Patriotisme et nationalisme
Contre toute attente le sentiment patriotique est revenu en force dans le champ social, ces dernières semaines. Faut-il s'en plaindre ? Sûrement pas ! Mais le nationalisme est en embuscade.
Parmi les différents effets qu’ont produits, dans la population française, les monstrueux attentats de novembre, il y a le regain d’un sentiment que l’on croyait relégué aux oubliettes de l’Histoire : le patriotisme. C’est lui qui vivifie cette Marseillaise entonnée un peu partout et ces fenêtres pavoisées de drapeaux tricolores avant même l’appel gouvernemental – non contraignant – du 27 novembre. C’est encore le patriotisme qui a généré cette vague de demandes d’engagement dans l’armée – celle-ci se trouvant vite débordée par le triplement journalier du nombre des postulants. Ces dernières semaines, de très nombreux Français ont eu le sentiment que leur pays était menacé par une idéologie obscurantiste et meurtrière ; et ils ont voulu lui barrer la route, y compris par l’éventualité de la lutte armée. Pourtant aucune injonction ne venait « d’en haut » - des instances du pouvoir, comme ce fut le cas par le passé. Pas de rhétorique stéréotypée d’embrigadement. C’était autre chose qui se passait, un sursaut d’indignation montant des tripes (ou du cœur), quelque chose qui relevait d’un instinct vital d’auto-défense projeté sur la nation toute entière. Pour eux, la patrie – mot paradoxalement féminin – n’est pas la terre des pères fondateurs mais un ensemble de valeurs (la liberté en tête), un mode de vie collectif qu’il s’agit de protéger contre ceux qui l’abhorrent. C’est, d’abord et principalement, la résistance de la civilisation à une nouvelle barbarie. Somme toute, une réaction plutôt saine, tant d’un point de vue sociétal que psychologique, voire biologique.
Cette poussée imprévue de patriotisme excède, on l’aura compris, tout esprit de parti et c’est ce qui en fait la beauté. Elle a cependant un écueil à l’horizon : le nationalisme.
Le nationalisme est sans doute une notion plurielle. Il y a, bien sûr, une différence profonde entre un nationalisme de réaction (comme dans les pays longtemps colonisés) et un nationalisme agressif et conquérant, comme l’a illustré au plus haut point le régime hitlérien. Entre une exaltation romantique des coutumes ou des racines (Herder, Fichte) et la vision d’un Renan fondée sur l’adhésion spirituelle à la nation et le droit du sol. Mais ouvert ou fermé, libérateur ou impérialiste, le nationalisme reste une machine de pouvoir, une construction idéologique qui vise à instrumentaliser à son profit le sentiment d’appartenance à une communauté ou une culture, ferment du patriotisme. Et, tôt ou tard, il ne peut que rencontrer l’autre en tant qu’adversaire, car l’exclusion est dans son principe même.
En France, il a pris la forme d’une critique systématique de la construction européenne (qui n’a pourtant rien d’un internationalisme) et, sur son versant intérieur, d’une discrimination ethnique. Il fait aussi un grand usage des symboles nationaux, quitte à en détourner la signification historique. Y aurait-il des bons et des mauvais Français ? Ne pourrait-on pas légitimement revendiquer sa francité tout en souhaitant, pour son pays, son intégration dans une communauté plus vaste ? Est-ce que des étrangers ne pourraient plus plébisciter et défendre ses valeurs face à des Français de naissance qui, eux, se galvanisent à des dogmes obscurs pour justifier leur haine de la France ? Il serait, à mon avis, regrettable que ce récent élan patriotique soit récupéré électoralement et enfermé dans les limites d’une pensée qui n’a, pour toute vision de l’avenir national, qu’un passé déréalisé.
Jacques LUCCHESI
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