Sophocle, Euripide, Dante, Cervantès, Balzac, Corneille, la nouvelle littérature doit être passée au peigne fin pour que ne subsiste que de les œuvres purifiées de l’occident oppresseur.
Si l’humain est un nain sur des épaules de géants, que serons-nous sans ces grands ancêtres ?
Il faudra aussi condamner ceux qui ont développé la physique blanche. Einstein, Hoppenheimer, Schrödinger, et renoncer à la fois à la physique quantique et la relativité, marquée indéniablement par la blancheur de leurs concepteurs. Cela reviendra à renoncer à tout voyage dans l’espace, tout lancement de satellite, et renoncer définitivement au GPS et à internet.
Je pense qu’il y a là un bug fondamental des éveillistes technophiles, type New York Times, Google, Facebook, Microsoft ou autre (d’ailleurs dirigés eux-mêmes essentiellement par des mâles blancs...). Comme une atteinte schizophrénique de leur cerveau, une faille dans leur programme réflexif. Ils sont centrés sur un monde dont ils veulent nier les fondements. Mais faisant cela ils scient la branche sur laquelle ils s’appuient.
Quel est leur but ? l’attaque vient du pays le plus hégémonique de la planète et prétend renoncer à toute hégémonie, sauf qu’ils visent une cible bien particulière. L’Europe. Ce mouvement n’a pas pour but de libérer les peuples opprimés, venant de l’oppresseur fondamental actuel, mais de détruire les résistances à son hégémonie sans borne.
La Russie est visée, la Chine, pour d’autres raisons que sa blancheur immaculée, est également visée, mais de même l’Europe, comme berceau de la démocratie moderne, grâce au développement de la philosophie des lumières, est dans le collimateur.
Il s’agit d’éliminer l’Europe en tant que puissance par le biais de la critique de son histoire. Car les états-uniens veulent désormais une suprématie absolue sur la planète, sans condition, sans contrepartie, sans opposition, sans rien.
Pour cela, ils ont l’habitude de détruire l’ennemi de l’intérieur, en l’accusant de tous les maux, comme autrefois l’Union Soviétique avec les droits de l’homme qui leur ont permis de la détruire. Ils se foutent des droits de l’homme. Mais en leur nom, ils sont capables de génocider n’importe quelle population. Vous êtes contre les droits de l’homme, alors on vous extermine. Sous Eltsine, amis des états-uniens, la dégradation physique et économique de la Russie a été sans précédent. Est-ce donc pour le peuple russe qu’a été intronisé Eltsine ?
Ils se foutent des minorités, mais ils en font un cheval de bataille pour affaiblir l’Europe dans sa croyance en elle-même, en son avenir, et dès que leur stratagème aura fonctionné, ils nous détruiront.
Pourquoi ? Parce que malgré la veulerie des instances européennes, celle-ci constitue encore un socle cohérent qui prétend vouloir développer sa population et la protège des entreprises multinationales américaines, comme les GAFAS. Même si ce n’est qu’une infime pichenette de résistance à l’hégémonie états-unienne, même si les Européens, et la commission, sont aux ordres des USA, le fait qu’il y ait ce début de semblant d’une ébauche de résistance suffit à excéder les états-uniens et notamment les milliardaires démocrates, car cela empêche la pleine réalisation de leurs plans d’optimisation des taux de profits de leurs entreprises.
La gauche européenne, et surtout française, y compris LFI, ne doit pas tomber dans le piège, car il s’agit bien d’un piège, à deux fonds.
Le premier est de faire le jeu de l’extrême droite en donnant des exemples d’incohérence, de discrimination, de communautarisme. Aux communautés il faut préférer la République pour toutes et tous. C’est le piège immédiat.
Le second piège est d’affaiblir cette République en attisant les communautés, de diviser le pays en différentes minorités, sous-minorités, ce qui empêche une vision d’avenir et permet aux pays extérieurs, dont les USA, de profiter de cet affaiblissement pour nous anéantir par la mise en place d’attaque par le turbocapitalisme. Détruire les universités, détruire la recherche, détruire notre capacité cognitive, détruire notre capacité productive, détruire notre système économique, social, politique et sanitaire, qu’à la fin nous soyons les vassaux absolus et sans force ni conviction. Un pays sans État ouvert à un turbocapitalisme aveugle et sauvage.
Si les États-Unis se sont servis et se servent de terroriste islamistes pour déstabiliser leurs ennemis, ce n’est pas par amour des musulmans ou par crainte du Coran, mais pour que ces groupes terroristes les servent, y compris en opprimant les musulmans eux-mêmes.
Si les états-unis se servent de l’éveil des minorités, ce n’est pas par prise de conscience des méfaits du racisme, de l’esclavage ou de la ségrégation, cette dernière restant largement répandue dans leur propre pays, mais comme un moyen de poursuivre la course effrénée de leurs intérêts et du profit de leurs grands holdings turbocapitalistes, liant la finance, les hypertechnologies immatérielles et l’exploitation sans borne des ressources de la planète. Leur seul moteur est la course à l’argent, il ne faut pas se leurrer.
La gauche a un autre modèle à proposer, celui de la liaison entre le social et le sociétal, où la libération de l’un est la condition de la libération de l’autre. Il ne sert à rien de s’éveiller si l’éveil consiste simplement à remplacer une oppression par une autre. Il faut faire disparaître le système d’oppression lui-même, le capitalisme devenu turbocapitalisme.
Pour cela, un dialogue entre les personnes de différentes couleurs est nécessaire, constituant un kaléidoscope d’où aucune n’est ôtée.
[1] Lorsque Catherine Millet déclare que pour elle il n’y a pas de frontière entre le sexe et le travail, elle se montre autant prédatrice que n’importe quel mâle prédateur. Des deux côtés manque le respect pour la personne humaine et la séparation entre l’intime et le public. C’est demander de la part de ses employés une totale aliénation.
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