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Accueil du site > Tribune Libre > Une décision difficile ? Droits autochtones et droit français

Une décision difficile ? Droits autochtones et droit français

Les peuples autochtones et le droit de participer à la prise de décisions

Ce texte constitue un résumé et une synthèse de deux rapports :

a) Rapport d’étape sur les peuples autochtones et le droit de participer à la prise de décisions. Rapport du mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones

Conseil des droits de l’homme. 12-16 juillet 2010

b) Rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations autochtones de M. James Anaya. 15 juillet 2009.

Le programme d’action pour la deuxième décennie internationale des peuples autochtones a mis en évidence le fait « qu’il est essentiel que ces peuples participent pleinement à la prise de décisions ». Ainsi, dans le cadre du Programme adopté par l’Assemblée générale dans sa résolution 59/174, la promotion de « la participation pleine et entière des peuples autochtones à la prise de décisions qui concernent directement ou indirectement leur mode de vie, leurs terres et territoires traditionnels, leur intégrité culturelle en tant que peuples autochtones disposant de droits collectifs ou tout autre aspect de leur vie, sur la base du principe du consentement préalable, libre et éclairé (A/60/270, par.9, al. Ii) » est considéré comme l’un des cinq objectifs primordiaux.

Cet objectif renforce les différents articles de la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (ratifiée par la France) qui soulignent l’importance de ce principe. Il apparaît donc nécessaire au niveau des Nations Unies que « pour que les peuples autochtones aient accès à l’ensemble des droits de l’homme, il faut nécessairement qu’ils puissent participer aux décisions concernant tous les aspects de leur vie. » Ce principe n’est pas reconnu exclusivement au niveau des Nations Unies, il constitue une « norme universellement acceptée en matière des droits de l’homme », et constitue une condition pour le droit à l’égalité des peuples autochtones, droit à l’égalité qui fonde les principes de la République française. Il est précisé dans ce rapport que « sans ce droit fondamental, les peuples autochtones ne peuvent jouir pleinement de l’ensemble des droits de l’homme, que ce soit à titre collectif ou individuel ».

Par ailleurs, il convient de rappeler que la déclaration distingue clairement entre deux droits :

- celui de conserver et de développer leur propre autorité et leurs propres organes de décision

- et aussi, celui de participer aux décisions et à l’organisation politique de l’Etat.

Ces deux droits ne sont pas incompatibles, mais l’on constante que dans le contexte français si le premier est maintenu au niveau individuel, le second ne l’est que dans le cadre de décrets spécifiques et régionalisés qui sont basés sur des règles établis non pas par les peuples autochtones eux-mêmes mais bien par des institutions étatiques ce qui en soit constitue une atteinte au premier droit énoncé. Ce dernier prévoit clairement « le droit d’être autonome et de s’administrer soi-même ».

Il en résulte que le principe de participation aux décisions est en lien direct avec le droit des peuples autochtones à l’autodétermination qui a deux conséquences :

- droit d’être autonome et de s’administrer soi même

- obligation des Etats de consulter les peuples autochtones au sujet des questions qui peuvent les concerner, sur la base du consentement libre, préalable et éclairé

Enfin, ce droit à la participation qu’elle soit individuelle ou collective ne peut être pensé sans intégration dans le cadre des droits collectifs des peuples autochtones à participer à la prise de décision. Or, cette question des droits collectifs est totalement laissée de côté à l’heure actuelle dans les décision concernant les peuples autochtones de Guyane à qui l’on demande de s’adapter au droit individuel français dans le cadre des institutions qui « régissent » leurs territoires comme c’est le cas pour le Parc Amazonien de la Guyane.

 

Cadrage institutionnel de la participation à la prise de décision

La notion de droit à la participation à la prise de décisions dans le droit international s’applique autant à :

- la participation aux élections

- la participation aux affaires publiques officielles

- la participation aux activités sociales à caractère public

Par ailleurs, ce droit est autant individuel que collectif.

La Déclaration ratifiée par la France présente de nombreuses dispositions allant dans le sens de ce droit, parmi elles :

- le droit des PA à l’autodétermination

- le droit des PA à être autonomes à s’administrer eux-mêmes

- le droit des PA à participer

- le « droit d’être activement associés »

- le devoir des états d’ « obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause »

- le devoir de rechercher des accords librement consentis avec les peuples autochtones

- le devoir de « se concerter et coopérer » avec ces peuples

- le devoir de prendre des mesures de concertation avec eux

- le devoir de « respecter dûment leurs coutumes »

Ainsi, le droit des peuples autochtones à participer à la prise de décision constitue bien « un principe fondamental et un droit consacré par le droit international des droits de l’homme ».

La convention 169 de l’OIT comprend elle aussi de nombreuses dispositions concernant les droits des peuples autochtones dans ce domaine, elle n’a malheureusement pas été ratifiée par la France. Un des éléments intéressants de cette convention est que la notion de représentativité dans la prise de décision devait « être le résultat d’un processus mené par les peuples autochtones eux-mêmes ». On en est encore loin en Guyane quelles que soient les institutions …

 

Le consentement libre, préalable et éclairé

Ce droit est une « manifestation de l’exercice » du droit des PA à l’autodétermination « tel qu’il est défini dans le droit international des droits de l’homme ». Il est la condition sine qua non à la participation des PA à la prise de décision au sens où « le consentement libre, préalable et éclairé crée le cadre de toute consultation relative à l’acceptation de projets qui les concernent et de toute négociation concernant le partage des bénéfices et les mesures d’atténuation. Ce consentement est particulièrement important dans le contexte de projets et de mesures ayant un impact important sur les communautés autochtones, tels que les projets d’extraction de ressources naturelles à grande échelle sur le territoire de peuples autochtones ou encore la création de parcs naturels, de forêts protégées, de réserves de chasse sur leurs terres et territoires. » Plus spécifiquement, l’article 32 de la Déclaration dispose que « les Etats consultent les peuples autochtones en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources.

Mais ce droit n’est pas uniquement issu de la Déclaration, il est aussi reconnu par d’autres instruments internationaux tels que :

- le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

- le Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Ces différents organes précisent « que l’obtention du consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones fait partie des obligations contractées par les Etats au titre des instruments dont ces deux comités » tirent mandat.

Il est intéressant de noter que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a « demandé aux Etats d’obtenir le consentement des peuples autochtones au sujet des projets d’exploitations minières ». Il en va de même pour les aires protégées comme le stipulent les lignes directrices Akwe : Kon pour l’application de l’article 8j ou le programme de travail sur les zones protégées de la Convention sur la diversité biologique qui constatent que « le consentement libre, préalable et éclairé est d’une important particulière pour la protection des savoirs traditionnels et de la propriété intellectuelle des peuples autochtones ainsi que pour leur réinstallation lorsque des zones protégées sont créées. »

De plus, les institutions financières internationales et les organismes de développement vont aussi dans ce sens :

- Banque européenne pour la reconstruction et le développement qui entérine « le fait que, pour que les peuples autochtones voient leurs droits respectés et puissent établir des partenariats quand ils l’estiment opportun, il faut qu’ils puissent donner leur consentement libre, préalable et éclairé »

- Banque asiatique de développement qui a aussi récemment revu sa politique dans ce domaine.

Enfin, le projet récent relatif aux politiques en matière de garanties (octobre 2008) inclut l’obligation du consentement libre, préalable et éclairé pour tout projet concernant « l’exploitation commercial des ressources naturelles des terres utilisées par les peuples autochtones, et ayant un impact sur leurs moyens de subsistance, ou sur l’utilisation de ces terres à des fins culturelles, spirituelles ou pour la célébration de cérémonies inhérentes à l’identité ou à la communauté des autochtones concernés ». Or, cette notion de « populations tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt » est bien reconnue en Guyane, et donc par le droit français, et a bien fait l’objet d’une réglementation (zones de droits d’usage).

 

Une question non résolue : les processus décisionnels des peuples autochtones

C’est en effet sur ce point qu’il reste encore beaucoup à faire en terme de réflexion dans le contexte français, et plus spécifiquement en Guyane en ce qui concerne les aires protégées mais aussi l’accès aux ressources.

Il existe une définition très large de la notion de « processus traditionnel de prise de décisions des peuples autochtones ». En général, elle renvoie à la notion de « droits coutumiers », mais dans la réalité ceux-ci présentent des formes parfois très différentes selon les populations : « on entend par droit coutumier un ensemble d’instruments juridiques, qui peuvent inclure diverses coutumes, spiritualités, traditions, procédures et pratiques particulières ». Dans certains cas la notion renvoie à des zones géographiques limitées (village, par exemple) ou plus étendues, voire à l’ensemble d’une communauté d’un peuple autochtone en particulier. De plus, il s’agit là de systèmes juridiques évolutifs qui se sont parfois adaptés au monde moderne. En Guyane cette question est très problématique car elle a été traitée de manière globale pour l’ensemble des peuples concernés sans véritable réflexion sur leurs particularités dans ce domaine. En l’absence d’études juridico-anthropologiques il paraît difficile de résoudre la question de leur responsabilité dans la prise de décisions. De plus l’organisation actuelle des sociétés laisse entendre que ces processus décisionnels ne sont pas suffisants pour résoudre la question du consentement. Il faudrait avoir une réflexion à plus grande échelle en essayant de mieux comprendre la manière dont ces populations s’organisent réellement à l’heure actuelle. Il existe selon le rapport des Nations Unies de nombreux cas où ce sont les gouvernements qui désignent leurs « porte-parole traditionnels » et cela a parfois des conséquences désastreuses : « fardeau supplémentaire pou les chefs de communautés », érosion des « principes démocratiques de prise de décision des communautés autochtones », perte d’objectivité et de capacité « à défendre les intérêts de la communauté ». Le rapport en conclut que lorsque les chefs traditionnels sont désignés par des instances gouvernementales, ces changements « ont d’importantes conséquences négatives sur les systèmes de décision interne des peuples autochtones » sans compter que bien souvent cette désignation ne s’accompagne pas « des ressources nécessaires pour appuyer leur action ».

La notion de « conseil » pourrait être à la base de la réflexion à condition que leurs dirigeants et représentants soient effectivement représentatifs des populations dans leur mode de vie actuel (représentants traditionnels, mais aussi représentant de nouveaux « groupes » socioprofessionnels ou générationnels par exemple).

Le rapport considère ainsi qu’il y a nécessité d’une réflexion de fonds dans ce domaine « en vue de revitaliser les processus et les organes décisionnels et de faire en sorte qu’ils soient à nouveau respectés », « ces efforts constitueraient une entreprise importante et nécessiteraient des interventions à plusieurs niveaux, notamment pour promouvoir le respect à l’égard d’institutions autochtones capables, affirmer le droit à la prise de décision interne, et préconiser la reconnaissance des institutions coutumières autochtones. »

Enfin, pour conclure, dans les exemples de bonnes pratiques, le rapport préconise la mise en place de participations directes à la gouvernance en permettant la mise en place de commissions ou de département chargés des affaires autochtones dans lesquels ceux-ci seraient directement impliqués, mais tout en respectant la manière dont ces populations vivent à l’heure actuelle (réflexion sur les nouveaux modes d’organisation sociale).

Il va de soi que toutes les réflexions à mener dans ce domaine doivent se faire dans le cadre de groupes de réflexion incluant l’ensemble des populations concernées.


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1 réactions à cet article    


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 23 janvier 2013 11:32

    Le statut de térritoire est beaucoup plus souple pour l’outre-mer que celui de département ,voir Wallis et Futuna ou le droit coutumier y a sa place entière .
    L’inconvénient ,c’est que l’état ayant moins de droit de regard sur la collectivité,clientélisme,corruption et affairisme politique sont plus difficiles à dénoncer et prouver .

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Alexis Tiouka

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