Qui nous gouverne ?
Sont-ce ces politiques qui s’expriment en notre nom puisque tel est le principe de nos démocraties ? Est-ce le réel qui, dans son ensemble, dicterait une loi raisonnable à laquelle chacun se plierait dans une forme de sagesse collective ?
Le réel et la politique sont liés de la même manière que les mots et les choses. Qu’ils impriment leur pouvoir, nul ne pourrait le nier mais suffisent-ils à nous gouverner ? Et même n’est-il pas certain qu’une troisième instance, plus flottante, plus invisible, domine désormais en s’étant emparé et de l’un et de l’autre ? Car le véritable pouvoir ce n’est plus ce qui nous contrôle de l’extérieur mais bien ce qui régit notre pensée par une fabrication de notre imaginaire.
Est-ce là entrer dans le schéma de Debord ?…
Encore aurait-il fallu croire alors en une autonomie de la créativité et accorder à celle-ci un rôle émancipateur dans un monde où l’ouragan des images et la disparition de l’art contribuent à rendre chacun acteur et artiste, c’est-à-dire faire de chacun un être déposséder de son humanité et réduite à une figure fantasmée par les intérêts mercantiles d’une société entièrement régie par le spectacle de la mode.
Sans même évoquer cet être dépouillé de toute aliénation de classe qui semble être l’écueil des situationnistes.
Mais il certain que ces attaques massives d’images et toutes les représentations mentales qu’on nous inflige, que tous ces mythes qui métastasent le réel n’ont d’autre fonction d’enfermer celui-ci dans une parenthèse d’acier et de béton, de jeter le discrédit sur lui et sur toute les conceptions de vérité et de morale qu’il reflète.
L’homme contemporain n’aura jamais été aussi proche du mythe de la caverne. Comme le montrait Platon, nous sommes victimes d’un leurre et nous en sommes les prisonniers : les images qui nous sont renvoyées se substituent au réel et prennent le contrôle de notre subjectivité. Chacun, en toute innocence, gouvernante et gouvernés, participe à l’asservissement d’autrui par la propagation des mythes ainsi construits qui s’agglomèrent dans une communauté de culture.
En ce sens, oui, « l’enfer c’est l’autre ».
L’autre, le miroir, l’écran, tout à la fois émetteur et récepteur d’images. L’au-delà de soi, la « différence ».
« On » devient donc ce pouvoir. A chacun de savoir ramper et trouver une issue dans cette jungle de représentations qui sont souvent autant de mensonges, de manipulations, de désinformations.
« On » se réduit à ce discours informe consubstantiel à chacun, émanation d’un halo médiatique et publicitaire généralisé qui nous noie dans ses brumes.
Cessons de dénoncer le pouvoir comme un Autre absolu, fantasmé dans le nom d’un sujet qu’il soit celui de Sarkozy ou d’un autre. Le vrai pouvoir n’a pas de nom car il est sans sujet.
Non pas que son incarnation en politique soit marginale. Mais le nom, le sujet, ne représentent qu’un maillon peu signifiant dans une chaîne tellement plus large, dont chaque élément jouit de son autonomie en participant à la globalisation du pouvoir.
Le pouvoir est une synergie, donc.
Le contrer reviendrait à reprendre la même structure, aliénante par nature puisque « immanente », hors de notre champ de liberté.
C’est pourtant seulement dans cette perspective d’un détournement de l’imaginaire par l’action collective que nous pourrons encore nous approprier le réel. Violence symbolique contre la violence symbolique.
Ce qui signifie, concrètement, beaucoup plus qu’il n’y paraît. Quelques exemples en vrac :
Sur près de 35000 accréditations pour la Conférence sur le Climat à Copenhague, 21000 ont été accordées à des ONG ? Or, il est temps de dire que les ONG n’ont aucune onction démocratique. Les ONG ne sont généralement que le produit du lobbying, d’un pouvoir et d’un argent occultes. Dans le monde qu’on nous prépare, l’imaginaire « humanitaire » qu’elles ont diffusée est en passe de se saisir du pouvoir réel sur les décombres de la démocratie. Or les médias ne cessent d’être les propagandistes zélés de ces ONG.
Les médias, toujours dans le même registre de la bien pensance humanitaire ne cessent de mettre en scène téléthon, Sidaction et j’en passe. Tout cela sur les carences de l’Etat. La rengaine médiatique n’est que la mise en scène du faux où chaque people, acteur, célébrité, artiste, journaliste se presse sur la couverture pour se montrer en sauveur du monde contre la misère, la maladie ou la faim.
Et les journalistes ! Et les présentateurs-vedettes avec Drucker, le chienchien des présidents offrant un toutou à Chirac !… Quel beau jeu de miroir ! Drucker dégoulinant de mièvrerie satisfaite sur la gentillesse de tous les requins … Carla Bruni habituée des repas au Bristol et faisant la une de « Macadam », le journal de la rue, pour nous dire qu’elle a un ami SDF, qu’elle le protège, etc. Qu’importe le mensonge ! L’image, rien que l’image ! Retour des dames patronnesses et de l’hypocrisie sociale. Le caritatif c’est le contraire de la justice.
Le pouvoir c’est donc tout cela : ce meurtre quotidien du réel et du vrai.
Le dénoncer ne suffit pas. Il faut réinventer de nouveaux mythes, remettre la démocratie là où elle a été dévoyée par les intérêts privés. Et surtout lutter contre le terrorisme de la célébrité qui s’est emparé de chacun en brisant l’imaginaire collectif confiné au totalitarisme starifié. Contre l’Art Contemporain et l’argent, retrouver l’exigence, le durable, le qualitatif. Contre l’éparpillement, l’émiettement de l’information, s’accrocher au réel et au temps , trouver les mots de leur substance. Ce qui signifie une littérature un art, une exigence…
Car qui nous gouverne ? Nous-mêmes ! Ne l’oublions pas et sachons nous déposséder de notre « part maudite ».
Le discours moralisateur qu’on nous inflige est le contraire de cette morale qui devrait présider aux affaires publiques et privées.
Cette morale qui doit nous gouverner.