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Accueil du site > Tribune Libre > Milan Kundera ou l’insignifiance des choses

Milan Kundera ou l’insignifiance des choses

Milan Kundera appartient au petit nombre de ceux qui sont entrés de leur vivant dans la Pléiade, sacre absolu pour un écrivain, mieux que l'Académie et le Panthéon réunis. La raison en est que l'écrivain s'est imposé comme l'un des derniers auteurs à avoir une audience mondiale et à offrir une oeuvre d'une étonnante solidité. Quinze volumes couvrent les années 1960 à 2000 qui tous constituent un " cosmos en soi "et semblent avoir obéi à un dessein initial d'une formidable cohérence. Et puis Kundera a cela de particulier qu'il est un survivant de l'ancien monde, celui de derrière le rideau de fer, sorte de préhistoire mentale désormais si lointaine d'un pays envahi tour à tour par les chars allemands et les chars soviétiques, avant d'être démembré en 1992 comme le fut l'empire austro-hongrois.

 

C'est à Brno, au sud de la Tchécoslovaquie, que Kundera naît en 1929, héritier d'une lignée d'auteurs pluriséculaire qui remonte à Rabelais et Cervantès et dont il assume l'héritage avec force, celui d'une littérature universelle. Ce qu'il appelle "le grand contexte" par opposition au "petit contexte" constitué par le peu de choses que l'on sait à propos de sa vie personnelle. Installé en France en 1975, c'est son oeuvre et elle seule qui occupe sa vie, une vie retranchée dans la solitude qui peut apparaître hautaine à certains. C'est le printemps de Prague qui va le faire connaître du grand public avec La plaisanterie, démystification saisissante de la raison historique, tout ensemble légère, ludique et amère. Car pour lui l'histoire ne doit être qu'un prétexte, au risque de faire courir au livre l'inconvénient majeur de dater. Ce que Kundera cherche à raconter, ce sont d'abord et avant tout des comédies intemporelles, caustiques et désenchantées, inspirées par des faits réels que l'on retrouve au cours des siècles comme dans La valse aux adieux de 1976 ou dans L'insoutenable légèreté de l'être de 1984, qui lui vaudra une audience internationale.

 

Ses oeuvres n'en sont pas moins jalonnées de quelques grands motifs, véritable condensé de l'existence où l'art de la désillusion est pratiqué de façon quasi médicale, ainsi que le serait un "sérum de vérité". Kundera définit ainsi l'acte d'écrire : " la grande forme de la prose où l'auteur, à travers des égos expérimentaux (personnages), examine jusqu'au bout quelques grands thèmes de l'existence ". Il est vrai que quittant l'Est pour l'Ouest, comme le fit Soljenitsyne, il est passé sans transition d'un monde dur à un monde mou, de la conjuration du silence à celle du bruit, ainsi qu'il l'a expliqué lui-même. Moraliste désabusé, l'écrivain pose sur les êtres et les choses un regard sans concession et surtout sans illusion. Il y a longtemps qu'il a liquidé ce qu'il appelle "l'âge lyrique de la vie", âge des illusions meurtrières auquel nombre de poètes ont prêté une éternité trompeuse. Il l'a consigné dans un réquisitoire implacable La vie ailleurs (1969-1970) où le rire seul peut encore sauver du désenchantement. Voilà quel est le prix à payer pour que l'ironie pallie à l'amertume ! Oui, rien dans cette oeuvre n'aura été laissé au hasard et nulle improvisation hasardeuse n'aura été tentée, tant il s'agit de décrire le monde tel qu'il est, sans recourir à des images triomphantes, sans céder à la sensualité capricieuse de l'amour et en ne perdant jamais de vue que l'écrivain se doit d'être un démystificateur honnête, dont la responsabilité ultime est de faire prendre conscience à ses lecteurs de l'insignifiance des choses et des égarements successifs des pouvoirs.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 


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12 réactions à cet article    


  • velosolex velosolex 4 novembre 2022 12:48

    J’avais avalé ses romans à la fin des années 70. Une époque antidéluvienne. Parfois je pense à le relire. Celle de Calvino et de Gabriel Marquez m’ont déçu. L’époque a changé, ou peut être que c’est moi encore plus. Peu d’auteurs passent le mur du temps. On parlait beaucoup à l’époque de ces transfuges, de ces dissidents, dont certains encore osaient mettre en cause leur témoignage, sous pretexte encore de ne pas déserpérers Billlancourt, ou je ne sais quelle fadaise, alors que la réalité de l’URSS et de ses pays satellites était connu bien avant que Gide ne publie son « retour d’URSS »

    Il habitait Rennes où il était professeur de Français. Je l’ai aperçu un jour dans un café, en galante compagnie, avec des étudiants qui avaient approché leur table. Et j’ai eu l’impression d’être un personnage de Modiano épiant quelqu’un dont on commençait à parler, au seuil de sa gloire naissante, perdu dans un nuage de fumée. 

    Je me souviens de Leonid Plioutch, que Libération évoquait souvent. Il a fini par arriver en France lui aussi. Et il est tombé dans l’oubli. J’ai lu plus tard un billet où il évoquait sa sidération en arrivant à Paris. Il raconte avoir regardé les vitrines. Sa pauvre valise à la main contenait quelques effets, dont une serpillère usagée qu’il avait amené avec lui. Ce fut un choc. Ses trésors ne valaient plus rien. Il était lui même cette pauvre serpillère, bonne à jeter dans la première poubelle. 

    Un type ressemblant à un héros de Kundera, loin de ces arrivistes silencieux, qu’il dépeingnait aussi, même si c’était soi disant des poètes,mais « officiels ». 100 façons d’arriver au pouvoir. L’un deux, psychopathe plein de vanité, est arrivé à la tête de la Russie, comme un acteur de série B publié dans « La pleiade ».

    Marc Dugain, un auteur que j’ai découvert cette année, a évoqué ce parcours dans « une exécution ordinaire » en 2008. John Le Carré, est mort l’an passé, et ne parlera plus de la maison Russie. Je viens de lire « Terre noire », de Timothy Snyder qui évoquait il y a cinq ans, sa crainte de voir se recréer les mythes tournant autour du « Lebensraum », ce qu’Hitler concevait comme espace vital pour les allemands, mais cette fois concernant la Russie, voir la chine, avides de ressources en terre riche et en eau. La terre noire, c’est bien sûre celle d’Ukraine. 


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 4 novembre 2022 18:22

      @velosolex
      Ben merde , moi qui viens d’acheter d’occaze « Cent ans de solitude  » .


    • velosolex velosolex 4 novembre 2022 22:17

      @Aita Pea Pea
      Salut. Je ne dis pas que Marquez est mauvais. Je dis simplement qu’il ne correspond plus à l’image que je m’étais fait. Relire un livre, c’est prendre le risque de vouloir retrouver les lueurs de sa jeunesse. 
      Mieux vaut finalement en garder l’éblouissement, sans chercher à se remettre dans l’empreinte des causes. Mais en écrivant cela, je m’aperçois que la lecture d’autres livres les a encore davantage magnifié. Comme les chefs d’oeuvre de Flaubert par exemple. Ou « les confessions » de Rousseau. 
      Le pied, comme on ne dit plus, c’est de découvrir des nouveaux auteurs, dont on s’aperçoit, en regardant l’année d’impression, qu’ils sont aussi veux que nous. Et que le petit chef d’oeuvre « de cet auteur promis au plus grand avenir »,comme dit la jaquette arrière, a écrit depuis une dizaine de livres, dont nous sommes totalement passée au travers.
      Ca vient de m’arriver en lisant un peit bijou, presque aussi vieux que ’cent ans de solitude« . Ce n’est qu’un polar, mais à l’intrigue formidable, et admirablement écrit, comme un classique. »Le maitre d’escrime". d’Arturo Perez Reverte. Un grand maitre lui aussi, à la manière espagnole. C’est aussi un roman historique, qui parle de valeurs passées, du veillissement, et de l’éthique. 


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 4 novembre 2022 22:32

      @velosolex
      Salut. Rhaa en même temps sur l’étal il y avait un Simenon , un Maigret ...je replonge... Pour la xieme fois.


    • velosolex velosolex 4 novembre 2022 23:28

      @Aita Pea Pea
      Heureux homme que celui qui aime les livres.
      Il n’a pas besoin d’ailes pour voler !.
      Ni de gazoline dans le réservoir de sa moto
      Pour rouler plus vite que son ange gardien
      Et passer par dessus les belles collines !


    • alinea alinea 4 novembre 2022 13:15

      Puissant, unique et universel je pense qu’il a une place à part dans chaque bibliothèque personnelle !

      J’ai lu certains de ses livres peut-être dix fois, j’aimais la brièveté de ses « scènes », son rythme, et la justesse des caractères, des sentiments... un auteur que j’ai mis dans mon panthéon avec Paul Valéry Romain Rolland, Hermann Hesse et Pavese !!!

      Je signe mon époque je pense !!

      Merci pour ce retour à Kundera


      • Montdragon Montdragon 4 novembre 2022 18:06

        @alinea
        Bonjour !
        J’ai lu Siddartha de Hesse, que me conseillez-vous par la suite ?


      • alinea alinea 4 novembre 2022 20:22

        @Montdragon
        Le jeu des perles de verre !! et puis tous !!! Narcisse et Goldmund... j’ai plus tout en tête... mais on n’est jamais déçu !


      • velosolex velosolex 4 novembre 2022 23:18

        @Montdragon
        Hesse fait partie de ces écrivains germaniques qui ont encaissé deux guerres, la montée du fachisme, et les autodafés d’Hitler. Que ce soit Hesse, Thomas Mann, ou Stephan Zweig, ces grands auteurs à la santé fragile, et un brin névrosés (on le serait à moins dans cette époque) ont écrit des oeuvres portant le poids de leur soufrance existencielle, et le poids de l’histoire de l’Allemagne.
        Je situe « la montagne magique » de Thomas Mann, au sommet...C’est un livre que j’ai relu plusieurs fois, se passant à l’écart du monde....Mais les tuberculeux du sana de Davos où se passe l’action, sont en concordance avec les nouvelles de Zweig, avec ses héros sans cesse sur le fil du rasoir et de la dépression. Je recommande aussi les biographies que Zweig à écrit. Un genre où il excellait. Sans doute que les choix des personnalités qu’il étudie comme dans « Marie Antoinette », ou « Magellan » ne sont pas du au hasard. Ils portent des destinées tragiques, déterminés par l’histoire en marche. Le facteur de la destinée et du tragique est aussi au coeur de l’oeuvre Léo Perrutz, que beaucoup qualifieront de secondaire. Ce touche à tout, Mathématicien, et musicologue, écrivit pourtant des perles rares marqués par la farce et l’ironie du destin, souvent grinçant. « Le cavalier suédois » ou « Le judas de leonard » suffiront à vous donner de lire toute son oeuvre. Ce juif autrichien parvint à fuir avant l’holocauste, pour la Palestine. Mais il était dit qu’il devait mourir en Autriche, mais sur ses skis, après guerre...Voilà le résumé de ces livres : La predestination 
        Zweig se suicidera, ne supportant plus le régime nazi, mais sans doute ses propres fantömes. ’le monde d’hier« , est son dernier livre, où il évoque les années de son enfance, l’espoir perdu d’un monde meilleur, d’une europe dont il révait avec Romain Rolland juste avant que la guerre de 14 éclate, et que l’histoire ne se répète encore plus tard avec la montée du nazisme
        Herman Hesse a fait lui aussi des tentatives de suicide, qui sont au centre et marquent aussi la fin, de multiples nouvelles. Le nazisme et sa pensée sclérosée, ont fait sans doute bien des victimes, et la suissesse Annemarie Schwarzenbach, riche héritière, issue d’’une famille Prussienne, ayant des allégeances avec le nazisme, déprimée et toxico chronque, aura elle aussi une existence brève. Moins connue que les autres, cette jeune femme qui voyagea avec Ella Maillard, ( celle ci en fera le centre de son roman : La voie étroite) , a écrit de très beaux reportages sur les exclus, le new deal, et l’Afghanistan, s’attardant sur le sort des femmes, dans des textes qui restent étonnament modernes et visionnaires. 
        Il semble que cette blessure existencielle, liée aux temps obscurs, débouche parfois sur des oeuvres où comme disait Celine, l’écrivain accroche sa peau au porte manteau.
        La formule est beille, même si pour Celine, c’’est surtour la peau des autres qu’il accrochait ainsi.....J’ai lu tous ces auteurs dans les années 70,comme tant d’autres, car ils correspondaient à l’attente de cette génération, confrontés aux mêmes questions qui reviennent actuellement sur le but de l’existence.
        Hesse était en fait un peu oublié, dans l’après guerre, et il a eu une seconde gloire. Je me souviens d’une nouvelle sans doute secondaire pourtant, mais qui m’avait marqué, au point de me faire évoluer, et changer ma vie d’orientation.  »L’ornière" Elle racontait la vie d’un jeune homme bohème, aimé des femmes et musicien gagnant sa vie d’un travail agricole à l’autre. Les années passaient. Les conquètes se faisaient plus rares. On lui refusait le logis. Vous devinerez la suite
        L’influence que tous ces auteurs sera détérminante sur les écrivains des années 60 et 70. Les artistes sont comme des éponges. Ils prennent toute la violence et les contradictions d’une époque pour eux, et la mettent en représentation dans leurs oeuvres, comme Otto Dix le fit en peignant ses gueules cassées. Mais le breuvage parfois finit par les tuer. Les écrivains Russes d’aujourd’hui et de demain auront fort à faire. 


      • Montdragon Montdragon 5 novembre 2022 09:06

        @alinea
        merci !


      • Montdragon Montdragon 5 novembre 2022 09:07

        @velosolex
        merci !


      • laertes laertes 4 novembre 2022 17:40

        Bargouillere de Hauteclocq, vous n’en avez pas marre d’enfiler des perles d’insignifiance gonflées de ridicule ? 

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