La santé, plaque tournante de l’exploitation capitaliste
Sous l’impulsion du pouvoir alors en place, messieurs Bernard Debré et Philippe Even ont consacré un rapport aux leçons à tirer de l’affaire du Médiator. Manifestement, il s’agissait pour eux de s’engouffrer dans une brèche, comme s’ils en attendaient depuis longtemps l’occasion.
Tout commence avec les vœux prononcés par le dénommé Nicolas Sarkozy à l’intention des personnels de Santé le 20 janvier 2011 :
« Une refondation en profondeur du système de contrôle du médicament doit être mise en œuvre au milieu de l'année, de façon à resserrer les mailles du filet de notre système de pharmacovigilance et de renforcer l'indépendance, la transparence et l'impartialité des décisions, comme aussi d'améliorer la formation continue des médecins, en sachant qu’il faudra pour cela des moyens supplémentaires. »
Parmi les dix-sept personnes auditionnées, nous remarquons immédiatement la présence de Christian Lajoux, P-DG de la branche française de Sanofi-Aventis et président du LEEM, le syndicat patronal de l’industrie du médicament.
Le rapport est présenté comme tendant à établir, entre « les médecins, les payeurs, l'industrie pharmaceutique et les patients qui doivent être au centre de toutes les attentions, des relations constructives, continues, équilibrées, confiantes et transparentes, plaçant certes au premier plan l'intérêt des malades d'aujourd'hui, mais sans oublier de promouvoir le progrès thérapeutique au service des malades de demain, ce qui ne pourra se faire que grâce à une franche et étroite coopération entre la recherche clinique et biologique universitaire publique et la recherche translationnelle de l'industrie, dans l'esprit du CSIS (Conseil stratégique des industries de santé) et des premiers accords entre l'INSERM et le LEEM, un développement que peut seule assurer l'industrie du médicament, comme elle le fait depuis toujours, ce qui lui a permis de mettre sur le marché les deux ou trois centaines de molécules qui ont changé la vie des hommes ».
Il faut insister sur ce fait que les soulignés, d’ici comme de la suite, sont effectivement dans l’original…
Comme on le voit, l’effort de recherche, public et privé, doit être désormais entièrement centré sur les performances futures que les industriels du médicament pourront réaliser sur le marché. Heureusement, en ce qui concerne les accords entre l’INSERM et le LEEM, nous n’avons effectivement pas perdu le souvenir de ce qu’Alain Trautmann nous en a dit.
Or, dans ce contexte étroit, souligner que les malades d’aujourd’hui ne doivent pas faire oublier les malades de demain, c’est, sans le dire, ne veiller qu’au futur des entreprises elles-mêmes : il s’agit d’orienter les dépenses engagées par la collectivité, non pas vers la réalité du traitement actuel, mais vers les économies qui peuvent être faites sur ce traitement aujourd’hui pour être réutilisées immédiatement dans des investissements prometteurs, de la même façon que les restrictions sur les salaires d’une époque sont la condition d’un taux de profit amélioré permettant ensuite de mettre au travail d’autres salariés dont la modicité du salaire assurera à nouveau un taux de profit satisfaisant, etc…
La santé devient ainsi un enjeu dans le système d’exploitation capitaliste. C’est bien ce que dit la suite du rapport Debré-Even :
« […] un juste milieu devra être trouvé entre, d'une part, le meilleur contrôle possible de dépenses publiques de médicaments en perpétuel accroissement (même si le mouvement s'est ralenti depuis quelques années, passant de 8% par an à seulement 2%, mais qui a doublé de 1990 à 2005 et s'est encore accru de 10% depuis) et d'autre part, la rentabilité des entreprises, qui leur permet seule d'engager les investissements nécessaires à l'émergence de molécules réellement nouvelles et à leurs essais cliniques. »
Or, comme nous le savons, qu’elles soient nouvelles ne signifient pas du tout qu’elles soient plus efficaces ou moins dangereuses que les précédentes : d’où le souci d’Emmanuelle Quilès, qui « souhaite par ailleurs inscrire l'AGIPHARM [Association des Groupes Internationaux pour la Pharmacie de Recherche] au cœur du débat sur les questions clés liées à l'évaluation des produits de santé ».
Pour qu’il ne soit pas en reste, donnons également à Dominique Amory l’occasion de nous redire un petit mot :
« Nous attendons un signal politique fort, essentiel pour nos maisons-mères, montrant que les sciences de la vie sont une industrie stratégique et une priorité pour la France. »
Le voici exaucé jusqu’au-delà du possible par messieurs Debré et Even :
« […] une telle politique ne nous paraît pouvoir être menée dans l'avenir qu'au sein d'un grand ministère autonome et quasi régalien de la Santé, de la Vieillesse et de la Dépendance, exerçant clairement sa tutelle sur les Caisses d'Assurance Maladie et sans lien avec le Travail et l'Emploi, qui devraient se suffire à eux-mêmes ».
Dans ces conditions-là, effectivement, l’Assurance maladie ne serait plus qu’un capital aux mains des industriels du médicament, un capital dont le taux de rentabilité pourrait atteindre une dimension intersidérale tant le monde du travail serait alors plié sous les malheurs, qu’on pourrait lui mettre en permanence sous le nez, de sa santé mise aux enchères.
(Extrait de Michel J. Cuny, Une santé aux mains du grand capital ? - L’alerte du Médiator, Éditions Paroles Vives 2011, pages 255-256)
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