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Une révolution et son symbole : cure de jouvence pour le croiseur Aurore

La nouvelle n'est pas passée inaperçue en cette année 2014 : le croiseur Aurore (1) a quitté les quais de la Neva pour les chantiers navals de Kronstadt afin de s'offrir une cure de jouvence. Le 6 novembre 1917 (2), l'équipage du célèbre croiseur, acquis à la cause révolutionnaire, avait tiré une salve sur le Palais d'Hiver où siégeait le gouvernement d'Alexandre Kerensky, donnant ainsi aux bolcheviks le signal de l'attaque du Palais. Nombre d'historiens considèrent la salve tirée par les marins du croiseur Aurore ou bien la prise du Palais d'Hiver comme le début de la Révolution d'Octobre. Quant au navire lui-même, il est devenu au fil des ans le symbole d'une révolution qui fêtera son centenaire en novembre 2017. Je souhaiterais proposer au lecteur une brève réflexion sur le thème du nouveau pouvoir, né durant la période révolutionnaire. Je précise enfin que, dans cet article (comme dans ceux qui l'ont précédé), mon but n'est ni d'approuver les uns ni de condamner les autres, mais d'essayer de comprendre les phénomènes sociaux.

 

Le terme "révolution"

Les mots et expressions liés aux phénomènes sociaux (communisme, démocratie, coup d'Etat, putsch, révolution, etc.) ont un caractère polysémique. A notre époque, les médias se sont emparés de ces termes d'ordre sociologique, ne faisant qu'ajouter à la confusion générale. Il nous suffit de penser, par exemple, à des événements se déroulant hors du monde occidental : un banal coup d'Etat, voire une manifestation de rue réunissant quelques centaines de mécontents. Si les médias peuvent présenter ces événements au public sous un jour favorable aux pays occidentaux, ils n'hésiteront pas (nombre d'entre eux en tout cas) à les qualifier de "révolutions" (3). Le traitement idéologique de l'information, si fort de nos jours, entraîne nécessairement ce genre de dérive verbale. Introduisant des changements profonds dans la structure sociale (la nationalisation des moyens de production en premier lieu), la Révolution d'Octobre dépassa le cadre d'un banal coup d'Etat. Cette révolution est liée à la naissance d'un nouveau pouvoir.

 

Un champ de ruines

Emeutes causées par la faim, grèves, montée du mécontentement, répression de la part du pouvoir, humiliante défaite militaire face au Japon en 1905 ... La Russie prérévolutionnaire est au bord du gouffre. La première guerre mondiale et l'ouverture d'un front à l'Est provoqueront l'effondrement du pays. C'est dans ce contexte que s'inscrit la Révolution de 1917.

 

La séduction des idées

Dès les premières années qui suivent la prise de pouvoir par les bolcheviks, s'accumulent difficultés et mécontentements : attaques des Blancs soutenus par les Occidentaux, émeutes intérieures, groupes anarchistes opposés à tout pouvoir, etc. Vsévolod Voline (4), militant anarchiste, participa aux événements qui ébranlèrent la Russie au début du vingtième siècle. Dans ses écrits, il accuse les bolcheviks non seulement d'avoir recréé un pouvoir nouveau sur les ruines de l'Etat tsariste, mais aussi d'avoir écrasé le mouvement libertaire. Le projet de Vsévolod Voline et de ses amis était de bâtir une société nouvelle sur la base de "l'activité naturelle et libre, économique et sociale" des associations de travailleurs, selon les termes mêmes de Voline. Cette société nouvelle ne comporterait évidemment ni Etat ni gouvernement. L'idée est séduisante mais ...

 

Mais ...

Selon le philosophe russe, Alexandre Zinoviev, (5) il existe des lois de l'organisation des masses qui exercent leur action indépendamment du fait que les individus sociaux aient ou non conscience d'agir selon ces lois. S'appliquant à tous les groupes humains, quels que soient les lieux et les époques, ces lois sont universelles. Afin qu'un regroupement d'hommes constitue un tout, il est absolument nécessaire que se produise une division du regroupement en question entre gouvernants et gouvernés. Par analogie avec les organes d'un être humain et les fonctions qu'ils exercent, les gouvernants jouent le rôle de la tête et les gouvernés celui du corps. La fonction des gouvernants consiste à diriger (commander) le corps gouverné ; au sein de ce dernier se forment des organes qui se partagent différentes fonctions : production de biens et de services, défense du territoire, maintien de l'ordre intérieur, etc. Le fait qu'une division de cette nature apparaisse dans un lieu quelconque à un moment donné est le signe qu'un nouvel agrégat humain (tribu, clan, société) est en formation. Si nous adhérons à cette théorie, il nous faut accepter l'idée suivante : la constitution d'un pouvoir était nécessaire à l'émergence d'une Russie nouvelle sur les ruines de l'ancienne. Le pays se trouvait confronté à une alternative : mourir ou survivre, et survivre nécessitait la création d'une direction qui exercerait son commandement sur le corps gouverné. Le rêve anarchiste d'une société sans pouvoir contredisait les lois sociales de l'organisation des masses.

 

Un ordre nouveau

A peine constitué, le pouvoir bolchevique s'efforça d'instaurer l'ordre à l'intérieur du pays, éliminant les ennemis réels ou imaginaires de la Révolution. Le mouvement anarchiste représentait un obstacle à cet ordre nouveau que Vladimir Ilitch (6) et ses compagnons d'armes mettaient en place dans l’urgence. Dans ses ouvrages, Vsévolod Voline décrit la façon dont fut anéanti le mouvement anarchiste russe au début des années 1920. Quant à Voline lui-même, il demeura fidèle à ses idéaux et fut banni d'Union soviétique ; il mourut en France en 1945. Pour les anarchistes russes, le rêve d'une société nouvelle libre et heureuse avait tourné au cauchemar.

Avec le temps, tous les acteurs d'Octobre 17 ont disparu et le croiseur Aurore est devenu l'un des symboles d'une révolution que les historiens soviétiques, il n'y a pas si longtemps de cela, qualifiaient de "Grande Révolution Socialiste d'Octobre". Sa cure de jouvence terminée, le célèbre bâtiment de guerre devrait mouiller l'ancre près des quais de la Neva dont les eaux froides arrosent la ville de Pierre le Grand avant de se jeter dans le Golfe de Finlande.

 

Fabrice Fassio

Manille, le 10 novembre 2014

 

(1) en russe : Avrora

(2) le 25 octobre, selon le calendrier julien alors en usage

(3) je pense, par exemple, à toutes ces "révolutions" baptisées par les médias d'un nom de fleur ou de couleur : les tulipes, les roses, l’orange, etc.

(4) Vsévolod Mikhaïlovitch Eichenbaum, dit Voline : La Révolution Inconnue, éditions Entremonde, 2009

(5) Alexandre Alexandrovitch Zinoviev est l'auteur de nombreux ouvrages concernant la Russie ou le communisme : l'Avenir radieux,  le Communisme comme Réalité, le Héros de Notre Jeunesse, la Maison Jaune, etc. Il n'existe aucun lien de parenté entre l'auteur russe et Grigori Evseïevitch Zinoviev, compagnon d'armes de Lénine.

(6) Vladimir Ilitch Oulianov, plus connu sous le nom de Lénine


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5 réactions à cet article    


  • christophe nicolas christophe nicolas 9 décembre 2014 22:26

    Vous avez raison, l’anarchie est une utopie mais trop souvent, le pouvoir est une oppression stupide ou une manipulation insultante.


    La double équation a été définie de la façon suivante suite aux écarts des prélats catholiques et aux remontrances de la Vierge.

    L’obéissance est un devoir mais nul ne peut obliger à mentir ou manœuvrer dans ce sens, c’est du chantage. Les conséquences sont simples, le système doit être saint, le chef doit se tenir dans la vérité sinon, il demandera à son subalterne de le suivre dans le mensonge ce qui est du chantage.

    Comme Dieu est prouvé par les révélations, le système devient Royal de fait, équilibré par la vérité dans la foi et la vérité dans la connaissance. Dessous, on retrouve le système démocratique représentatif qu’on peut certainement améliorer par de bonnes idées comme celles d’Etienne Chouard à tester progressivement.

    Le rôle d’un industriel est d’entreprendre pas de subvenir aux hommes politiques, c’est une déviance qui finit par corrompre son entreprise, le système actuel est donc malsain.

    Il faut aussi retrouver la souveraineté, le champion de l’évasion fiscale dirige l’UE, est-ce sérieux ?

    Ecoutez les révélations, lisez les prophéties comme Kérizinen, interprétez les correctement, l’église vit les événements d’une manière thaumaturge pour faire comprendre et atténuer les crises si elle ne renie pas son caractère mystique.

    Ne croyez surtout pas que les châtiments physiques n’existeront pas si rien ne change. Sortir de la vérité est comme conduire à contresens sur l’autoroute, ça finit forcément mal et cela fait plus d’un siècle que l’humanité est à contresens.

    Cela se passera un mois de mai car c’est le mois de Marie. Un mois pour la Foi, un mois pour la connaissance et un mois pour les élections... mais cela dépend des gens, c’est conditionnel et puis vous savez bien comment commence et comment finit le mois de mai, je veux dire les saints....

    • bourrico6 10 décembre 2014 12:24

      Comme Dieu est prouvé par les révélations

      Non mais c’est quoi ces conneries sans déconner ?

      Encore un qui refait la définition du mot « preuve » comme ça lui chante ?
      Un auteur m’a fait le coup aussi tu me diras.


    • Laulau Laulau 10 décembre 2014 12:45

      Cela se passera un mois de mai car c’est le mois de Marie.

      Avec des arguments de ce type, on ne peut qu’être convaincu. Ce « tabac » ne vous réussit pas, vous devriez changer de fournisseur,


    • Traroth Traroth 10 décembre 2014 17:37

      L’obéissance est un devoir ? Certainement pas ! Pour un démocrate, un bon citoyen est un citoyen impliqué et critique, pas un mouton.


    • julius 1ER 10 décembre 2014 16:41

      je ne crois pas que l’idée des bolcheviks était d’instaurer un parti unique !!! c’est à la suite de l’attentat contre Lénine en 1918 par la SR Kaplan que le parti bolchevik a suspendu les autres partis...... on oublie trop les conséquences terribles de la contre-revolution blanche et son impact sur le pouvoir en place, c’est une guerre civile qui a duré 5 ans et a grandement aidé à mettre en place un communisme de guerre hyper-centralisé et vecteur d’injustices...... 

      Lénine mettra fin à ce processus de communisme de guerre en 1921 en lançant la NEP, mais non sans avoir eu à combattre les révoltes de Kronstadt, emblématique d’un mouvement ouvrier libertaire, contre la confiscation de la Révolution par un pouvoir centralisé et c’est bien là le noeud du problème.... la guerre et la guerre civile ont poussé à une radicalisation des positions ce qui veut dire donner le pouvoir aux armes au dépend de la démocratisation et autres libertés nouvelles.
      ce fut un échec et une porte ouverte à la tyrannie de Staline !!!!!!!

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Fabrice Fassio


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