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Accueil du site > Tribune Libre > Le géant égoïste (le gentil, le méchant et le pervers)

Le géant égoïste (le gentil, le méchant et le pervers)

Film de Clio Barnard avec Conner Chapman, Shaun Thomas, Sean Gilder. Dans un contexte de restriction sociale, industrielle de l’Angleterre, dont tout le monde parle, qui déglingue les humains dans leurs relations et dont on pourrait échapper par des amours singulières, une affirmation de soi hors tout, hors marché… ici, l’amour des chevaux

On peut aussi lire ce film comme un parcours entre trois « figures » psychologiques : le gentil, le méchant et le pervers, un peu comme dans un tout autre style et un autre temps le bon, la brute et le truand.

Le gentil est du côté des gens. Les Chrétiens à leur début appelèrent gentils tous les non-chrétiens. Quasiment tout le monde. Les gens. Le gentil ne s’oublie pas nécessairement, seulement chaque fois qu’il le peut, que cela ne lui coûte rien, ou peu, et que cela aide sérieusement les autres, il se met du côté des gens, avec les gens. Dans ce film c’est Swifty, le gentil.

Le méchant n’a rien à faire des gens, il ne s’occupe que de son intérêt, il ne cherche pas à faire mal, il ne craint pas de faire mal, cela ne l’intéresse pas, ne rentre pas dans son calcul. C’est du moins comme ça que Kitten dans ce film est le méchant. Il y a des méchants, pire que Kitten, qui aiment faire mal, qui jouissent de la souffrance des gens. Ici, Kitten le méchant est indifférent à la souffrance des gens, que ce soit lui qui l’occasionne ou non. C’est un exploiteur, cynique, il ne calcule pas ce que son attitude fait aux autres, aux gens. Kitten est le géant égoïste.

Le pervers est celui qui arrive à ses fins en se faisant passer toujours et partout pour une victime. On imagine souvent que le pervers dit en mots qu’il est une victime. Ce n’est pas le cas, le plus souvent. Le pervers ne se déclare pas victime, il n’en parle jamais. Il se pose en victime dans ses actes. Il arrive à ses fins parce que tout le monde le plaint, l’aime, le trouve séduisant et veut l’aider… Arbor est le pervers. Il a une gueule adorable, il a l’air de souffrir et d’être dépassé par sa souffrance… Quand il est en grosse crise, il ne réagit passivement, il ne prend pas d’initiative, il se roule en boule et attend, même toute la nuit sous la pluie. Il se sur-victimise pour qu’on vienne de nouveau l’aider, l’aimer… Et ça marche, on le plaint, on lui pardonne, on l’aide, on prend même sa place pour accomplir la tâche qu’il n’arrive pas à faire tout seul. Arbor est le pervers.

C’est lui la tête d’affiche. Le gentil est derrière, comme effacé. Le géant égoïste n’est pas sur la photo, il est dans les lettres du titre.

Arbor apparait au début du film comme sujet à des troubles du comportement. Son corps s’agite sans cesse, il faut toujours qu’il bouge ses jambes sous sa chaise, il tourne la tête dans tous les sens comme un oiseau inquiet, il est incapable de se concentrer… En crise, sous son lit, il cogne et hurle, jusqu’à ce que Swifty vienne le chercher. Il n’y a que les médicaments (et Swifty) pour diminuer cette énergie désordonnée qui doit s’exprimer en Arbor. Ah la belle amitié ! Dont tout le monde parle et qui semble être un havre contre le délabrement du monde, un antidote !

Le gentil Swifty est tellement gentil qu’il est une cible pour les harceleurs. Arbor va venir le sauver d’une agression en groupe, avec sa taille de crevette et son énergie de fauve. Ils seront exclus de l’école. Tragédie pour Swifty, bonheur pour Arbor. Quand Swifty en fait le reproche à Arbor, ce dernier répond qu’il voulait l’aider. Eh oui ! Ils sont à l’envers l’un de l’autre sur l’interprétation de cette double exclusion. Pervers, à l’envers, c’est la même chose. Bien qu’exclu, Swifty va à l’école, pour « amadouer » les responsables et devinez qui va le sortir de cette pratique inattendue et tellement vertueuse ? Arbor, qui a besoin de son copain pour faire le ferrailleur.

Kitten le méchant, tout comme Swifty le gentil, sont passionnés de chevaux. Les critiques voient ça et en parlent, chacun avec leurs mots (sourire). C’est présenté comme une opposition à l’état économique du monde qui rend les relations humaines si dures. Swifty accompagne son « ami » Arbor pour conduire, guider, être avec le cheval qui tire la charrette. Ils font équipe et sont amis, mais ils n’ont pas la même motivation.

Dans une scène très caractéristique, le pervers va s’emparer du cheval de course, et le mener à l’accident… qui ne se produira pas d’extrême justesse… Il fait tout ce qu’il faut faire pour blesser le cheval et ruiner ainsi les espoirs de son ami (et du méchant). Cependant, il n’en aura aucune sanction, à peine si Kitten tiendra à le tenir éloigné de ce cheval.

Arbor dit à son ami, qu’il est trop gentil, qu’il doit s’endurcir, qu’il n’aura jamais rien. Arbor essaie de rouler tout le monde, et de voler Kitten. Il voit grand. Evidemment, il perd tout et Kitten en colère le punit en l’envoyant voler des câbles dangereux. Comme il est trop petit et manque de forces physiques, Swifty vient l’aider, en fait, tout faire à sa place. Pourquoi Swifty fait-il ça ? Parce qu’il est bon et con…

A la fin, le gentil est mort, le méchant est en prison, nommé coupable de la mort du gentil par le pervers dans une agression où il manque de l’étrangler, et le pervers reconquiert sa mère qui le rejette d’abord ; il a la sympathie de tout le monde et du public… Pourtant cette tragédie sort tout droit de l’inconduite d’Arbor. Sans Arbor, Swifty serait en vie.

A la fin, il fait des essais maladroits pour entrer en communication avec le cheval, sa nervosité ne fait pas de miracle… on a l’impression qu’il veut honorer le mort… on a l’impression qu’il veut rejoindre la « vraie » vie avec et dans la nature en remplacement de l’horrible vie imposée par le capitalisme destructeur… On lui pardonne ses actes, on est avec lui… l’ordre règne.


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8 réactions à cet article    


  • Fergus Fergus 25 janvier 2014 10:36

    Bonjour, Orélien.

    Bravo pour cette excellente analyse. Mais ce faisant, vous avez très largement défloré le sujet en racontant quasiment toutes les scènes importantes du film. Un peu dommage, non ?

    Vous l’avez compris, j’ai vu Le géant égoïste, et j’ai bien aimé ce film. Je ne le classerais pourtant pas dans les meilleurs films de 2013 comme l’a fait Télérama.


    • Emmanuel Aguéra Emmanuel Aguéra 25 janvier 2014 13:42

      Bonjour,
      Pas le meilleur, mais pas loin.
      Juste un arrière-goût de déjà vu et pas mal d’invraisemblances en plus, ça fait un peu caricature à certains moments (la course depuis le pont, par exemple).


      • Emmanuel Aguéra Emmanuel Aguéra 25 janvier 2014 13:50

        J’ajoute, par rapport à l’article, que la notion même de perversité ne m’est pas venue une seule seconde à l’idée à propos du petit Arbor qui m’a semblé très sain d’esprit, justement révolté par ce qui lui arrive injustement. Au contraire, son humanité apparaît flagrante lors de son étreinte avec la mère de son copain décédé. La seule perversion exposée est celle de cette société laissée pour compte et livrée à elle-même dans son ghetto.
        Un ghetto, où même les personnages les plus horribles peuvent s’appeller... « kitten » !


      • Fergus Fergus 25 janvier 2014 13:51

        Bonjour, Manu.

        C’est effectivement un excellent film, malgré quelques maladresses comme tu l’as souligné. Ma petite réserve vient sans doute du fait que je l’ai vu peu après le formidable Philomena.


      • Orélien Péréol Orélien Péréol 25 janvier 2014 14:53

        Bonjour Fergus, bonjour Emmanuel Aguéra

        Certes, je déflore, je casse le suspens, j’empêche « l’attente légèrement angoissée de la suite », qui est un moteur commode et fréquent des narrations. ça ne m’a pas empêché d’écrire ce que j’avais vu vraiment. ça ne m’a pas retenu.
        D’abord, quand on sait la suite, on peut plus faire attention et même jouir de la façon dont c’est fait. Par exemple, le film Barry Lindon annonce la suite dans des voix off, si je me souviens bien, et cela permet d’être dans l’appréciation de la forme.

        La deuxième raison qui m’amène à ne pas m’inquiéter de dire la fin, je dois la donner à Emmanuel Aguéra : J’ajoute, par rapport à l’article, que la notion même de perversité ne m’est pas venue une seule seconde à l’idée à propos du petit Arbor qui m’a semblé très sain d’esprit, justement révolté par ce qui lui arrive injustement. Au contraire, son humanité apparaît flagrante lors de son étreinte avec la mère de son copain décédé. La seule perversion exposée est celle de cette société laissée pour compte et livrée à elle-même dans son ghetto.
        Un ghetto, où même les personnages les plus horribles peuvent s’appeller... « kitten » !
        Cette analyse est montée en moi peu à peu, je suis sorti plutôt avec le point de vue général, qui est le flot, exprimé par Emmanuel Aguéra. Mais aussi avec un trouble.
        Après quelques jours de « méditation », je suis retourné le voir avec cette grille de lecture. Après confirmation, à mes yeux, j’ai écrit l’article.
        Effectivement, on ne voit pas la perversité. Nulle part. Pervers veut dire « à l’envers ». Le pervers est invisible.
        Cependant, en ce qui concerne le film le géant égoïste, la succession des événements ou actions est bien celle-ci :
        Les enfants sont exclus de l’école
        ils vont vers le géant qui les exploite (il est droit dans son exploitation)
        Arbor le vole (en cachette de son grand copain aussi)
        Le méchant géant le punit en lui faisant prendre un risque inconsidéré mais qu’Arbor est prêt à prendre
        son ami gentil le supplante par pure amitié parce qu’il voit qu’Arbor ne pourrait tout seul
        Arbor va nommer le coupable, qui accepte tout le monde accepte, l’ensemble des groupes de la société, police et justice de la grande Bretagne et les spectateurs
        Alors que le point de départ, la source, c’est Arbor qui vole Kitten


        Que les pervers paraissent les plus sains, c’est la texture même de la perversité.
        Il faut s’accrocher au réel pour les voir, à ce qui se passe vraiment.

        • Emmanuel Aguéra Emmanuel Aguéra 25 janvier 2014 17:45

          C’est un long débat, mais je persiste à penser que la révolte n’est pas une perversion mais une réaction. Ici légitimée par l’injustice sociale, qu’à nouveau vous me semblez évacuer de la fable alors qu’elle en est l’acteur principal. Si la perversion s’immisce dans le débat c’est à mon avis dans le désastre social qui sert à la fois de décor et d’agent déclancheur.
          La frustration d’Arbor n’a rien d’inné.
          Vous vous donnez bien du mal...


        • Orélien Péréol Orélien Péréol 25 janvier 2014 18:23
          Emmanuel Aguéra
          Je n’ai jamais rien écrit qui puisse laisser que je penserais que la révolte est une perversion. Vous le tirez de votre esprit, pas de mon texte.
          Je ne vois aucune révolte dans ce film, aucun projet d’action collective, de volonté analytique de la situation, avec mise en marche de mode de subversion du système qui le produit...
          Chacun se débrouille pour avoir ce qu’il veut au mieux.
          Que la diminution économique et sociale soit là, bien sûr et elle est même bien montrée. C’est un cadre mais ce n’est pas un déclencheur. Cela exacerbe les relations entre les gens et les conséquences de ces relations.
          Arbor n’est pas d’abord frustré. Il exerce une domination perverse, c’est-à-dire qu’il domine ou tente de dominer son entourage en se posant en victime, pas par les mots, par les actes.

          Il y a quand même de l’inné dans le monde, non ?

        • Emmanuel Aguéra Emmanuel Aguéra 25 janvier 2014 19:37

          « Il exerce une domination perverse » : ah.... là je vous suis.
          C’est différent de dire il est le pervers.
          L’enchaînement peut décoller de la norme je n’ai pas de pblm là-dessus. D’où la perversion, d’ailleurs...
          Quant à l’inné... avez-vous vu « Tel père, tel fils » ? Cette (merveilleuse) chinoiserie (l’histoire des suites d’échange entre 2 enfants à la naissance)
          m’a conforté dans l’idée qui est mienne depuis pas mal de temps déjà... : il a les épaules bien larges, l’inné. Mais je suis d’accord, il existe : je le vois bien quand je dois bosser un rythme que mes collègues chopent du 1er coup.

           smiley

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