Manuel Aeschlimann, le député qui aimait jouer avec le code des marchés publics
Mercredi 9 juin, Manuel Aeschlimann saura si sa peine de 4 ans d’inéligibilité, prononcée par le tribunal correctionnel de Nanterre en première instance, est confirmée ou non par la cour d’appel de Versailles. Il avait été condamné en mars 2009 pour « atteinte à la liberté d’accès ou à l’égalité des candidats dans les marchés publics ». Au moment des faits, en 1998, Manuel Aeschlimann n’était qu’un « jeune loup » de 33 ans, à qui Frantz Taittinger, alors maire d’Asnières, avait confié les rennes de la mairie. S’agissait-il d’une erreur de jeunesse pour laquelle la cour d’appel se doit d’être clémente ? Rien n’est moins sûr, car l’analyse d’une autre affaire - celle du parking de l’Hôtel de Ville d’Asnières - met en lumière des manquements graves au respect des règles de mise en concurrence des entreprises tel que l’exige le code des marchés publics.

L’affaire du festival folklorique d’Asnières : un « cas d’école » aboutissant à 4 années d’inéligibilité en première instance
La lourdeur de cette condamnation en première instance s’explique par le fait que Manuel Aeschlimann a été reconnu comme étant le principal instigateur d’un montage juridico-financier élaboré pour financer la société de son ami Dominique Carbonnier, CDA Production, choisie sans mise en concurrence, pour organiser le festival folklorique d’Asnières en juin 1998.
Un premier contrat avait été signé pour la ville d’Asnières par Manuel Aeschlimann, alors premier adjoint chargé de la communication et à ce titre responsable de l’organisation des évènements culturels, avec la société CDA Production, sans respecter les dispositions du code des marchés publics, en particulier la mise en concurrence des entreprises. C’est donc en toute logique que le préfet demande l’annulation du contrat, une requête immédiatement suivie par le maire d’Asnières, Frantz Taittinger. C’est alors que Manuel Aeschlimann élabore son montage en créant l’association para-municipale « Asnières communication », à laquelle la mairie d’Asnières verse une subvention de 200 000 €. Cette « façade » va permettre le financement de la société de son ami tout en échappant au contrôle de légalité de la préfecture. (« Festival : y a-t-il eu petits arrangements entre amis ? », asnierois.org, 30 janvier 2009)
Pour le procureur du tribunal de grande instance, l’affaire était claire : il s’agissait d’un « cas d’école », ou encore d’un « florilège de tout ce qu’il y a d’irrégularités en matière de marchés publics » qui allait conduire Manuel Aeschlimann à une peine solidaire de 120 000 € (100 000 € de dommages et intérêts, soit l’évaluation du surcoût du festival, et 20 000 € au titre du préjudice moral) ; et à titre personnel, à 18 mois de prison avec sursis, 20 000 € d’amende et surtout, 4 années d’inéligibilité. Cette décision faisait alors effet de coup de tonnerre dans la classe politique. Néanmoins, le rapport entre les charges retenues contre Manuel Aeschlimann et les 4 années d’inéligibilité n’étaient pas clairement établies. (« Quatre ans d’inéligibilité pour Aeschlimann », Le Parisien du 14 mars 2009, Gaëtane Bossaert)
A la suite de cette décision, qualifiée par Manuel Aeschlimann de « profondément injuste », l’ancien maire d’Asnières avait immédiatement fait appel et promis d’apporter de nouveaux éléments en vue de préparer le jugement du 9 juin. Quelle sera la teneur de ces nouveaux éléments ? Et comment les magistrats de la cour d’appel de Versailles vont-ils les accueillir, eux qui ont la réputation de réduire considérablement les peines d’inéligibilité prononcées en première instance ?
Erreur de jeunesse ou coup d’essai ?
Quoi qu’il en soit, il semblerait que cette infraction au code des marchés publics, datant donc de 1998, n’ait pas servi de leçon à Manuel Aeschlimann car quelques années plus tard, il récidive : en septembre 2002, le préfet des Hauts-de-Seine est contraint d’annuler un nouveau contrat que Manuel Aeschlimann, devenu entretemps maire d’Asnières, avait signé avec la société OMNIPARC, pour la concession, l’affermage de quatre parkings publics d’Asnières, et pour la construction de trois nouveaux parkings, dont celui de l’Hôtel de Ville. Motif de l’annulation : les conditions de la mise en concurrence ont été faussées, car seule la société OMNIPARC, parmi les soumissionnaires, avait été informée de la modification du périmètre du marché en cours de procédure, la construction de deux des trois parkings étant devenue optionnelle ! (jugement de la cour administrative d’appel de Paris, 13 juin 2006) Notons que pour ce projet initial, le parking était de forme rectangulaire et disposait de 4 niveaux de sous-sols, tel que cela figurait dans le cahier des charges.
Manuel Aeschlimann outrepasse l’avis de préfet et demande au délégataire OMNIPARC de poursuivre les études architecturales et techniques, pourtant à peine entamées au moment de la décision préfectorale. Quelques mois plus tard, en juin 2003, le Tribunal Administratif confirme l’annulation du contrat. Mais entretemps, la société OMNIPARC a travaillé pendant 9 mois sur les études. Résultat : contrainte d’annuler le contrat, la mairie d’Asnières indemnise la société OMNIPARC à hauteur de 615 000 € TTC pour les études réalisées, auxquels s’ajoutent 150 000 € d’indemnités transactionnelles. (« Parking du centre : 816 000 € pour une construction fantôme » Le Parisien du 14 septembre 2004, Marisa Faion)
Manuel Aeschlimann minimise le montant de cette transaction bien coûteuse pour les contribuables asniérois en affirmant qu’il avait ainsi « racheté les études architecturales et techniques (…) en vue de lancer une nouvelle consultation sans nouvelle dépense d’études… » (« La gestion de la mairie d’Asnières : 1999-2005 », réponse de Manuel Aeschliman au rapport de la cour régionale des comptes d’Ile-de-France, mars 2008)
Soit, et pourquoi pas après tout… Mais Manuel Aeschlimann et son équipe avaient anticipé la décision du Tribunal Administratif et avaient entamé, quelques semaines auparavant, une étude interne concernant un nouvel emplacement pour le futur parking. Et quelques mois plus tard, début 2004, le souhait d’un parking de forme rectangulaire de 4 niveaux de sous-sols se transforme en un souhait d’un parking de forme cylindrique en hélice de 7 niveaux de sous-sols !
Est-il bien raisonnable de penser que les études architecturales et techniques du premier projet pourraient être réutilisables pour la réalisation du second projet ? Pour Manuel Aeschlimann, cela ne fait aucun doute ! (intervention de Manuel Aeschlimann lors du conseil municipal du 7 mai 2009)
Nouvelle tentative de contournement des marchés publics
Quelques temps après l’annulation du contrat avec la société OMNIPARC, Manuel Aeschlimann tente de réaliser son nouveau parking en ayant recours à un montage financier original qui permet d’échapper aux marchés publics, et donc à la mise en concurrence des entreprises : le bail emphytéotique administratif (BEA). Il demande donc à la société GESPACE de réaliser de nouvelles études architecturales et techniques en vue de construire un parking souterrain cylindrique en hélice, de 7 niveaux de sous-sols. Ce que le maitre d’ouvrage parviendra à réaliser rapidement, dossier de permis de construire à la clé.
Mais Manuel Aeschlimann avait omis un détail juridique : un bail emphytéotique ne peut être conclu lorsque le bien sur lequel il porte demeure sur la voirie publique, ce qui est le cas du parking (« Parking mairie : une gestion de gribouille », asnierois.org, 8 décembre 2004). Et c’est ce que l’opposition ne manquait pas de faire constater à l’ancien maire d’Asnières qui, de peur d’un recours administratif, décide fin 2004 d’annuler une nouvelle fois son projet, pour lancer un appel d’offres pour réaliser son parking de l’Hôtel de Ville. Début 2006, le marché sera attribué à la société GIS PARCS, qui rachètera les études réalisées par la société GESPACE, mais, alors que les travaux venaient à peine de commencer, cette dernière sera contrainte de les stopper, un nouveau recours ayant été déposé au tribunal administratif par un conseiller municipal au motif principal de… la violation de la procédure de passation des marchés publics et du coût exorbitant de la construction du parking ! (« Nouveau recours contre le parking », Le Parisien du 8 juin 2006, Marisa Faion)
En 2009, la nouvelle majorité formée autour du maire PS Sébastien Pietrasanta décide d’annuler le contrat avec la société GIS PARCS, moyennant 550 000 € TTC d’indemnités. Un nouveau projet de parking semblable au projet initial de Manuel Aeschlimann (rectangulaire à 2 niveaux de sous-sols) aurait été retenu, mais, selon les dires de Sébastien Piétrasanta, les études architecturales et techniques ont été « rachetées » à l’époque par Manuel Aeschlimann, « sans qu’il y ait vraiment de choses qui soient récupérables ». (intervention de Sébastien Pietrasanta lors du conseil municipal du 7 juillet 2009)
Avant de conclure, il est possible de constater des similitudes entre l’affaire du festival folklorique et celle du parking de l’Hôtel de Ville : dans les deux cas, par un procédé de contournement des règles de mise en concurrence du code des marchés publics, Manuel Aeschlimann est parvenu à passer un contrat avec la société de son choix. Dans le cas du contrat passé avec la société CDA Production, la justice a estimé qu’il y avait un surcoût de 100 000 €. Dans le cas du contrat passé avec OMNIPARC pour la construction du parking de l’Hôtel de Ville, le délégataire a été rémunéré à hauteur de 615 000 € pour des études architecturales et techniques « sans qu’il y ait vraiment de choses qui soient récupérables ».
Un peu d’humour pour terminer
Mais ceci est une autre histoire… Pour terminer cet article sur une note d’humour, le lecteur est invité à visionner ce montage vidéo, qui nous éclaire sur le procédé inventé par Manuel Aeschlimann, lui permettant de construire un parking cylindrique en hélice de 7 niveaux de sous-sols à partir des études architecturales et techniques d’un parking rectangulaire de 4 niveaux de sous-sols. Incroyable !
L’histoire complète du parking de l’Hôtel de Ville d’Asnières est disponible à ce lien : http://parking-asnieres.netai.net/infos.html
Etrangement, l’affaire du parking de l’Hôtel de Ville ne semble pas intéresser les magistrats du parquet de Nanterre. Jusqu’à quand ?
Le verdict du jugement du 9 juin prochain de la cour d’appel dans l’affaire du festival folklorique est à double tranchant pour Manuel Aeschlimann : ou la peine est confirmée et il fort probable qu’il n’aura plus à faire aux marchés publics pour un certain temps, du moins en tant que responsable d’une collectivité. Ou il est blanchi et dans ce cas, celui qui a prêté serment d’avocat il y a peu devra faire tous les efforts nécessaires pour assimiler le code des marchés publics, et s’y soumettre, faute de quoi il risque de subir de nouvelles mésaventures judiciaires.
Liste des références :
· « Festival : y a-t-il eu petits arrangements entre amis ? », asnierois.org, 30 janvier 2009
· « Quatre ans d’inéligibilité pour Aeschlimann », Le Parisien du 14 mars 2009, Gaëtane Bossaert
· Jugement de la cour administrative d’appel de Paris, 13 juin 2006
· « Parking du centre : 816 000 € pour une construction fantôme », Le Parisien du 14 septembre 2004, Marisa Faion
· « La gestion de la mairie d’Asnières : 1999-2005 », réponse de Manuel Aeschliman au rapport de la cour régionale des comptes d’Ile-de-France, mars 2008
· Intervention de Manuel Aeschlimann lors du conseil municipal du 7 mai 2009
· « Parking mairie : une gestion de gribouille », asnierois.org, 8 décembre 2004
· « Nouveau recours contre le parking », Le Parisien du 8 juin 2006, Marisa Faion
· Intervention de Sébastien Pietrasanta lors du conseil municipal du 7 juillet 2009
· http://parking-asnieres.netai.net/infos.html
· « Hortefeux invité surprise des diners douteux d’Aeschlimann », Rue89 du 24 novembre 2009, David Servenay
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