Aujourd’hui, la publicité est omniprésente. Pas de journal sans annonceur, pas de coin de rue sans affiche publicitaire, pas d’émission de télévision sans réclame. A tel point qu’elle est devenue un objet culturel en soi qui compte admirateurs et détracteurs.
L’essor de la publicité n’est que très récente
historiquement. Elle ne se développe véritablement qu’à partir du
XIXe siècle, à l’heure de la révolution industrielle, lorsque la
consommation s’adresse au plus grand nombre. L’accès à la consommation
de masse s’associe alors à une certaine idée du progrès et à
l’amélioration des conditions de vie.
Le but de la publicité n’est pas caché : vanter les mérites d’un
produit pour augmenter ses chances d’être acheté. Tout au long du Café citoyen, nous nous sommes interrogés sur les moyens employés et les
méthodes utilisées. Avec cette interrogation sous-jacente : la
publicité nous ment-elle ?
Mais
qu’est-ce que mentir ? Le Bureau de vérification de la publicité
(BVP) (1) a pour devise : « Séduisez-moi mais ne trichez pas ». Où
s’arrête la séduction, où commence la triche ? Il existe bien des
règles déontologiques, ou plutôt des recommandations. Comme
l’obligation de mentionner des informations importantes sur un produit,
notamment le crédit à la consommation. Mais qui lit les textes défilant
à vitesse grand V en bas de son écran de télévision ? « Et que dire de
la notion de publi-reportage ? » lance-t-on dans la salle. On associe
également à certains produits des vertus médicales, et plus
généralement une quête du bonheur, du bien-être. Qui plus est, le monde
publicitaire possède une capacité étonnante à s’adapter au contexte
social, voire à s’approprier des préoccupations civiques ou
humanitaires quitte à se faire le défenseur de telle ou telle cause. La
frontière est mince entre la promotion et l’utilisation de ces valeurs.
Il devient difficile de condamner une approche publicitaire qui promeut
le bonheur des enfants, le respect de l’individu, la protection de
l’environnement... On peut d’ailleurs interpréter cette forme de
publicité comme une réelle volonté de sensibiliser la population. Ne
rejoint-on pas ici la pratique du mécénat même si cette dernière ne se
soucie pas ou peu des répercutions médiatiques ?
Notons toutefois que même si une forme de publicité véhicule des valeurs
civiques et nous sensibilise à des questions sociales et collectives,
elle peut avoir pour effet de seulement contenter nos propres souhaits
d’un monde meilleur, voire de nous donner l’impression que le monde
change « tout compte fait ». La citoyenneté ne se résume pas à adhérer
à telle ou telle valeur mais à donner de son temps. C’est un exercice
régulier qui aboutit à la découverte du citoyen qui est en nous.
Plusieurs interventions dénoncent le caractère pernicieux des méthodes
publicitaires. Les publicitaires font appel quelquefois mais très
rarement à l’intelligence et au raisonnement du client potentiel en lui
offrant une publicité informative. Plus souvent, les techniques
publicitaires font intervenir certains automatismes mentaux, cherchant
plus à frapper l’imagination qu’à convaincre rationnellement (technique
du slogan, de la répétition). Enfin, une stratégie de plus en plus
utilisée consiste à s’adresser à l’inconscient du consommateur à l’aide
de messages suggestifs. C’est le cas lorsqu’« une femme très svelte à
moitié nue mange un yaourt ». Par suggestion et associations d’idées,
la publicité cible son message vers des segments précis de clientèle.
Nul doute que la publicité s’apparente ici à une science qui étudie la
psychologie du consommateur. Cette forme de publicité ne
représente-t-elle pas un danger, une sorte d’étau psychologique moderne
?
Des mouvements « antipub » se
sont développés depuis quelques décennies. Certains insistent sur les
effets psychologiques de la publicité, d’autres sur la dégradation de
l’environnement et du paysage (destruction des forêts pour le papier,
pollution visuelle, etc.), d’autres enfin sur le caractère sexiste de
certaines publicités. D’autres groupes s’attachent au contraire à
souligner le caractère culturel de la publicité, son côté novateur,
expérimental, voire artistique. C’est l’objet de quelques émissions,
par exemple la fameuse « Culture Pub ».
Quelqu’un dans la salle précise que « la publicité est un art comme un
autre. C’est tout de même le consommateur qui décide au final. Il ne
faudrait pas déresponsabiliser le citoyen lambda ». Notre implication
dans le processus de consommation est en effet importante. Il ne
faudrait pas exclure ce consommateur qui participe grandement à huiler
les rouages d’un système dont il profite. Il existe également des
magazines d’information qui apportent aux consommateurs attentifs des
données techniques et comparatives. Un autre intervenant explique que
le problème de l’obésité aux Etats-Unis, attribué aux barres
chocolatées et autres sucreries en tout genre, est en grande partie dû
à une façon de vivre qui délaisse l’exercice physique au profit de la
voiture et de la télévision. Toutefois, les enfants, êtres dépendants,
fragiles et immatures, échappent à cette louable notion de
responsabilité. Aujourd’hui éduqués dans un fort contexte publicitaire,
les enfants ne sont-ils pas plus perméables, donc plus vulnérables, au
messages publicitaires ? Ceci est particulièrement préoccupant lorsque
l’on sait que les techniques publicitaires reposent de plus en plus sur
le sentiment. « Une éducation envers les enfants est nécessaire pour
leur apprendre à démasquer certaines mécaniques. »
La publicité utilise tous les types de supports. De la télévision au
papier journal, de l’affiche 4 par 3 au SMS (2), jusqu’au Spam (3).
N’existe-il pas une confrontation entre espace publicitaire et espace
public ? Certains parlent de privatisation de l’espace public au regard
de la liberté individuelle bafouée. La publicité imposerait des
représentations, formaterait les esprits. Quelqu’un évoque même un
certain endoctrinement de notre société de consommation.
Particulièrement visible dans le fait que les marques imposent leurs
codes et contentent le besoin qu’ont les gens d’appartenir à un groupe.
Une grande part de l’économie française repose sur la publicité, les
métiers de la communication notamment. Beaucoup de magazines adoptent
pour modèle économique la publicité comme unique entrée financière.
Quelles seraient les conséquences si demain la publicité n’existait
plus ? Des pubs nous invitent tout de même à aller au spectacle, à nous
cultiver plus généralement. Doit-on dissocier une mauvaise publicité
d’une bonne publicité, et selon quels critères ?
D’un point de vue plus global, auparavant, le système économique
français utilisait le bouche à oreille comme vecteur de croissance d’un
produit. De nos jours, le développement de la zone de chalandise d’un
produit (ainsi que sa durée de vie de plus en plus courte) et
l’augmentation de la concurrence aboutissent à une véritable nécessité
d’informer le consommateur que tel ou tel produit existe. Cette
information irait même plus loin en créant des besoins factices.
Avons-nous besoin d’être informés que les paquets de cigarettes
existent ? Ou même que tel ou tel produit « nouveau » (et forcément
révolutionnaire) a fait son apparition ?
Un message publicitaire, pour être efficace, doit être simple (et, pour
être facilement assimilé, utiliser des valeurs universelles). Un
intervenant nous fait remarquer que depuis que la publicité a investi le champ politique, le débat s’est appauvri, l’esprit critique et
l’argumentation se sont effacés derrière la sacro-sainte communication.
Le marketing politique est particulièrement visible sur les professions
de foi électorales qui ressemblent désormais à des dépliants
publicitaires. Le message est aseptisé, consensuel.
La publicité révèle finalement la société dans laquelle nous vivons et
à laquelle nous participons. Il nous est finalement difficile de
décider et de choisir en toute conscience tant les pressions qu’exerce
sur nous notre société sont importantes.
Notes :
1
- BVP : Le BVP est l’organisme d’autodiscipline de la publicité en
France. C’est une association interprofessionnelle privée, loi de 1901.
Elle est complètement indépendante des pouvoirs publics et ne dépend
que de ses adhérents et de personne d’autre (ni d’un ministère, ni du
CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) ni d’une société privée).
http://www.bvp.org.
2 - SMS : Small Message System. Petit message textuel, que l’on peut envoyer sur un pageur ou sur un portable.
3
- Spam : L’encombrement délibéré d’un forum de discussion ou un compte
e-mail par l’envoi de messages non sollicités, telles les annonces à
caractère publicitaire.