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Les leçons du 18 juin

« Avant de dire qu’il y a de la grandeur dans un peuple, il faut attendre qu’il ait subi l’épreuve de l’adversité. Pour les nations comme pour les individus le véritable héroïsme consiste dans le sacrifice de soi. » (Pascal Paoli )

Juin, mois si particulier, avec son avant goût de vacances, qui adoucit de ses parfums nostalgiques les plus affreux des reîtres.

Au sacre du 7 juin 1654 de Louis XIV à Reims répond la formation du gouvernement Blum du 4 juin 1936, et comme un caprice de l'Histoire, le décret de Prairial du 10 juin 1794, marquant le début de la grande Terreur, semble donner la clé des raisons pour lesquelles le Front Populaire ne sut s'imposer comme tournant révolutionnaire radical.

Juin des années sombres illuminé par les explosions de couleurs des bombes, des projectiles et des obus du débarquement allié du six, où 177 fusiliers marins du commando Kieffer se sont illustrés, combattant, aux coude-à-coude avec les anglo-américains, dans des sanglants Corps à corps contre les troupes allemandes d'occupation. Juste et suite logique d'un grand moment, le 18 juin 1940, l'appel de Londres du général de Gaulle.

Pourtant dans cette dernière séquence mémorielle bien française, passent souvent à la trappe, au moins deux jours de juin : le 14, entrée des allemands à Paris et le 17 juin 1940, demande de l'armistice par le maréchal Pétain.

Remarquons qu'on abuse, par trop, du terme « historique », concernant bien de ces évènements.

Le 18 juin historique ? Certes, surtout pour raconter une histoire conforme, comme il se doit, à l'honorabilité et l'héroïsme du camp des vainqueurs.

Mais pour bien mesurer, non pas le caractère historique, mais les causes et les conséquences des faits, essayons d'imaginer un échange des discours. C'est la grande permutation, Pétain appelle à la résistance. Nous sentons immédiatement l'impossibilité et le ridicule de la situation parce que le 17 juin la capitale est réduite, les soldats en déroute, les généraux en fuite. Il eut été grandiose d' appeler chaque homme et chaque femme à se faire tuer sur place, plutôt que de reculer, à édifier partout des barricades, à brûler les villes et les villages pour ne pas ravitailler l'ennemi et faire de chacun un partisan saboteur.

Mais qui dans l'Histoire demanda un tel sacrifice ? Pas même Napoléon mais Adolf Hitler, nous le constatons.

Le 17 juin fut ce lâche soulagement d'un peuple de Quarante millions de pétainistes . Pétain, comme tous les « grands hommes » ne fut rien. Ni de Gaulle qui ne manqua pas de souligner qu'à Londres à cette époque, lui le maurrassien hautain était entouré «  de juifs, de Canaques, de pauvres types, les marins de l'île de Sein et de francs-maçons ».

C'était approprié à la période et à la loi de l'Histoire universelle : une minorité qui résiste et une majorité qui veut survivre, quitte à vivoter, au mieux en se retirant dans un exil intérieur, au pire en collaborant. Et qui serions-nous pour les en blâmer ?

En Pologne aussi, une majorité de juifs, respectueux des « lois », obéissait aux ordres des SS et s'opposait à une minorité de « terroristes » sionistes. Il en sera ainsi jusque dans l'insurrection du ghetto de Varsovie. Sur 71 000 personnes restantes après les déportations massives ( au départ plus de 450 000 juifs ), selon Marek Edelman, seul commandant rescapé, il n'y eut que 220 combattants filles et garçons fors l'honneur : « My nie chcemy ratować życia. Żaden z nas żywy z tego nie wyjdzie. My chcemy ratować ludzką godność » (« Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d'ici. Nous voulons sauver la dignité humaine ».

Minorité contre majorité. Concept abstrait contre instinct de survie. Fors l'honneur ! Dans le Pacifique, le 17 juin 1944 les américains s'emparent de l'île de Saïpan. Bloqués par la mer et refusant le déshonneur d'une occupation 8000 civils se jettent du haut des falaises. Tout le monde n'est pas japonais ...

On trouva en France, pour réconcilier le peuple du désastre, ce merveilleux fabliau de l'épée et du bouclier : de Gaulle et Pétain. Cela évita de conter une réalité moins épique.

Le pauvre général, bien conscient des choses humaines, eut par la suite des jugements pour le moins cruels sur le peuple français. Il alla même jusqu'à tolérer la stupéfiante campagne traitant les chefs de l'OAS de nazis pour camoufler le fait que si nous étions passés du Piou Piou au Poilu en 1916, fin 1962, la majorité des appelés étaient devenus des bidasses.

Nazis les chefs de l'OAS ? Bidault, président du CNR après la mort de Jean Moulin ? Chateau-Jobert, commandant de SAS parachutistes des FFL ? Degueldre résistant communiste FTP à 17 ans ? Godard , commandant du groupe de bataillons du plateau des Glières ? Jouhaud, chef d'Etat-Major des FFI pour la région de Bordeaux ? Soustelle patron du BCRA de la France libre ?

On voit jusqu'où peut mener cette simple évidence : Quitter le troupeau c'est devenir minoritaire et le minoritaire est toujours un paria, ce n'est en rien une question idéologique mais un trait de caractère.

Aujourd'hui encore des histrions décernent des labels de « gaullisme ». Le général botté de quarante , mille fois oui, mais le retraité de 1958, venant au secours du système pour finir par déclarer en 1969 : « La France est une grande chose mais les français ? La France , en vérité, est un espace surnaturel. Elle est très grande ou très petite, c'est selon, mais parler des français c'est toujours, plus ou moins un abus de langage ...  ».

Sage vérité qui nous renvoie à cette confidence faite à François Mauriac en mai 1968 : «  La machine à laver,la télévision, la deux-chevaux sont devenus les signes visibles d'un paradis qui se manifeste durant les trois semaines des congés payés. Non certes, les français ne sont pas devenus un peuple sans Histoire, mais un peuple sans histoires et qui n'a d'autres soucis en tête que de n'en plus avoir jamais. »

A-t-il fallu tout ce temps à l'homme du 18 juin pour prendre conscience de la précarité de ces rêves de France , de cette «  certaine idée » ?

On peut, au contraire, croire que la désillusion sur les français accompagna chez lui une conscience claire et désespérée de la condition humaine.

On peut se demander alors pourquoi, progressivement, son choix se porta du côté si conformiste de la majorité.

L'OAS ou les contestataires de mai 68, en apparence si irréversiblement dissemblables, exprimaient, cependant, l'irruption de la révolte contre le sens de l'Histoire, présenté comme inéluctable. Un sursaut de vie iconoclaste dans l'ordre parfaitement agencé de la fourmilière.

On apprend, aujourd'hui, que régulièrement la gendarmerie déloge, sans ménagement, les « indignés » de la Bastille. Nos néo-gaullistes au pouvoir devraient méditer cette adresse de Maurice Clavel, le libérateur de Chartres à la tête des FFI, au général le 10 juillet 1968 : « Mon général, chacun a voulu « être » à l'heure même où notre société de voitures et de réfrigérateurs, que vous flétrissez tant, allait finir de l'annihiler. Et si je vous disais que ce mal salutaire fut si violent et minoritaire parce que ces révolutionnaires « ressucitants » s'accorde avec la nature spirituelle de notre patrie, ne concevriez-vous pas quelque regret ou remords de votre médication par voie de police ou de passé ? »

En 2011, il apparaît, comme le note Bernard Conte « que ce sont les élites au pouvoir qui ont bâti l'asservissement par la dette. La sortie de l'esclavage et de sa logique de tiers-mondisation impliquera forcément le changement des élites qui ne se fera certainement pas sans violence. »

Alors lorsque nous voyons une certaine jeunesse rejeter l'immonde maxime capitaliste « tout est à vendre, ce n'est qu'une question de prix » et préférer la phrase de Nietzsche : «  tout ce qui a un prix n'a que peu de valeur. » ; ne devons-nous pas nous demander : « ne sont-ils pas des gaullistes minoritaires de 1940 ? »

Je refuse le Bon Pasteur, déguisé en mondialiste, parce que je ne suis pas un mouton. Tel pourrait être leur crédo et notre crédo, à nous tous, résistants modernes condamnés aux catacombes. « Malin » signifie « apte à faire le mal », mais a pris le sens « d'intelligent ». « Benêt » signifie « bienfaisant » mais a pris le sens « d'idiot ». Le divorce entre nos valeurs théoriques et nos valeurs réelles est évident.

La Libération est encore à l'ordre du jour. Il serait inconfortable de se compter, nous serons toujours trop peu car comme disait Céline :« Rien n'est gratuit en ce bas monde. Tout s'expie, le bien comme le mal, se paient tôt ou tard. Le bien c'est beaucoup plus cher … forcément  ».

Les risques existent, ils sont considérables mais hormis les coups, il y a un monde à gagner.

« Quoi qu’il arrive, la force intérieure de la résistance des Français ne doit pas faiblir  »

Jean-Marc DESANTI


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2 réactions à cet article    


  • eric 15 juin 2011 15:53

    Oui, et une brute qui marche va plus loin que deux intellectuels qui restent assis. Mais cela ne nous dit rien sur ou on est, ou on va, pourquoi et comment.
    S’entre traiter de Nazis était dans les mœurs du temps. Toute la gauche jusqu’à l’Express ( on trouve la caricature de l’époque sur le Net avec le général en moustache troisième Reich) a traite De Gaulle lui même de fachiste et ses proches de collabos.
    Tous cela étant dit, être minoritaire n’est pas plus une garantie d’avoir tort que d’avoir raison. Contester n’est pas nécessairement prophétique.
    Mais il est parfaitement évident qu’on ne saurait confondre le Général de Gaulle, quittant le pouvoir parce qu’une majorité d’électeurs ne partageaient pas ses idées sur la décentralisation en 69, avec les 800 a 1000 personnes alterecolobiofront de gauche assises sous des tentes a la Bastille qui proclament qu’elles sont plus légitimes que le corps électoral et ses élus et que la Rue, c’est quand même autrement plus démocratique que les élections.
    D’ailleurs, la comparaison avec 68 est particulièrement éclairante. La génération qui était avec De Gaulle a fait une France riche, inégalités diminuant, modèle social ( programme du CNR), decolonisatrice etc...

    La « génération 68 », avec les mêmes discours et les mêmes pratiques que les indignes d’aujourd’hui, a été aux affaires jusqu’à il y a peu et donc la France que nous connaissons et en partie au moins son œuvre. Quel que soit le jugement que l’on porte sur notre pays aujourd’hui, cela ne m’inciterait pas a leur faire la moindre confiance....

    Maintenant, j’ai lu votre texte avec plaisir, même si je n’ai pas tout compris. Pourquoi le fait qu’en Juin on ait sacre un Roi et déclenché la terreur expliquerait un échec révolutionnaire du front popu notamment..


    • Jean-Marc DESANTI Jean-Marc DESANTI 15 juin 2011 16:31

      Concernant le mois de juin, c’était une série d’images, de tableaux illustratifs ou, si vous préférez, d’exemples. Symboliquement la terreur, c’est le moins qu’on puisse dire, a pris d’autres « moyens » que le Front Populaire. La révolution française a fait le tour du monde. Le Front popu reste un évènement franco-français, qui trouvera un prolongement dans la guerre civile résistants-collabos de 1940 1944.

      La « génération 68 », on s’en fiche car elle ne représente que quelques personnes au pouvoir et en rien la masse des insurgés de l’époque.

      Aujourd’hui, les manifestants de Madrid et d’Athènes se « radicalisent » et de grandes violences se développent. Si demain le mouvement est écrasé, on trouvera toujours des individus qui feront carrière ...

      Mais s’ils imposent un nouveau cadre politique alors ce sera le début d’une reconstruction des rapports sociaux et économiques en Europe.

      C’est un débat sans fin de savoir qui, des députés élus ou de la rue, doit avoir le dernier mot. C’est selon. En fait le Nazisme est arrivé au pouvoir par les urnes et la révolution bolchevique par la rue. Soyons sincères, une fois de plus nous devons nous déterminer en fonction de notre histoire ... Et selon la devise :« de valeurs ne discutons point mais combattons ! »

      Why we fight ? Notre histoire personnelle, c’est tout. Je disais « une question de caractère ».

      Être résistant ? Comme l’écrivait Hugo :« Pour ne point se tromper être avec les exploités, les pauvres ». Ainsi les notions de « droite » et de « gauche » n’ont pas d’importance dans la résistance. Accepter de basculer d’un côté c’est accepter d’entrer dans une prison de haute sécurité. 

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Jean-Marc DESANTI

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