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Le citoyen vicomte et les exilés fiscaux

Quelle ne fut pas ma surprise de voir le vicomte Yves de Jonghe d’Ardoye d’Erp vanter les charmes d’Ixelles, charmante commune de l’agglomération bruxelloise, dans l’émission Envoyé spécial (France 2) du 31 janvier 2013. Défenseur des « valeurs » comme son homologue le vicomte Villiers de Saintignon, l’ancien bourgmestre libéral (c’est du moins son étiquette politique en Belgique) a visiblement pris un malin plaisir à rappeler que sa commune accueillait chaque année de nouveaux exilés fiscaux français :

« C’est vrai, on essaie de tout faire pour qu’ils soient heureux ici, pour les accueillir. Ce sont des gens fantastiques vous vous rendez compte ? Les Français qui viennent ici sont toujours contents. Ils parlent la même langue que nous (sic). Ils sont intégrés du jour au lendemain (sic). Ils dépensent leur argent et font vivre les Belges qui sont ici. Que rêver de mieux ? Mais que rêver de mieux ? »

Hein franchement ? Puisqu’il vous le demande ! Que rêver de mieux ? Comment ne pas rire à ce genre de propos venant de quelqu’un qui, alors qu’il était encore bourgmestre en fonction à Ixelles, s’était précipité sur ses terres périgourdines pour tenter en vain de se faire élire maire de Vézac (Dordogne) ? Car oui, je vous le donne en mille, ce grand escogriffe qui soigne son accent de « echt brusselaar » tout en se faisant le VRP de la Belgique devant les caméras d’une chaine de télévision de l’Hexagone a aussi la nationalité française (il parle donc la même langue que nous ! incroyable… ) ! Je trouve dommage que le journaliste n’ait pas rappelé cet aspect du personnage (appelé pudiquement Yves Jonghe… très certainement pour des raisons hautement républicaines). Oui, le citoyen Jonghe a bien pris le téléspectateur français pour un con avec la complicité (ou l’incompétence ?) du journaliste de France 2.

Ancien résident à Ixelles de 1994 à 2000 (j’habitais à l’époque avenue de la Couronne), je me souviens aussi que l’ancien bourgmestre avait un sens de l’accueil fort variable en fonction des nationalités. Je me rappelle ainsi avoir été si choqué par les conditions d’accueil des ressortissants extracommunautaires (congolais notamment), parfois résidents depuis plusieurs décennies, que j’avais écrit directement au bourgmestre pour lui demander s’il était normal que des familles entières soient contraintes de faire la queue (ou la file pour employer un belgicisme) de 6h00 à 8h00 du matin, en plein hiver (et dieu sait que les hivers bruxellois sont froids et humides), pour espérer obtenir les précieux tickets qui leur permettraient d’effectuer des démarches administratives, notamment auprès du service de la population. Comment pouvait-on expliquer une telle disparité de traitement à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau des principales institutions de l’Union européenne ? Comme vous pouvez vous en douter, le citoyen vicomte ne m’a jamais répondu directement. Néanmoins – je dois le reconnaître – il a eu l’élégance de missionner un agent communal du service de la population (peu de maires, en France, auraient pris cette peine). Ce dernier me fit la leçon sur le ton de la confidence : « Vous comprenez Monsieur, on ne peut quand même pas prendre le risque de laisser ces gens-là déambuler dans l’hôtel communal sans surveillance. »

Bref, je trouve donc un peu fort de café que France 2 n’ait pas interviewé le bourgmestre d’Ixelles Willy Decourty ou Dominique Dufourny son premier échevin (la seconde étant appelée à succéder au premier selon des accords alambiqués comme seuls nos amis belges savent les faire). Pourquoi s’être finalement rabattu sur notre compatriote le vicomte ? Mais ce n’est pas le plus grave à mon avis. Le plus grave, c’est la légèreté générale du reportage. Comme toujours on interviewe des exilés fiscaux qui disent à quel point la France est un pays tyrannique pour les gens plein de fric. On interroge des agents immobiliers qui disent à quel point ils peuvent vendre de belles maisons de maître à des Français fortunés. On questionne des avocats fiscalistes qui expliquent à quel point il est avantageux de s’installer en Belgique. Mais très curieusement on passe sous silence le point de vue plus nuancé des pouvoirs publics belges. On n’évoque pas les interrogations à peine voilées du gouvernement fédéral sur l’impact économique réel de l’installation des exilés fiscaux français sur le territoire belge. Je suis pourtant persuadé que les téléspectateurs français auraient été intéressés de connaître par exemple la position de John Crombez, le secrétaire de l’Etat à la lutte contre la fraude sociale et fiscale. Ils auraient pu ainsi comprendre que l’Etat belge se pose de plus en plus de questions au sujet de ces exilés fiscaux qui viennent profiter excessivement des particularités du système fiscal belge en abusant des montages de sociétés qui ne sont, en réalité, que de simples boîtes à lettres sans activité économique notable.

(Article publié initialement sur Le Blog de Gabale)

 


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1 réactions à cet article    


  • Yohan Yohan 2 février 2013 02:04

    Les Belges font comme les anglais : ils se foutent de notre gueule et au fond, ils ont bien raison..

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