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Accueil du site > Tribune Libre > Ukraine : les enjeux de la guerre des oligarques

Ukraine : les enjeux de la guerre des oligarques

J’exposais hier les premières étapes de ce que j’ai appelé la guerre des oligarques ukrainiens. Cette guerre se déroule en fait entre deux clans, mais ceux-ci sont représentés par deux personnes qui ont émergé des luttes de pouvoir toujours présentes depuis les années 90, mais exacerbées par les évènements de 2014 et le coup d’état qui a porté Piotr Poroshenko au pouvoir. Il s’agit, évidemment du président Poroshenko et du gouverneur de la région de Dniepropetrovsk, Igor Kolomoïski. C’est, bien entendu, une lutte pour des intérêts économiques, mais aussi une lutte pour le pouvoir en Ukraine.
 
La première bataille évoquée hier s’est jouée sur le terrain de deux sociétés d’état dans lesquelles Igor Kolomoïski a des positions de contrôle, Ukrtransnafta et Ukrnafta. Deux sociétés des secteurs du pétrole et du gaz, mais surtout propriétaires des principaux réseaux de gazoducs et oléoducs en Ukraine.
 
Lundi, en réponse à l’attaque de Piotr Poroshenko, Igor Kolomoïski annonçait qu’il bloquait les comptes du président dans sa banque, Privat Bank. Une source russe parlait d’un total de cinquante millions de dollars ainsi bloqués, mais je n’ai pas pu avoir de confirmation de ce chiffre par une autre source. Le principe même du gel des comptes est important. D’autre part, Piotr Poroshenko doit être prudent dans sa riposte concernant Privat Bank car c’est la plus grande banque du pays et sa disparition porterait un coup mortel à une économie ukrainienne déjà bien faible.
 
A noter également, les allusions plutôt bienveillantes faites par le même Igor Kolomoïski à propos des républiques de Donetsk et Lougansk. Prépare-t-il le terrain à une possible entente ?
 
La virulence de la réaction du gouverneur de Dniepropetrovsk a inquiété suffisamment Piotr Poroshenko pour qu’il décide d’envoyer deux bataillons de la garde nationale dans cette région, pour y maintenir le calme, peu soucieux de se retrouver avec une nouvelle région en sécession.
 
Il s’agit donc, maintenant, de beaucoup plus que des escarmouches. Que peut-il sortir de cet affrontement. En regardant les forces en présence, et à supposer que les deux hommes soient seuls face à face avec leurs armées, il me semble que l’avantage irait à Igor Kolomoïski. Mais Piotr Poroshenko doit le savoir. On peut donc se demander pourquoi il a lancé l’affrontement ? La réponse la plus évidente est qu’il se sait soutenu par ses parrains américains.
 
Le ministre russe des affaires étrangères, Serguei Lavrov, interrogé sur la position américaine à propos des accords de Minsk déclarait : « Selon nos informations, tout en saluant oralement les accords de Minsk, les Américains s'efforcent de les interpréter à leur manière, et cette interprétation est ensuite reproduite à Kiev. J'ignore ce qui va en premier – si l'interprétation de Kiev est soutenue par les USA ou si les parties se concertent avant que Kiev annonce sa position. Le jour de l'adoption par le parlement de ce décret très controversé, transgressant et allant à l'encontre des accords de Minsk, le Vice-président Joe Biden a téléphoné au Président ukrainien Piotr Porochenko pour le féliciter de l'adoption de ce document interprété par Lougansk et Donetsk comme un trait tiré sur le règlement conformément aux accords du 12 février. »
 
Les Etats-Unis sont maintenant proches de devoir admettre une cuisante défaite en Ukraine. L’objectif de départ d’organiser un changement de pouvoir qui leur permettrait de contrôler l’ensemble du pays est tout près d’échouer, de même que la tentative de forcer la Russie à intervenir militairement s’est heurtée au calme du président russe. La tentative plus limitée mais tellement plus importante de mettre la main sur la péninsule de Crimée a, elle, totalement échoué. Et pourtant, quel enjeu ! Chasser la flotte russe de Sébastopol, y installer une base de l’Otan et ainsi contrôler totalement la Mer Noir après en avoir chassé la Russie ! Les plans d’installation en Crimée étaient prêts ! Et voilà qu’en quelques jours, au terme d’une manœuvre reconnue par de nombreux pays comme un cas d’école, la Crimée obtenait son rattachement à la Fédération de Russie, sans effusion de sang. Le président Poutine avait de bonnes raisons de se réjouir dans l’interview qu’il a donnée récemment à l’occasion du premier anniversaire du rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie.
Quel peut être maintenant leur objectif avant une sortie peu glorieuse ? Le but ultime, quand tout le reste aura échoué est sans doute de laisser derrière soi un chaos le plus total possible. La méthode a été utilisée dans d’autres pays. Mais il y a encore un objectif important pour les Etats-Unis, c’est d’organiser la reprise en main de tous les tubes qui traversent l’Ukraine à destination de l’Europe par un gouvernement à la solde de Washington. Nous venons d’assister à la première phase d’une telle opération dans l’affrontement qui oppose Piotr Poroshenko à Igor Kolomoïski. Le succès de l’opération mettrait l’Europe à la merci des Etats-Unis pour ses approvisionnements en gaz. Au moment où un nombre de plus en plus grand de pays européens met en cause la politique américaine, cette arme serait la bienvenue.
 
Quelles chances ont-ils d’y parvenir ? On peut imaginer raisonnablement qu’après avoir montré ses propres « muscles » qui sont puissants, et si cela n’est pas suffisant, Igor Kolomoïski va tenter un rapprochement avec les républiques de Donetzk et de Lougansk. L’interview de ce jour dans laquelle il réclame que Kiev tienne ses promesses en matière de régionalisation est une indication dans ce sens. Si cela devait se produire le sud et l’est de l’Ukraine représenteraient une force trop importante pour Kiev. Dans ces conditions, une aide militaire et des livraisons d’armes à Piotr Poroshenko pourraient sembler la seule issue possible au parti de la guerre qu’il soit ukrainien ou américain. On en viendrait à la deuxième option, créer le chaos et se retirer en laissant l’Union Européenne et la Russie régler le problème ce qui ne manquerait pas de les affaiblir économiquement tous les deux. Maigre consolation.
 
Cela dit, on peut aussi se poser des questions sur l'efficacité des livraisons d'armes américaines quand on sait que les armes livrées par ce pays au Yémen ont mystérieusement disparu. On parle de cinq cent millions de dollars d'armes et de matériels en tous genres.

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5 réactions à cet article    


  • Pierre Pierre 25 mars 2015 09:46

    Un sujet qui est bien dans l’actualité et dont on ne retrouve trace dans les médias traditionnels. Il est vrai que ce sujet contredit leur storytelling sur « tout est la faute à Poutine ».

    Je reconnais que le crash du A320 est arrivé au moment opportun pour parler d’autre chose.

    • Un cas d’école ! Oui et il a révélé deux choses essentielles. 
    • 1. Les autorités russes sont capables de prendre des décisions importantes très rapidement. En une nuit selon Vladimir Poutine.
    • 2. Les Occidentaux et donc l’OTAN sont extrêmement lents dans leurs réactions et ils sont incapables d’anticiper les évènements. C’est dangereux pour eux parce que dans le cas de la Crimée et de l’Ukraine en général, il y a eu une sous-estimation de l’adversaire, la Russie en l’occurrence.
    • Livrer de armes à l’Ukraine !? Pour qui et quelles armes ? L’armée régulière, en grande partie constituée de conscrits, n’a pas la compétence pour utiliser des armes sophistiquées et elle manque de motivation.
    • La Garde nationale (ministère de l’Intérieur) est motivée mais elle est surtout utilisée pour maintenir l’ordre dans les grandes villes et je ne vois pas de quelles armes elle a besoin. De plus, elle est en grande partie constituée de recrues de l’ouest du pays et elle se comporte comme des troupes d’occupation. Elle finira par se faire détester, si ce n’est déjà le cas, dans les villes de l’Est et du Sud comme l’ont été les supplétifs ukrainiens de la Wehrmacht dans les année 40.
    • Les milices types « bataillon Azov » ? Elles sont motivées mais sont en grande partie constituées de néonazis et d’illuminés du genre chrétiens orthodoxes ou uniates. Ce serait le chaos assuré dans tout le pays.
    • Quelles armes ? Des avions ? Il faut des mois et peut-être des années pour former des pilotes et les Russes ont suffisamment de missiles sophistiqués pour les rendre inopérants. Des systèmes d’artillerie ou des chars ?  Ils en avaient et cela n’a servi qu’a bombarder des villes et des villages pour quand-même finir par une écrasante défaite. Des missiles antiaériens ? Pour quoi faire ? Les Novorussiens n’ont pas d’avions !

    A mon avis, les Etats-Unis voient une opportunité de fourguer du matériel obsolète aux Ukrainiens pour récupérer une partie des 17 milliards de dollars qu’ils viennent de recevoir, en prêt, ne l’oublions pas.

    Quant-à l’utilité de matériel militaire occidental, j’ai de sérieux doutes. Il ne suffit pas d’avoir des camions, des chars et des avions. Il faut aussi de l’intendance et des techniciens compétant pour les entretenir et, là aussi, on ne les forme pas en quelques mois. Il y a l’exemple du matériel militaire fourni aux Soviétiques par les Etats-Unis durant la Seconde Guerre mondiale. Quand un camion tombait en panne, il restait au bord de la route parce qu’il n’y avait pas de pièces de rechange et parce que les mécaniciens ne connaissaient pas le matériel.

    Le point essentiel dans une guerre de ce type, c’est d’avoir une bonne infanterie, bien équipée et motivée. C’est elle qui fait la décision comme en Géorgie en 2008. 

    Et c’est justement le point fort des Russes.


    • wesson wesson 25 mars 2015 11:05

      Bonjour @Pierre,


      « A mon avis, les Etats-Unis voient une opportunité de fourguer du matériel obsolète aux Ukrainiens pour récupérer une partie des 17 milliards de dollars qu’ils viennent de recevoir, en prêt, ne l’oublions pas. »

      Ils peuvent se dépêcher de les envoyer, parce que au train ou vont les choses, le gouvernement Ukrainien n’en a plus pour très longtemps. 

      Sur l’économie, les USA ont pris la mesure de la situation, et on fait racheter discrètement une partie importante de la dette (7 milliards) par un fond qu’ils contrôlent. Le but est limpide : disposer d’une minorité de blocage pour toute négociation sur une restructuration de la dette.

      Et cette fois-ci, les agences de notation abaissent la note Ukrainienne, à un rang au dessus du défaut, actant enfin l’inéluctable conséquence de tout ceci.

    • Pierre Pierre 25 mars 2015 17:28

      Bonjour wesson,


      Vous faites bien de parler de la dette ukrainienne et de sa restructuration. On ne le précise pas assez souvent mais l’argent prêté doit être remboursé et l’Ukraine ne produit rien qui puisse être exporté en Occident et amener des devise au pays. Je reconnais cependant que les chocolats Roshen sont très bons smiley
      Il reste les gazoducs, les ports et les terres qui pourraient servir de monnaies d’échange mais je vois mal les Ukrainiens qui sont très attachés au produits agricoles naturels se vendre à Mosanto.
      Il y a un an et quelques mois, j’avais écrit un article sur l’Ukraine. Je l’avais laissé sans conclusion parce que je n’avais aucune idée des conséquences de l’annulation de la signature de l’Accord d’Association avec l’Europe. Qui aurait pu à ce moment prédire le rattachement de la Crimée à la Russie, la sécession du Donbass et une guerre civile qui à fait plus de 6000 morts officiellement et sans doute plus de 20000 réellement. J’en suis au même point aujourd’hui. Je ne peux faire aucune prospective et pourtant je connais bien l’Ukraine. La situation est très instable et il peut y avoir d’un jour à l’autre des retournements de situation impossible à prévoir.

    • wesson wesson 25 mars 2015 10:39

      Bonjour l’auteur,


      votre article est totalement dans le mille. Et une fois n’est pas coutume, ce que j’avais pronostiqué sous votre précédent article est en train de se réaliser très exactement.

      Sur la rupture entre Kolomoisky et le pouvoir actuel, elle est actée aujourd’hui : Porochenko vient de le démettre de ses fonctions de gouverneur de Dnepopetrovsk, et la seconde étape qui ne saurait tarder sera de lui couler sa banque, par exemple en découvrant qu’elle sert à la corruption internationale. 

      Bref Kolomoisky va donc très naturellement se chercher des alliances qui lui permettront de protéger son business avant de se faire sortir tous ses picaillons et sa capacité à se financer une armée privée.

      Et là on en vient à l’acceptation d’une telle alliance à la fois par les DNR/LNR, et par les Russes. 

      Pour la DNR/LNR, s’allier à Kolomoisky leur sortirait les canons aux portes des villes, et effectivement provoquerait l’implosion de l’Ukraine en tant que pays. ça consommerait effectivement l’échec cuisant des Européens et des Américains. Mais d’un autre coté, cela a tout les atours d’un pacte avec le diable. Outre le fait qu’il a du sang sur les mains, s’allier avec ne règle pas le véritable problème principal de l’Ukraine, qui est le pouvoir et l’influence des oligarques. 

      Il faut à mon sens laisser ses anciens amis s’occuper de son cas, ce qui peut prendre la forme d’une arrestation qui tourne mal pour lui.

      • Phoébée 25 mars 2015 18:11

        Il y a des limites à la connerie.

        .

        Les américains ont tenté de les franchir étant expert en la matière. On ne compte plus leurs ratages.....

        .

        Evidemment la Crimée et son port Sébastopol, ne pouvait échapper à la Russie, qui ne serait plus, sans elle, une puissance, même dans sa région. Pour L’Ukraine comment peut-on imaginer que la Russie ( je dis la Russie , je ne dis pas Poutine ) puisse accepter que l’OTAN s’installe à 500 kilomètres de Moscou.

        .

        Faut pas déconner, non plus. Autant vouloir reprendre le Tibet à la Chine !

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Auteur de l'article

Virgile Thomas


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