Vers l’université : le gouffre
Pas un fossé, pas une barrière, mais un gouffre. C'est un gouffre qui sépare l'université du lycée.
Faisant partie de ces "poulains" de l'éducation du secondaire, exécutant ce que programmes et professeurs me demandaient, arrachant la mention Très Bien pour mon bac L, j'ai fait le choix de l'université, ce que je concevais comme un El Dorado de la science.
On avait cependant omis de me parler de cette perche, si tant est qu'il y en ait une assez longue, qu'il me fallait saisir puis planter pour passer du lycée à l'Université... Cette perche, c'était l'autonomie : en effet, nous disait-on dès la première année qu'il ne faudrait se suffire des simples cours qui ne constituaient que 50% de notre travail d'étudiant. Certes.
Couvé au lycée par des professeurs bien intentionnés, fortement (trop ?) impliqués dans notre élévation intellectuelle, je me retrouvais alors devant ceux-là qui ont un double métier (enseignant-chercheur) et ne peuvent épauler chaque élève de chaque promotion. Et encore, étais-je tombé sur un échantillon dont la bienveillance éducative était palpable, et dont aucun n'était inaccessible aux complaintes et doléances des élèves. Et c'est à ce moment précis qu'on indique au jeune étudiant arrivant dans l'inconnu qu'il devait "lire, lire, lire".
Et voici qu'on nous placardait, à chaque début d'unité d'enseignement et à chaque début de semestre, une bibliographie longue comme l'avant-bras (n'exagérons rien, c'est un format A2 !), si ce n'est deux. Les "ne lisez que 2-3 ouvrages, ce sera un début" ne changeaient rien. Alignées une à une, les feuilles formaient un fleuve qu'aucun ne traversa. Sur l'autre rive se situait le savoir universitaire.
Nous fûmes là, sur le bord du torrent. Peu se jetèrent à l'eau, et ceux qui essayèrent ne firent pas des rames des reliures qu'ils agrippèrent. Nous fûmes là, las, sur l'autre rive...
Las d'une demande pédagogique en inadéquation avec ce qu'on avait connu jusqu'alors. Du cocon où on nous donnait tout le savoir et où nous n'avions qu'à recevoir (logique fort critiquable) et où on nous indiquait chaque chose à faire, on tentait de nous rassembler en un gentil petit corps expéditionnaire qu'on lançait à la conquête des savoirs. Assurément, nous avions déjà lu avant cela, mais trop peu, ou par obligation. Et qui plus est, on nous accompagnait dans cette lecture qui était d’ailleurs reprise dans les cours.
A l'université, on nous disait de faire des fiches, que ce serait utile pour les partiels. Quelle chance que ce le fut ? Il fallait tomber sur un ouvrage dont on pourrait parler dans le sujet de composition, tomber pile. On ne nous avait pas appris à travailler pour autre chose que pour une note, la potentielle utilité ne suffisait pas.
Autrement, avant même la rive, c'était un roc qui se dressait face à nous, qui tapissait ses alentours d'une ombre aussi noire que celle qui règne dans le gouffre : la vie en autonomie. Pour la grande majorité des étudiants, l'université, c'est le moment d'apprendre à vivre loin du foyer. Dommage. Car là où on nous demande l'apprentissage et la recherche en autonomie, c'est vivre qu'il faut d'abord apprendre à faire seul. L'un se superpose à l'autre, et l'efface. D'autant qu'un mode d'apprentissage qu'on nous prône et dont on n'a pas les clés ne fait pas le poids face à cette "liberté" qui s'offre à nous.
Puisque c'est à ce moment qu'on se confronte seul à la vie, qu'on cherche ses limites. Et comme pour certains les limites peinent à montrer leur nez, et que le coût monétaire de leur recherche se fait ressentir, il faut trouver un boulot en plus des études (quand on n'en avait pas déjà un parce que la bourse ne suffit pas). Alors avec un job, aux diables ce travail en autonomie ! Aux diables, car si la "masse" n'y arrive pas, quelques diables, bourreaux de travail, le feront, eux. Des "privilégiés" à qui on aura appris à travailler par eux-mêmes, ou qui auront le champ ouvert à cela (toujours chez les parents). Encore cette vieille question du déterminisme qui vient pousser son râle ! Si on a pu parler auparavant de connaissances, par l’environnement familial et sa richesse culturelle, c'est maintenant à coup de réflexe d'apprentissage que le déterminisme vient frapper. Et surtout de support.
Tous y touchent, mais ceux qui ont connu le livre, la lecture, se laisseront moins aller à la télé ou à l'ordinateur une fois livrés à eux-mêmes, ou au moins liront sur écran. Le poste télévisé avait déjà effectué des percées dans les lignes des livres depuis quelques décennies, réduisant les rangées des é-lus de nos étagères. Et la diversité des écrans de venir accentuer l’attaque. Loin de moi l’idée de faire l’apologie du livre et de cracher sur les circuits électroniques (ce qui pourrait être dangereux). D’autant que ce sont ces derniers qui ont fait ma culture. Mais il faut être honnête et dire ce qui est : les lettres qui défilent sous nos yeux impriment plus d’idées et de connaissances qu’un reportage télévisuel. Le livre est aussi cet objet qui permet de concentrer l’attention sur une page sans la possibilité d’en ouvrir autant d’autres que notre déconcentration nous amène à ouvrir. Dans un livre, on peut seulement les tourner. Encore faut-il en avoir le réflexe.
Maintenant, si je pouvais proposer une façon d'y remédier....je le ferais. Je ne suis qu'un étudiant qui n'a même pas fini son cursus universitaire après tout. Je n'oserais parler d'augmentation d'effectifs dans les équipes pédagogiques, même si je sais qu'on demande aux enseignants de faire toujours plus avec toujours plus d'étudiants. Pour la lecture, comment faire lire les étudiants si ce n'est en réduisant la taille de la tâche ? Pas en réduisant la bibliographie, car voilà un outil qui peut être utile par la suite, mais en ciblant la lecture, en donnant des obligations. Cela, les sorbonnards savent faire, du moins l'expérience que j'en ai, en donnant des articles ou des extraits de textes à préparer chaque semaine. Aussi pourrions-nous imaginer de commencer la quête de l’autonomie de travail dès le lycée. La soumission a l’obligation n’en sera que plus facile : le lycéen ne sera-t-il pas plus obéissant que l’étudiant libéré ?
Je n'irais pas plus loin dans les idées d'amélioration. Peut-être un autre article plus tard. J'aurais au moins écrit de manière constructive ce que je pense et ce que pensent les autres étudiants qui m'entourèrent durant ces trois années.
A bon entendeur.
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