Macron 2017 : la révolution, la modernité, la probité, la moralisation ! Début 2020, confirmation ?
Emmanuel Macron publie en novembre 2016, Révolution – C’est notre combat pour la France ! « C’est cette révolution démocratique à laquelle je crois. Celle par laquelle en France et en Europe, nous conduirons ensemble notre propre révolution plutôt que de la subir. C’est cette révolution démocratique que j’ai entrepris de dessiner dans les pages qui suivent. »
Des idées économiques et sociales révolutionnaires. Un nouveau monde politique. De la démocratie transparente et probe. Et modernité, progrès social, richesses à coup sûr…
C’était « son projet ».
Moins d’impôts, surtout pour les riches, le capital et la finance, moins de charges pour les entreprises, moins de réglementation du travail, de l’emploi, des licenciements, des réformes innovantes pour les retraites, le chômage, la démocratie, moins de fonction publique, moins de corps intermédiaires, syndicats, associations et autres, plus de ministres experts issus de la société civile, plus de transparence et de probité pour les élus, les membres des cabinets ministériels, plus de libre-échange, etc., à coup sûr pour plus de croissance, remède à tous nos maux, plus d’emplois, plus de pouvoir d’achat, par ruissellement, grâce aux premiers de cordée, plus d’investissement, plus d’exportations, moins de dette, etc.
Des idées nouvelles, différentes, performantes, que personne avant lui, Emmanuel Macron, âgé d’à peine 38 ans, n’avait osé mettre en œuvre. La jeunesse, la compétence, l’audace, l’autorité, la moralité et la détermination personnifiées. Une révolution !
La preuve par les résultats obtenus.
Non, mais c’est encore trop tôt pour en avoir. Attendez un peu quand même.
Alors comment savoir ?
Comme l’immense majorité d’entre vous, je n’ai pas les capacités nécessaires pour jauger et juger. En revanche, d’autres l’ont. Il suffit de lire les livres qu’ils publient pour comprendre. C’est vraiment simple et efficace.
Le besoin d’écrire cet article m’est venu après la lecture du dernier ouvrage publié par Esther Duflo et Abhijit V. Banerjee, prix Nobel d’économie 2019 : De l’économie utile pour des temps difficiles – Ed. Seuil. (pour apprécier la valeur des auteurs, voir l’addenda à la fin de l’article.)
Tout y est simplement expliqué, analysé, évalué ; les doutes, les incertitudes, l’imprévisible même l’ignorance sont spécifiés. Et du coup on peut se faire une idée plus précise de l’expertise et de la modernité du brillant Emmanuel Macron.
Je vous propose d’en juger par vous-même au travers de quelques extraits, sans commentaires de ma part, lesquels sont à faire par le lecteur.
« … p 17 - 18 …
(Les économistes auto-proclamés de la télévision et de la presse) Malheureusement, qu'il s'agisse de leur apparence (costume-cravate) ou de leur manière de parler (avec force jargon), ces économistes médiatiques sont difficiles à distinguer des économistes de métier. La différence la plus notable est sans doute leur goût pour l'affirmation péremptoire et la prédiction définitive, ce qui, fâcheusement, ne fait que renforcer leur autorité. Or leurs prédictions sont le plus souvent très mauvaises, en partie parce que l'exercice de la prévision lui-même est impossible ou presque ; c'est la raison pour laquelle les économistes de métier se tiennent généralement à distance de la futurologie.
… p 19 …
Certains, trop redevables à l'orthodoxie pour tenir compte d'un fait ne s'y conformant pas, répètent comme un mantra de vieilles idées, quand bien même elles ont été depuis longtemps réfutées.
… p 199 …
La croissance a pris fin le 16 octobre 1973, ou à peu près, et nous ne la reverrons plus, au moins si l'on en croit le livre décisif de Robert Gordon.
… p 236 …
Cependant, si l'on observe les taux de croissance depuis les années 1960, il est clair que la période de faibles taux d'imposition ouverte par Reagan ne s'est pas traduite par une croissance plus rapide, bien au contraire. Il y a eu une récession au début de l'administration Reagan, suivie d'une phase de rattrapage pendant laquelle le taux de croissance est revenu à la normale.
Au total, si l'on considère le long terme (la moyenne sur dix ans, qui permet de lisser les hauts et les bas du cycle économique), la croissance économique a été relativement stable depuis 1974, demeurant entre 3 % et 4 % sur l'ensemble de la période. Rien ne permet donc d'affirmer que les baisses d'impôt sous Reagan, la hausse du taux marginal d'imposition sous Clinton ou les baisses d'impôt de George W. Bush ont modifié le taux de croissance à long terme.
… p 239 …
Ce n'est certes pas la première fois que l'administration justifie une décision par une contre-vérité. Nous pensons cependant que, si le public a mordu si facilement à l'idée que les baisses d'impôt pour les riches favorisent la croissance économique, c'est parce que cela fait des années que ce message leur est répété par des économistes éminents appartenant à une époque où les données empiriques étaient rares, et où il était normal de raisonner à partir de quelques « principes fondamentaux » reposant sur la seule intuition. La répétition de ce mantra par des générations d'économistes établis lui a donné la douce familiarité d'une comptine pour enfants. Et nous l'entendons encore chaque jour dans la bouche d'une pléthore d'experts du monde des affaires qui, même aujourd'hui, ne se sentent absolument pas tenus de présenter la moindre preuve à l'appui de leurs dires.
… p 240 …
Cela souligne, à nouveau, l'urgente nécessité de mettre l'idéologie de côté et de défendre ce sur quoi la plupart des économistes qui s'appuient sur les résultats des recherches les plus récentes, sont d'accord. Dans un monde politique qui a largement tourné le dos à la raison, nous risquons de perdre toute légitimité si nous n'intervenons pas. Alors, que les choses soient claires : les baisses d'impôt pour les riches ne produisent pas de croissance économique.
… p 242 …
Cela montre, une fois encore, qu'il n'y a pas de leçon claire à tirer des dernières décennies : nous ne savons pas très bien ce qu'il faudrait faire pour produire une croissance rapide et durable. Elle se produit, ou pas.
… p 243 …
Un des moyens d'empêcher le ralentissement de la croissance est d'envoyer le capital dans les pays où la productivité est élevée. Bien sûr, cela n'aidera pas les travailleurs des pays riches, puisque la production ne se fera pas dans leur pays, mais au moins le revenu national continuera-t-il de croître puisque les détenteurs de capital seront bien rémunérés pour leurs investissements à l'étranger.
… p 245 …
Comme l'écrivait Romer en 2008...
« S'il propose en plus des incitations pour que des idées existantes soient mises en application à l'intérieur de ses frontières - par exemple, en protégeant les brevets, les licences et les droits d'auteurs étrangers, en autorisant l'investissement direct des entreprises étrangères, et en évitant les réglementations étouffantes et les taux marginaux d'imposition trop élevés -, alors ses citoyens pourront bientôt travailler dans des activités productives qui seront à la pointe. »
Cela ressemble fort au mantra bien connu de la droite : moins d'impôts, moins de réglementation, moins d'intervention de l'État en général, sauf peut-être en matière d'éducation et de protection de la propriété privée. Pourtant, en 2008, quand Romer écrivait ce texte, nous en savions déjà assez pour être plutôt sceptiques.
… p 251-252 …
En 2006, la Banque mondiale a demandé au prix Nobel Michael Spence de diriger sa commission sur la croissance et le développement (plus connue sous le nom de Commission croissance).
Voici comment Bill Easterly a commenté leurs conclusions, sans beaucoup de charité sans doute, mais touchant juste : « Après deux ans de travail d'une commission réunissant 21 dirigeants et experts mondiaux, un groupe de travail de 11 membres, 300 universitaires, 12 ateliers, 13 consultations et 4 millions de dollars de budget, la réponse à la question de savoir comment atteindre un niveau élevé de croissance était à peu près : nous ne savons pas, mais faites confiance aux experts pour le trouver. »
… p 276 …
La nécessité d'être favorable à l'entreprise privée, et plus généralement aux affaires, pour préserver la croissance peut ainsi être interprétée, comme ce fut le cas aux États-Unis et au Royaume-Uni sous Reagan et Thatcher, comme une licence totale accordée aux politiques anti-pauvres et pro-riches (en renflouant les firmes et les riches particuliers surendettés, par exemple) ; ces mesures enrichissent les très hauts revenus au détriment du reste de la population, et n'améliorent en rien la croissance.
S'il y a bien une leçon à tirer de l'histoire récente des États-Unis et du Royaume-Uni, c'est qu'obliger les pauvres à se serrer la ceinture, dans l'espoir que des cadeaux aux riches finiront par « ruisseler » dans toute l'économie, ne fait rien pour la croissance et moins encore pour les pauvres. Au contraire, l'explosion des inégalités dans une économie qui ne croît plus est une très mauvaise nouvelle pour la croissance, car le contrecoup politique conduit à l'élection de dirigeants populistes prônant des solutions miracles qui fonctionnent rarement et provoquent des catastrophes.
Il est intéressant de noter que même le FMI, longtemps un bastion de l'orthodoxie de « la croissance avant tout », reconnaît désormais que sacrifier les pauvres est une mauvaise politique.
… p 319-320-321 …
Pour Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux États-Unis, la cause de la stagnation de la fin des années 1970 était claire (nous savons qu'ils n'en avaient, en réalité, pas la moindre idée). Leurs pays avaient dérivé trop loin vers la gauche : les syndicats étaient trop puissants, les impôts trop lourds, le salaire minimum était trop élevé, la réglementation trop pesante. Pour restaurer la croissance, il fallait selon eux, mieux traiter les chefs d'entreprise, ce qui voulait dire réduire les impôts, la réglementation et l'influence des syndicats, et faire en sorte que le reste du pays dépende moins de l'État. Comme nous l'avons déjà mentionné, cette idée que les taux d'imposition doivent être faibles pour éviter le désastre est tout à fait récente.
(...)
Cette baisse des impôts s'est accompagnée, d'abord sous Reagan mais encore plus fortement sous Clinton, d'une « réforme de l'aide sociale » (autrement dit son démantèlement), justifiée à la fois par des raisons de principe (les pauvres doivent être plus responsables et le travail doit donc conditionner l'aide) et par des nécessités budgétaires (dues à la baisse des recettes fiscales). Les syndicats furent mis à genoux au moyen d'un changement de législation et d'une utilisation directe du pouvoir de l'État à leur encontre (Reagan, on s'en souvient, fit appel à l'armée pour briser une grève des contrôles aériens). Depuis, la syndicalisation n'a cessé de décliner, les réglementations ont été rendues moins contraignantes et un nouveau consensus est apparu selon lequel il faudrait désormais une raison particulièrement pressante pour que « la main lourde du gouvernement », comme l'on disait à l'époque, puisse s'immiscer le monde des affaires. (Comme la crise du coronavirus, par exemple. À voir.)
Le Royaume-Uni a connu une trajectoire similaire. (...) Les très (trop ?) puissants syndicats de l'après-guerre ont été mis à genoux d'une main de fer - la grève des mineurs de 1984 fut un moment emblématique des années Thatcher - et ils ne s'en sont jamais remis. La déréglementation est devenue la norme...
(...)
L'inquiétude causée par le ralentissement de la croissance a été l'une des raisons qui ont rendu possibles des changements radicaux. Bien qu'aucun élément factuel ne permette de démontrer qu'une baisse massive des impôts des riches favorise la croissance (nous attendons toujours le retour promis de la croissance économique aux États-Unis et au Royaume-Uni), ce constat était moins évident à l'époque. Depuis la croissance s'est arrêtée, en 1973 ...
… p 321 …
« Reaganomics » - c'est ainsi qu'a été désigné l'ensemble des théories et des politiques économiques dominantes de cette période - ne se cachait pas du fait que les fruits de la croissance se paieraient nécessairement par une augmentation des inégalités. L'idée était que les riches en bénéficieraient les premiers, puis viendraient les pauvres. C'est la fameuse théorie du « ruissellement », qui n'a jamais été mieux décrite que par le professeur à Harvard John Kenneth Galbraith, qui disait qu'elle était appelée, dans les années 1890, la théorie « du cheval et du moineau » : « Si vous donnez au cheval assez d'avoine, il en ressortira bien quelque chose sur la route pour le moineau. »
… p 368-369 …
L'influence économique et politique croissante des riches, résultat d'une obsession pour l'élixir introuvable de la croissance se mêle de sentiments d'hostilité à l'encontre de l'état, que les riches ont soigneusement cultivés pour étouffer toute tentative de freiner l'accroissement de leur fortune. L'État manque de ressources parce qu'il est devenu politiquement impossible de lever des impôts ...
(...)
En France, si leur accroissement a été moins spectaculaire qu'aux États-Unis, les inégalités ont progressé. Entre 1983 et 2014, le revenu moyen du 1 % des Français les plus riches a augmenté de 100 % et celui du 0,1 % de 150 %. Comme la croissance du PIB est restée lente, le niveau de vie de la quasi-totalité de la population à l'exception des riches, a eu tendance à stagner : pendant la même période, le revenu n'a augmenté que de 25 % (moins de 1 % par an) pour les 99 % restants. Cela a alimenté une défiance croissante à l’ égard des élites et la progression du Front national (devenu Rassemblement national), un parti xénophobe. Depuis 2017, les réformes fiscales de la présidence Macron, d'orientation centriste, ont rendu la fiscalité moins progressive : une « flat tax » a été créée, l'impôt sur la fortune a été supprimé et les impôts sur le capital ont été allégés. Macron et le gouvernement justifient cette politique en affirmant qu’elle est nécessaire pour que la France attire les capitaux venant d'autres pays. C'est possiblement et modérément vrai, mais elle a pour conséquence d'amener les autres pays d'Europe à réduire eux aussi leurs impôts, précipitant une course au moins-disant fiscal. L'exemple des États-Unis nous avertit qu'il peut être très difficile, une fois sur cette voie, de revenir en arrière. Les pays européens ont, au contraire, besoin de coopérer pour tenir bon sur leurs impôts.
… p 384-385 …
L'innovation du discours politique fut alors de présenter la turpitude morale des pauvres comme la conséquence du système d'aide sociale lui-même. En 1986, Ronald Reagan déclara que la guerre à la pauvreté avait été perdue. Le système d'aide sociale était la cause de cet échec car, en décourageant le travail et en encourageant l'assistanat, il avait entraîné une « crise de la famille, surtout chez les pauvres qui vivaient de l'aide sociale, noirs comme blancs. »
(...)
Au mois de juin 2018, le président Macron s'est enregistré pendant la préparation d'un discours qui présentait sa réforme des programmes de lutte contre la pauvreté. L'enregistrement fut rendu public par l'Élysée : il s'agissait, candidement, de « montrer les coulisses » du travail du président, de révéler aux Français son style, de leur faire entendre son courageux « parler vrai ». Au-delà des différences entre les personnages, on y voit Macron adopter à peu près le même ton que Reagan pour répéter ad nauseam que le système actuel est défaillant et parler, à six reprises en l'espace de quelques minutes, de la nécessité de responsabiliser davantage les pauvres.
… p 423 …
En consacrant 2 % du PIB à des politiques actives du marché du travail (formation, aide à la recherche d'emploi, etc.), le Danemark obtient une forte mobilité entre deux emplois (le fait de passer directement d'un emploi à un autre) et de nombreuses transitions dans et hors de l'emploi. Le taux de perte d'emploi involontaire est le même que celui des autres pays de l'OCDE, mais les travailleurs licenciés retrouvent un travail beaucoup plus rapidement : 3 travailleurs licenciés sur 4 trouvent un nouvel emploi en l'espace d'un an. Qui plus est, le modèle danois a su résister à la crise de 2008 et à la récession qui a suivi, sans connaître à l'époque de forte augmentation du chômage involontaire. L'Allemagne consacre 1,45 % de son PIB à des politiques actives du marché du travail, et cette part est montée à 2,45 % pendant la crise, quand le chômage était très au-dessus de son niveau habituel. En France en revanche, malgré les promesses répétées des gouvernements de faire davantage pour les chômeurs, les dépenses consacrées aux politiques actives du marché du travail sont depuis plus de dix ans bloquées à 1 % du PIB. »
Macron innovant, moderne, révolutionnaire quoi !
« Certains, trop redevables à l'orthodoxie pour tenir compte d'un fait ne s'y conformant pas, répètent comme un mantra de vieilles idées, quand bien même elles ont été depuis longtemps réfutées. » p 19
Croyez-moi, lisez ce livre.
Mais parlons plutôt du chevalier blanc de la moralisation de la vie politique, Emmanuel Macron, parangon de probité, digne de la plus haute confiance et de grande moralité comme il se doit pour un président de la république, pour le meilleur de tous les temps.
Comment Macron m’a séduit puis trahi.
Par Adrien de Tricornot, propos recueillis par Johan Weisz.
Source : Street Vox, 10-02-2017.
(https://www.streetpress.com/sujet/1486723160-macron-le-monde)
« Je suis Adrien de Tricornot, je suis journaliste au Monde. En 2010, le groupe Le Monde avait de grosses difficultés financières et j’étais vice-président de la Société des Rédacteurs du Monde.
Nous les journalistes, au travers de la Société des Rédacteurs du Monde, étions les principaux actionnaires du groupe*. Nous savions que nous allions devoir faire appel à de nouveaux investisseurs, et voir nos parts diminuer. Nous allions perdre le contrôle actionnarial du journal. Il fallait nous entourer de spécialistes : avocats, banquiers d’affaires.
C’est à ce moment-là qu’Emmanuel Macron, jeune banquier chez Rothschild, fait savoir à une journaliste, qu’il est prêt à nous aider « pro bono ». (bénévolement)
Emmanuel Macron se présente à nous comme un banquier d’affaires qui fait de l’argent, mais n’y trouve pas du sens, membre de la Fondation Jean Jaurès, voulant défendre la liberté de la presse, ancien assistant de Paul Ricœur (hum !)… Et donc prêt à nous aider bénévolement.
Et Emmanuel, puisque c’est comme ça qu’on l’appelait à l’époque, devient vite un conseiller important pour nous. On allait le voir le soir chez Rothschild, quand tous ses collègues étaient sortis ou dans des cafés pour se tenir au courant discrètement. On le trouvait formidable, super brillant…
Le 2 septembre 2010 après-midi, on se retrouve une nouvelle fois dans le bureau d’Emmanuel Macron. On lui rend compte de l’état de nos négociations. On s’apprête à conclure avec l’offre Bergé-Niel-Pigasse, qui n’était pas la direction vers laquelle il nous avait conseillé d’aller. Mais l’entretien reste très cordial.
Le 3 septembre au matin, nous avions une réunion avec les conseillers de Pierre Bergé [un des futurs repreneurs du Monde], 10 avenue George V. La coïncidence, c’est qu’à la même adresse, il y a les bureaux… d’Alain Minc. Or Minc, ancien président du Conseil de Surveillance du Monde, conseille à l’époque le groupe Prisa qui est un des autres candidats au rachat de notre journal.
Après notre rendez-vous, nous discutons quelques minutes entre nous avec Gilles Van Kote, président de la Société des rédacteurs du Monde, notre avocat et sa collaboratrice, en bas de l’immeuble. Je vois la porte de l’immeuble s’ouvrir. Un petit groupe sort autour d’Alain Minc, pour aller déjeuner ; le dernier à sortir est Emmanuel Macron. Je croise son regard, il me semble qu’il me voit également ; il échange quelques mots avec Minc tout en restant sur le pas de la porte, puis Macron disparaît derrière la porte cochère et ne sort pas.
Là je dis à mes collègues : « vous n’allez pas me croire, mais avec Minc, il y avait Macron ». Mes amis me disent que je suis peut-être un peu fatigué, mais que ça n’est pas possible.
La partie de cache-cache commence.
Je décide d’aller voir si Macron est toujours derrière la porte. Je ne vois personne dans l’entrée, personne derrière la porte, personne dans la cour. Je reviens sans l’avoir trouvé. Mais avant que nous nous séparions, je décide de faire une autre tentative, et je demande aux autres de m’attendre.
Je monte à l’étage et je sonne au bureau de Minc, mais tout le monde est parti manger. Et je me dis, tiens, si j’allais monter voir aux autres étages. J’avais une sorte de pressentiment. J’avais vu que Macron se cachait, or quelqu’un qui se cache doit continuer à se cacher. Je monte les marches. Mon téléphone sonne en appel masqué. Je n’ai pas su qui c’était, j’ai raccroché.
Et puis j’arrive au dernier étage de l’immeuble. Je vois que la porte de l’ascenseur est bloquée – et effectivement quand j’avais essayé de prendre l’ascenseur, il n’était pas dispo. Et tout au bout de l’étage, sur le palier, il y avait Emmanuel Macron qui s’était bien « replié » au moment où il m’avait vu !
Il avait bloqué la porte de l’ascenseur, et je ne sais pas si c’est lui qui m’avait appelé en masqué pour savoir si c’était moi qui montait les marches. On s’appelait beaucoup à l’époque, mais pas en appel caché ! Ceci dit, c’est peut-être juste un hasard.
Surtout, étrangement, quand j’arrive sur le palier du dernier étage, Macron regarde ses pieds et a son portable à l’oreille et fait comme s’il ne me voyait pas. Et précisément au moment où j’arrive sur le seuil du dernier étage, j’entends « Oui allô c’est Emmanuel… » Il se met à démarrer une conversation au téléphone. Pile au moment où j’arrive. Je ne sais pas s’il y avait vraiment quelqu’un à l’autre bout du téléphone…
Et moi je vois ce type juste devant moi, qui fait comme si je n’étais pas là. Je suis totalement sidéré. Je pourrais être en colère de la trahison, car on voit bien qu’il a essayé de nous cacher quelque chose, mais je suis assez content de l’avoir trouvé !
Je me rapproche à quelques centimètres de lui, mais toujours rien… il continue à « parler » au téléphone. Je lui tends la main et lui dis : « Bonjour Emmanuel. Tu ne nous dis plus bonjour ? Mes autres collègues t’attendent en bas ». J’ai senti à ce moment l’angoisse en lui. Il avait du mal à respirer. Son cœur battait à 200 à l’heure. Je lui demande ce qu’il fait là. Il me répond :
« J’attends des clients »
– Tu attends des clients, comme ça, sur le pas de la porte ? Pourquoi tu ne rentres pas ?
– Bah, parce qu’en fait on nous prête des locaux ici, mais j’ai pas encore la clé…
– En tout cas mes collègues t’attendent en bas, ça serait bien que tu descendes leur dire bonjour ;
– Non je ne peux pas, j’attends des clients… »
Finalement, je lui force la main pour qu’il descende dire bonjour à mes collègues. Macron retrouve petit à petit son aplomb, pendant qu’on redescend au rez-de-chaussée.
Je repasse la porte d’entrée de l’immeuble, cette fois avec Macron. Là, mes amis, goguenards, s’attendaient à me voir revenir bredouille. Ils passent de l’état goguenard à celui de la sidération. Parce qu’effectivement Macron était bien là !
Macron discute quelques instants avec notre petit groupe. Parmi mes collègues, notre avocat d’affaires, qui est assez rompu aux négociations d’affaires, sait que dans ce domaine tout est permis, mais là, était sidéré. Et Gilles Van Kote [à l’époque président de la société des rédacteurs du Monde, puis directeur du journal de 2014 à 2015], qui était aussi présent, m’avait dit un jour : « On a été trahis par tellement de gens que si même Emmanuel nous trahit, c’est à désespérer de l’humanité. » Quelques minutes plus tard après être parti, Gilles Van Kote m’envoie ce texto : « Tant pis pour l’humanité. »
Je pense que Macron a été se cacher parce qu’il a été surpris. Le fait qu’il soit surpris avec Alain Minc est une sorte d’aveu qu’il a des relations qui ne sont pas connues de nous avec lui. Or Macron est notre conseiller. Il a le droit de rencontrer Minc, soit pour des dossiers qui ne nous concernent pas et où il ne parle pas de nous. Mais s’il parle de notre dossier, il doit nous en rendre compte. Cela signifie que, pendant la négociation, Macron avait déjà eu des relations avec Minc, sans nous le dire. Or Minc était le soutien d’une offre qui nous paraissait particulièrement dangereuse, celle de Prisa ! Recommandée par Emmanuel Macron !
* Au sein du « Pôle d’indépendance », qui était l’actionnaire majoritaire, il y avait la Société des Rédacteurs du Monde, mais également les lecteurs et les autres salariés. »
Une dernière, plus récente.
Le grand manipulateur - Les réseaux secrets de Macron.
Marc Endeweld- Ed. Stock
« … p 184-185-186 …
Une fois franchies les portes de l'Élysée, le jeune président décide de ne plus donner aucune nouvelle à son ancien protecteur devenu encombrant. Face à ce silence, Jean-Pierre Jouyet, désormais ambassadeur de France à Londres, loin, très loin de la scène parisienne, tente à de multiples reprises de relancer son ancien protégé par SMS et par mails. Sans succès. Macron ne joue plus. Macron ne répond plus. Il a ghosté Jouyet.
Sans prévenir, le jeune Emmanuel a coupé d'un coup le lien qu'il avait mis tant d'énergie à tisser avec son aîné. À l'heure des réseaux sociaux, c'est le triomphe des liens faibles. Période ingrate dans laquelle Macron fait des merveilles. Il séduit, utilise, et jette. Sans états d'âme. Forcément, le vieux Jean-Pierre ne comprend vraiment pas les raisons de ce silence brutal. N'a-t-il pas aidé Emmanuel dès son entrée à l'Inspection générale des finances, en lui faisant rencontrer de nombreux patrons ? Ne lui a-t-il pas permis de devenir Secrétaire général adjoint l'Élysée en 2012, alors que Hollande n'envisageait de lui proposer qu'un simple poste de conseiller ? Et n'a-t-il pas poussé le même président à le nommer ministre de l'Économie en août 2014 ?
Macron est devenu amnésique. C'est pourtant Jean-Pierre Jouyet qui lui rendait visite discrètement à Bercy, dès l'automne 2015, pour l'aider dans une nouvelle aventure politique. En décembre 2016, peu de temps après le renoncement de François Hollande, c'est encore Jean-Pierre Jouyet qui, avec sa femme Brigitte Taittinger, vient séjourner dans la maison du Touquet de Brigitte et Emmanuel, sous prétexte d'un mariage dans la région. Plus tard, il n'hésitera pas à payer de sa poche en signant des chèques, comme d'autres membres de sa famille, pour financer En marche ... Comment Emmanuel aurait-il pu oublier si vite ce soutien indéfectible ?
(...)
Plus le temps passe, plus ce silence l'obsède. D'autant qu'Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Élysée, n'est pas plus réceptif à ses multiples messages. Le haut fonctionnaire devenu le deuxième personnage le plus important de l'État doit pourtant à Jouyet sa proximité avec Macron : comme secrétaire général de l'Élysée en août 2014, c'est Jouyet qui a poussé Macron, tout nouveau ministre de l'Économie, à prendre cet ancien collaborateur de Moscovici comme directeur de cabinet. Manifestement, Kohler a lui aussi la mémoire courte.
C'est à l'occasion d'une visite à l'Élysée pour préparer le sommet franco-britannique du 18 janvier 2018, que Jean-Pierre Jouyet essaye une ultime fois de recueillir une explication. Ce jour-là, l'ambassadeur de France est finalement reçu par le président de la République dans son bureau. « Tu es content de ton nouveau poste ? » s'enquiert le chef de l'État, avec ce large sourire qu'il adore opposer à ses interlocuteurs pour mieux les décontenancer. Après lui avoir répondu par l'affirmative, Jouyet tente la remarque suivante : « Attends, Emmanuel, je t'ai envoyé de nombreux SMS et mails, mais je n'ai reçu en retour aucune réponse... » Macron Ie coupe avec aplomb : « Tes sûr ? » Et Jouyet de reprendre : « j'ai envoyé les mêmes mails à Alexis Kohler... » Le secrétaire général entre dans la pièce. Macron le prend à témoin : « Alexis, tu ne sais pas ce que m'a dit Jean-Pierre ? Il nous a envoyé des SMS, et des mails, mais nous n'avons rien reçu. » Devant une telle assurance, Jouyet est alors prêt à les croire ; « Vous me rassurez, je croyais que vous ne vouliez plus me parler... » . »
Voilà, voilà !!!
Lisez ce livre aussi, inouï.
Addenda.
Abhijit V. Banerjee est professeur d'économie (Ford Foundation International) au Massachusetts Institute of Technology (MIT), et cofondateur et codirecteur de l'Abdul Latif Jameel Poverty Astion Lab (J-PAL). En 2011, il a été classé par le magazine Foreign Policy parmi les 100 penseurs les plus influents dans le monde. Abhijit V. Banerjee a fait partie du panel de haut niveau du secrétariat des Nations unies sur l'Agenda pour le développement post-2015. Il a reçu de nombreux prix, honneurs et récompenses, dont le premier prix Infosys. Repenser la pauvreté, son précédent livre, écrit avec Esther Duflo, a été nommé livre de l'année par le Financial Times et Goldman Sachs Business Book de l'année ; il a été traduit en 17 langues.
Il vit à Cambridge, dans le Massachusetts.
Esther Duflo est professeure d'économie du développement et de réduction de la pauvreté au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et cofondatrice et codirectrice de Latif Jameel Poverty Action Lab (J-PAL). Esther Duflo a reçu nombreux prix et honneurs académiques, dont la médaille John Batees Clark distinguant le ou la meilleure économiste américaine de quarante ans, et une bourse MacArthur « Genius ». En 2001, le magazine Time l'a classée dans les 100 personnalités influentes dans le monde.
Elle vit à Cambridge, dans le Massachusetts.
En 2019, Abhijit V. Banerjee et Esther Duflo ont reçu le prix Nobel d'économie.
En guise de remerciements ils ont écrits :
« Pour écrire un livre qui s'aventure bien au-delà de notre « cœur de métier », nous avons dû nous reposer sur le savoir et les conseils d'un grand nombre de nos amis économistes (...) Nous nous sentons tenus cependant de nommer (sans aucunement les impliquer, bien sûr) : Daron Acemoglu, David Atkin, Arnaud Costinot, Dave Donaldson, Rachel Glennerster, Penny Goldberg Michael Greenstone, Bengt Holmstrom, Michael Kremer, Ben Olken, Thomas Piketty, Emma Rotschild, Emmanuel Saez, Frank Schilbach, Stefanie Stantcheva et Ivan Werning. Merci infiniment pour tout ce que vous nous avez appris.
(...)
À nouveau, au risque de commettre une injustice grossière, ce livre ne serait pas ce qu'il est sans l'influence, entre autres, de Philippe Aghion, Marianne Bertrand, Arun Chandrasekhar, Daniel Cohen, Bruno Crépon, Ernst Fehr, Amy Finkelstein, MaitreesK Ghatak, Rema Hanna, Matt Jackson, Dean Karlan, Eliana La Ferrara, Matt Low, Ben Moll, Sendhil Mullainathan, Kaivan Munshi, Andrew Newman, Paul Niekus, Robini Pande, Nancy Qian, Amartya Sen, Robert Solow, Cass Simstein, Tavneet Suri et Robert Tomrsend. »
Esther Duflo, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Arnaud Costinot, Philippe Aghion, Bruno Crépon et Daniel Cohen sont français et mondialement connus.
Apparemment, pas d’Emmanuel Macron.
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