Le bistrot
Les moments de bonheur...
La première fois que je pénétrai dans l’établissement je fus frappé par son immensité. Du moins par rapport aux cafés que je fréquentais le vendredi à Pontivy, pour manger de la galette et des crêpes, (Mémé va venir payer...) préparées sur une billig dans la cheminée.
A cette époque, on dit café pas bar. « La Source » à Vannes faisait irruption dans ma vie. Un des deux grands cafés de la ville.
« petit, va voir s’il y a du monde au Bretagne » Le concurrent.
Cela décida à cet instant d’une partie de ma future vie professionnelle.
Un de mes oncles venait de l’acquérir.
Assis sur la banquette de moleskine, j’observe. Ces deux couples, des pêcheurs du golfe, une double dose de Pernod dans le verre, sans eau, pur, comme cela. Gérard, remets nous ça. Cet autre, je le revois, le visage rouvelême, souriant, le pas hésitant, accoudé au bar, le petit rouge devant lui. au bout du bar. Côté patron.. Car chacun a sa place dans cette hiérarchie de la limonade. Un tel au bout du bar, l’autre à cette table, cet autre sur cette banquette sous le panneau licence IV (loi du 24 septembre 1941) vente d’alcool interdite aux mineurs, ces autres à côté de la vasque alimentée par un mince filet d’eau, d’où le nom La Source.
Derrière le bar, un secret. Une trappe, un trou noir. Un escalier, plutôt une échelle de meunier, (ne tombe pas petit), qui mène à la cave. Que de trésors parmi la poussière et les toiles d’araignées. Des vieilles bouteilles, jolies, qui une fois remplies de liquides colorés, égaieront notre chambre à Laval. Ces casiers de bouteilles de rouge, de rosé. Non, non, très peu de blanc. Le rouge en Bretagne le gwin ru. Les bouteilles d’eau de Seltz, les bières, La Meuse, la Valstar etc. On appelait cela des bocks. La limonade, les Fanta. Les vieilles publicités.
« Pour toi cher ange Fanta Orange, pour moi garçon Fanta citron ». Dubo Dubon Dubonnet, l’Amer Picon, le Byrrh (tonique, hygiénique,à base de vin généreux et de quinquina) le Saint Raphaël. La réclame de l’ époque »
Et entassées bien sagement, des bouteilles que je ne connaissais pas. C’est quoi ? Des bouteilles de lait aromatisé à la vanille ou au chocolat. Cacolac boisson lactée.
« mes clients n’aiment pas beaucoup cela »
Je boirais le stock durant toutes ces vacances d’été. Que c’était bon.
Les fêtes, le monde. Un soir une foule de cyclistes envahit le café. Le bruit de la bière que l’on débouche, le glouglou des liquides versés dans les verres. Mon oncle, ma tante, leur serveuse Annick 16 ans dont j’étais tombé amoureux, des amis débordés. Des vélos de course partout, des coureurs. Et parmi eux, je reconnais Louison Bobet. Qui venait de gagner le tour de France et de participer à une course au vélodrome de Vannes. Et les amis, copains footballeurs, les chansons, les rires. La source était le rendez-vous du Véloce Vannetais. Mon oncle en était le joueur vedette. Sa renommée dépassait les limites de la Bretagne. Je le sus plus tard.
Les fêtes avec les copains, rideaux baissés. Il fallait fermer à minuit à cette époque, sinon...
« petit, regarde dans la rue si la police... » Non, non tonton.
La belle vie à cette époque là.
A soixante ans, 35 ans après, il nous avouait toujours s’ entraîner le dimanche. Mais c’est dur, nous disait-il, tout en préparant les petits déjeuners de ses clients, Au Guippe, (La Source en breton), le bar-hôtel-restaurant qu’il avait construit à Arradon,à quelques kilomètres de Vannes. Et le deuxième, à quelques mètres, bâti plus tard, qu’il appela le Guippe II. Pendant des vacances, j’y appris les rudiments du métier que je devais faire avec passion quelques années plus tard.
J’ai failli nommer mon bar resto « Le Guippe », fidélité à ma jeunesse. Je ne l’ai pas fait. J’aurais dû. Mais que d’ explications à donner à mes habitués petits rouges et Kro. J’ai conservé le nom, « Aux 4 Vents »
J’y suis retourné cette année, à La Source de Vannes. Lumières, néon, tout neuf. Réhabilité plusieurs fois naturellement. Je me suis assis au bar. Et devant mon café, j’ai fermé les yeux, et j’ai rêvé.
Diégo Suarez
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