L’islamic banking : la finance au service de la religion ?
A l’heure des débats sur la laïcité, relancés encore récemment par l’affaire du mariage annulé pour cause de mensonge sur la virginité de l’épouse, il est un domaine public, transverse et international où se développe un business en forte croissance, fondé sur le respect de règles religieuses de l’islam, inscrites dans la loi pour certains pays (la charia) et à destination d’une clientèle réputée musulmane : l’« islamic banking » ou en français la « finance islamique ». Après les banques anglo-saxonnes, les banques d’investissement françaises s’y sont mises et rivalisent d’inventivité pour servir une clientèle internationale dans les pays musulmans, notamment au Moyen-Orient. La banque de détail y pense peut-être pour servir une clientèle locale ciblée.
Qu’est-ce que la finance islamique ?
La finance islamique est un système de banque qui suit les règles de la charia, la législation islamique. De manière générale, la charia interdit les intérêts (appelé aussi usure) et interdit d’investir dans tout ce qui est illégal, tels que les casinos, le porc, l’alcool, la pornographie… Il est également interdit de prendre des risques financiers, car ils sont considérés comme une forme de hasard.
La prohibition de l’intérêt résulte du verset 275 de la deuxième sourate du Coran : « Dieu a rendu licite le commerce et illicite l’intérêt ».
Ainsi, la finance islamique a pour principe de lier la rentabilité financière d’un investissement aux résultats du projet financé.
En matière d’échange de monnaie, tout surplus tiré d’une transaction non basée sur des actifs réels et préalablement possédés par le vendeur est illicite. Les crédits bancaires, les contrats de prêts, entrent dans cette catégorie, qu’il s’agisse de crédits à la consommation ou de crédits aux entreprises.
Concrètement, comment fonctionnent les instruments de financement islamique ?
Pour respecter la loi islamique, les banques ont développé des mécanismes financiers s’appuyant sur un dispositif contractuel, permettant à un promoteur de mener un projet grâce à des fonds avancés par des apporteurs de capitaux dont la clé de répartition des gains et des pertes est fixée dans le contrat. Les apporteurs de capitaux supportent les pertes et les promoteurs perdent le fruit de leur travail. C’est une forme de partenariat où une partie apporte les fonds et l’autre l’expérience et la gestion. Les partenaires (entrepreneurs, banquiers) contribuent aussi bien au capital qu’à la gestion du projet. Ils peuvent constituer une structure commune dont ils sont actionnaires, participant au capital de cette structure et ayant conclu une répartition des pertes et profits. Souvent, la forme de financement s’apparente à un crédit-bail (leasing), la structure (dont le bénéficiaire peut détenir des parts ainsi que la banque) étant propriétaire du bien à financer et le bénéficiaire payant un loyer pour l’utilisation du bien, en étant propriétaire en fin de contrat ou bien rachetant les parts de propriété à ses partenaires.
Il existe plusieurs formes de financement islamique :
- le moudarib : fondé sur le partenariat, avec bénéfices répartis en fonction du niveau de participation au capital ;
- la mousharaka : une grande partie des fonds est apportée par la banque ;
- la mourabaha : contrat de vente assorti d’un rachat ultérieur à un prix majoré, comme un « réméré » ;
- l’ijara : la banque achète les biens d’équipement et en transfère l’usufruit au bénéficiaire pour une période durant laquelle elle conserve la propriété de ces biens, assimilé à un crédit-bail ;
- l’istina : contrat de fabrication ou de construction par lequel le vendeur accepte de fournir à l’acheteur, dans un certain délai et à un certain prix convenu, des biens spécifiés après leur fabrication ou leur construction conformément au cahier des charges ;
- enfin le soukouk : équivalent islamique d’une obligation où l’intérêt est un profit prévu à l’avance à risque quasi nul, particulièrement utilisé pour les financements immobiliers.
La finance islamique enregistre une croissance de 15 % à 20 % par an. Elle a ignoré la récente crise financière.
Le marché de la finance islamique a grandi en trente ans de 0 à 750 milliards de dollars (475 milliards d’euros), les montants d’actifs bancaires islamiques ont crû de 140 à 500 milliards de dollars entre 2000 et 2008.
C’est plus la demande que l’offre de nouveaux produits qui dynamise le marché. Les économies du Golfe ont doublé en taille depuis 2002. Le prix du baril de pétrole est passé de $30 à plus de $100, créant des profits et des liquidités à investir. 25 % de la population mondiale est musulmane et certains estiment que 40 à 50 % de leur épargne sera géré par la finance islamique d’ici 8 à 10 ans (contre 10 % en 2007).
La finance au service de la religion et de la morale ?
Au fond, il y a dans la motivation de la finance islamique, une motivation d’ordre moral, touchant à l’objet du bénéficiaire ou à la motivation du projet financé, comme les fonds éthiques.
En revanche, sur la forme, la conformité à un instrument de financement qui ne doit pas qualifier sa rémunération d’« intérêt », par habillage contractuel, même si finalement la résultante des flux et des risques assumés par le créancier et le débiteur est strictement la même, n’y a-t-il pas une forme d’hypocrisie ? Un financement de projet peut ainsi, selon l’apparence contractuelle qu’il revêt, apparaître moral ou amoral, conforme ou non à la religion.
On peut aussi s’interroger sur la nature des créanciers et des bénéficiaires de ces financements. La finance islamique en Occident fait en général référence au cas où les créanciers, banques ou bailleurs financiers en général, ne sont pas forcément musulmans et ont adapté leur offre à une clientèle bénéficiaire musulmane, ciblée en particulier dans les pays appliquant la charia. On parle moins du cas des acteurs de ces pays, créanciers de bénéficiaires occidentaux. Or, c’est de plus en plus dans ce sens qu’évolue le contexte financier, les fonds souverains des pays exportateurs de pétrole, comme l’Arabie saoudite, investissant de plus en plus en obligations et actions des Etats et entreprises occidentales. Ainsi, comme l’argumente Michael Moore dans son documentaire Le Monde selon Bush et son livre Tous aux abris, l’Arabie saoudite représente DEUX MILLE MILLIARDS de dollars d’investissements sur le territoire américain, les Saoudiens détiennent 11 % de la capitalisation boursière du NYSE (New York Stock Exchange) ! Apparemment ça ne les a pas gênés, en tout cas juridiquement, puisque le pays dans lequel les Saoudiens investissent n’est pas soumis lui-même à la loi islamique…
En fait, ce n’est pas la finance qui se met au service de la religion, mais la religion qui sert de prétexte au développement d’un nouveau business ! Et dans la mondialisation, le business n’a pas de religion, pas de morale, du moment qu’il crée de l’argent, pourquoi pas grâce à la religion…
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