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Les cadenas des amants sur le Pont des Arts

Si par hasard / Sur l’Pont des Arts  », chante Brassens. Or, on ne passe pas par hasard sur le Pont des Arts qui, à Paris, est jeté sur la Seine entre la coupole dorée de l’Institut et la Cour Carrée du Louvre. Est-ce son architecture de passerelle piétonnière qui séduit ? Elle est des plus discrètes, un simple tablier en lattes de bois posé sur des arcatures métalliques sautant de pile en pile. Elle offre, en fait, un des beaux paysages de Paris. On est face à la proue de l’Île de la Cité : le Pont Neuf dont la frise à corniches court au-dessus des arches, y prend pied pour, de part et d’autre de la statue équestre d’Henri IV, enjamber les deux bras de la Seine avant qu’ils se rejoignent à l’étrave.

Un pont aux parapets couverts de cadenas
 
Dès qu’il fait soleil au printemps, et bien sûr les soirs d’été, on y vient pique-niquer en couples ou en groupes. On s’asseoit à même les planches autour de nappes de fortune garnies d’assiettes de chips ou de pizzas : on trinque à la bière ou au vin, indifférent dans le soleil couchant au flux continu des passants qui regardent amusés et goûteraient bien un petit morceau ou boiraient un petit coup si on le leur proposait. À deux pas, souvent, la flûte d’un musicien de rue ou sa guitare ou son accordéon disperse ses mélodies aux légers souffles venus du fleuve en-dessous que montent et descendent bateaux-mouches et péniches.
 
Mais depuis quelques temps, le Pont des Arts est devenu un sanctuaire envahi d’ex-votos d’un genre singulier. Leurs fidèles ne les ont dédiés ni à des dieux ni à des saints mais à eux-mêmes ou plutôt à l’image qu’ils voudraient garder d’eux-mêmes pour toujours. Les grilles des parapets ont leurs mailles couvertes de cadenas qui pullulent à vue d’oeil. C’est la nouvelle façon trouvée par les amants de conjurer les injures d’un avenir dont ils craignent qu’il soit fatal à leur amour.
 
Des rites anciens de conjuration de l’avenir
 
Sans doute n’est-ce pas nouveau de vouloir l’éternité pour ce qu’on aime le plus au monde. C’est vrai, seul le rite a changé. Autrefois, on gravait au couteau un cœur à ses initiales, transpercé d’une flèche dans l’écorce d’un arbre, quitte à en faire saigner la sève. Mais les temps ont changé : le respect de l’arbre peut-être ou plus sûrement sa rareté dans la ville ont conduit les amants à innover pour s’assurer de l’avenir.
 
À Vérone, sous le porche de la maison médiévale attribuée à Juliette par la légende, les murs sont couverts de billets minuscules : les amants s’y promettent amour pour toujours et prennent date. À l’entrée, la grille noire est elle-même quasiment repeinte aux teintes multicolores des graffiti innombrables d’amants qui ont laissé leurs initiales et le jour de leur cri d’amour mutuel.
 
À Florence, les amants confient leurs promesses à la rampe qui borde le Piazzale Michelangelo : face aux collines de Fiesole hérissées au loin de cyprès et d’oliviers, ils dominent la cité qui, le long des eaux sombres de l’Arno jusqu’au Ponte Vecchio, répand un fouillis de façades et de toits d’où surgissent le dôme rouge ogival de Santa Maria del Fiore et son blanc campanile à côté des brunes tours crénelées emboîtées du Palazzo Vecchio. On connaît témoins d’amour moins prestigieux, surtout quand se dresse dans son dos la haute statue de David à la chevelure bouclée, exhibant négligemment sa nudité sculptée par Michel-Ange ?
 
Le symbole du cadenas, un rite récent
 
L’invention des cadenas est plus récente. On se souvient d’avoir été intrigué la première fois par leur présence insolite, il y a quelques années, sur le pont au-dessus de la Talvera, un des torrents qui se jettent dans l’Adige à Bolzano, au pied des Dolomites, dans le Haut-Adige, sur la route de l’Autriche vers Innsbruck par le col du Brenner. Les cadenas du Pont des Arts sont de tous métaux, tailles, et couleurs, agrippés aux mailles du parapet : ils portent la date de leur pose et les prénoms des amants en toutes lettres ou à leurs seules initiales.
 
Le symbole est transparent : le cadenas à lui seul est un pont reliant deux rives ; il est aussi l’image de la solide solidarité nouée entre les deux anneaux réunis, comme ceux qu’échangent les amants. Il circonscrit un sanctuaire inviolable et fermé aux intrus.
 
Aussi, contemplée d’un des bancs qu’on trouve au centre du Pont des Arts pour souffler, cette tapisserie de cadenas aux grilles du parapet comme les fils entrecroisés aux mailles d’une trame, a-t-elle quelque chose de bouleversant. Ce n’est pas le Pont Neuf à la solidité proverbiale qu’ont choisi les amants pour promettre l’éternité à leur amour, mais une passerelle fragile, à la structure légère et par nature éphémère. Il lui est déjà arrivé de s’effondrer en 1979.
 
La clé jetée au fleuve
 
Les cyniques railleront ce lieu élu par les amants pour promettre l’éternité à leur élan d’amour sous le regard narquois d’un prince à cheval sans doute mais pas sur les principes d’un amour éternel, au point de passer à la postérité pour « Le Vert Galant » : on lui compte au moins sept maîtresses dont il aurait eu une dizaine d’enfants…
 
Et puis un cadenas qu’on referme peut toujours se rouvrir pourvu qu’on en détienne la clé. C’est bien pourquoi les amants s’empressent, sitôt le cadenas refermé sur leur amour, d’en jeter la clé à la Seine et la perdre à jamais. Mais n’est-ce pas un premier aveu de la défiance que les amants nourrissent sinon l’un envers l’autre, du moins envers eux-mêmes ? La peur de garder la clé n’est-elle pas celle d’être tenté un jour de s’en resservir ?
 
« Il n’y a pas d’amour heureux  », prévient un poème d’Aragon chanté par Brassens. S’il peut arriver, on en convient, qu’on passe par hasard sur le Pont des Arts, ce n’est pas « le vent fripon » relevant les « jupons » qu’il faut craindre de croiser, mais, à la vue de cette foule de cadenas agrippés aux grilles, de sentir un désir fou irrépressible d’éternité, le plus sensé pourtant qui soit, monter du plus profond de son être éphémère. Paul Villach

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3 réactions à cet article    


  • Paul Villach Paul Villach 11 avril 2011 11:47

    @ Musima

    Merci de vos judicieuses et fines observations qui complètent utilement mon article. Paul Villach


  • Taverne Taverne 12 avril 2011 11:17

    C’est sympa et inhabituel comme sujet. Alors, comme c’est le printemps, j’ai composé une petite chanson.

    Amandine

    I

    Il y a Cécile,
    Regard bleu glamour.
    On dit que l’amour
    Elit domicile
    Sous ses cils.

    Cette gourgandine.
    Aux lèvres gourmandes.
    N’a pas d’Amandine.
    Les yeux en amande...

    Refrain :

    Sur les bateaux-mouches
    Tous les amants dînent.
    Je pêche à la mouche,
    Et j’aime Amandine.

    II

    Il y a Marylène,
    Douce madrilène.
    On dit que son coeur
    A plus de chaleur
    Que la meilleure laine.

    C’est presque l’hymen
    Avec Célimène
    Mais j’aime Amandine,
    Ses yeux en amande...

    Refrain :

    Sur les bateaux-mouches
    Tous les amants dînent.
    Je pêche à la mouche,
    Et j’aime Amandine.

    III

    Il y a Blandine.
    C’est presque Amandine.
    Ses jolies paupières
    Ne laissent pas de pierre
    Oui mais Amandine

    Me met à l’amende
    Si jamais je bande.
    Moi, j’aime Amandine,
    Ses yeux en amande...

    Refrain :

    Sur les bateaux-mouches
    Tous les amants dînent.
    Moi j’attends la bouche,
    De mon Amandine.

    Sur le Pont des Arts,
    J’ai passé des heures.
    Sur le pont désert
    J’attends mon dessert...


    • docdory docdory 13 avril 2011 00:03

      Cher Paul Villach

      Le pont des Arts est l’un des lieux que je préfère à Paris . Mais pour moi, ces cadenas, plutôt que d’évoquer l’amour, évoquent plutôt la possession : n’évoquent-ils pas une ceinture de chasteté ? Ou bien ce fruit pas très goûteux que l’on surnomme « l’amour-en-cage » ?
      Le cadenas symbolise le droit de propriété. Mais, c’est peut-être en amour que l’aphorisme de Proudhon garde tout son sens : « la propriété , c’est le vol » !

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