Lyon-Turin, un mensonge régional

La région Rhône Alpes vient de publier dans son bulletin n°25 (été 2012) un article sur le Lyon Turin, farci de contre vérités, d’erreurs, d’approximations, de contradiction.
Pour cet article, paru dans cette revue payée avec nos impôts, un droit de réponse a été demandé…pour l’instant en vain.
Présenté en abécédaire, sous la lettre A, (comme Alpes), les rédacteurs inventent un axe ferroviaire qui irait du sud de l’Espagne à Kiev, et qui passerait fatalement par Lyon et Turin, mais cette vue de l’esprit n’a rien de logique, d’autant que dans un premier temps, les promoteurs du Lyon Turin évoquaient un autre axe, plus logique, allant de Londres à Turin.
Or le principal intéressé par le fret ferroviaire qu’est Euro-Tunnel, a choisi pour aller de Londres à Turin, de passer par Lille, Metz, Bale et Milan. lien
Sous la lettre B (comme budget), les rédacteurs inventent le chiffre de 20 milliards pour la totalité du projet, or les experts estiment pour la partie française un coût de 25 milliards, y compris le tunnel de base, mais sans compter le contournement ferroviaire de Lyon, les gares, et le matériel roulant. lien
Ces mêmes rédacteurs estiment le prix du tunnel de base à 8,5 milliards d’euros, ce qui est en contradiction avec l’évaluation faite par le concepteur du projet, qui estime le tunnel de base à 10,3 milliards d’euros. lien
De plus, il y a du coté français plus de 80 km de tunnels ou tranchées couvertes supplémentaires, ce qui n’est guère encourageant pour le touriste qui passera les ¾ de son voyage dans l’obscurité.
Il est intéressant de comparer les prévisions de coût actuel du projet total, avec celles de 2001 puisqu’à l’époque le Sénat évoquait pour la partie française un cout de 7,87 milliards d’euros. lien
Pour découvrir l’évolution des couts, c’est sur ce lien.
Est-ce bien raisonnable de lancer un tel projet lorsque l’on sait que la dette ferroviaire dépassait déjà en 2005 les 40 milliards d’euros. lien
Sous la lettre C (comme chronomètre), les chiffres avancés sont optimistes, et ne prennent pas en compte le temps d’arrêt dans les gares.
Sous la lettre D (comme délai), après avoir annoncé que le projet serait opérationnel en 2008, (lien) il est maintenant prévu pour 2025, ce qui est loin d’être gagné, le financement n’étant pas trouvé, et le résultat final de l’enquête publique pas encore publié.
Sous la lettre F, (comme Fret), on peut découvrir des affirmations peu crédibles : 40 millions de tonnes de marchandises emprunteraient ce projet.
Mais ou les trouver ?
L’échec connu de Modalohr épinglé par la Cour des Comptes en février 2012, laquelle évoque dans son rapport 2012 « une exploitation durablement déficitaire » (page 366) ne confirme pas ces millions de tonnes, d’autant que depuis 30 ans le trafic fret stagne en moyenne autour des 9 millions de tonnes/an, et l’on sait, pour les avoir interrogés lors de la table ronde des transports de Brégnier-Cordon, que les transporteurs routiers ne sont pas chauds pour utiliser le rail, pour des questions de fiabilité, de cout, et de vitesse.
On oublie souvent que les convois de fret se trainent en moyenne à 15 km/h. lien
Le bilan des trafics routiers publiés chaque année par les conseils généraux Rhône Alpins démontrent que seuls 20% au maximum des camions utiliseraient le rail.
Les rédacteurs de l’article affirment à tort qu’un million de camions sont concernés par le Lyon Turin.
Or les bilans routiers faits par les conseils généraux du secteur comptent 1000 poids lourds par jour, soit au maximum 330 000 camions/an, et d’ailleurs les promoteurs du projet n’ont jamais évoqué plus de 680 000 poids lourds…à l’horizon 2035.
Et puis, il n’est tenu aucun compte des tunnels suisses du Gothard et du Lötschberg qui vont, des leur ouverture prochaine, capter une grande partie du fret espéré sur le Lyon Turin.
A la lettre G (comme galerie), les rédacteurs affirment bien audacieusement que le creusement de la galerie horizontale de la Maddalena a démarré, alors que régulièrement, des milliers d’italiens campent sur le site, et que l’armée appelée en renfort occupe le chantier, empêchant son ouverture.
A la lettre V comme voyageurs, les rédacteurs bien péremptoires affirment que le verrou des 43 km de voie unique entre St André le gaz et Chambéry sauterait, alors que bien au contraire, les investissements qui seraient faits pour le Lyon Turin, empêcheraient les améliorations de la voie historique.
Au sujet des emplois, Véronique Vigne Lepage, l’une des rédactrices de ces pages de lobbying s’enfonce dans l’erreur un peu plus profondément, affirmant « près de 30 000 emplois directs devraient être générés par le chantier du Lyon-Turin entre 2014 et 2021 », alors que Louis Besson, l’un des instigateurs du projet pharaonique, après avoir promis la création de 10 000 emplois a revu, dans les colonnes du Dauphiné Libéré, ce chiffre à la baisse, admettant qu’il n’y aurait que 3000 emplois créés.
Ajoutons pour la bonne bouche que les 2/3 de ces emplois seraient probablement d’origine étrangère, rappelant qu’un bulgare sur 5 gagne moins de 100 € mensuels. lien
Cerise sur le gâteau, dans la colonne « Repères », il est dit qu’en janvier 2012 est passé un « nouvel accord entre la France et l’Italie… » oubliant au passage qu’il est clairement stipulé à l’article 1 de cet accord, qu’il doit être validé par un autre accord définitif.
A toutes ces désinformations, on pourrait aussi se scandaliser de la méthode utilisée, car ce journal émanant de la Région Rhône Alpes est payé par nos impôts, et l’article tendancieux ne donne pratiquement pas la parole aux milliers de Français et d’Italiens qui contestent, depuis 20 ans, ce projet destructeur d’environnement, et sans rentabilité espérée.
Les contradictions ne s’arrêtent pas là : il faut évoquer ici le cas de Patrice Raulin, président de la société du tunnel routier du Fréjus, lequel est subventionné par l’Etat suite à une fréquentation insuffisante, mais qui est aussi président de LTF (Lyon Turin Ferroviaire), projet qui a pour mission d’enlever des camions de la route. lien
On sait que FNE avait demandé en vain que la procédure de débat public, prévu par la loi, soit mise en place.
On peut aussi s’étonner de ne pas lire une seule ligne concernant le rapport accablant publié le 7 décembre 2011 par l’autorité environnementale, dépendant du ministère de l’environnement, et qui en 28 pages épingle cruellement le projet.
Quid de l’expertise indépendante, financée par la région Rhône Alpes, réalisée par le cabinet Reverdy en 1997 et qui sur 167 pages critiquent vertement ce projet, quasi identique à celui proposé aujourd’hui ?
Le projet alternatif proposé par la coordination n’est pas non plus évoqué.
Pourtant, en utilisant conjointement la nouvelle technique de fret « R-shift-R » (primée par le PREDIT) et les travaux de Michel Martin, il est possible en utilisant les voies historiques transformées de répondre aux exigences du projet Lyon-Turin, mais pour un cout largement inférieur. lien
Le grenelle de l’environnement 1, validé par décret le 3 aout 2009 précise : « il faut que soit apportée la preuve qu’une décision alternative plus favorable à l’environnement est impossible à un coût raisonnable ». lien
Les adhérents à la Charte de Hendaye du 23 janvier 2010, contestent aussi ce projet, défendant la promotion des TER contre les projets LGV inutiles et couteux.
Cette charte a été présentée le 18 mai 2010 au parlement européen. lien
Guillaume Pepy ne dit pas autre chose affirmant : « je milite pour que le développement des lignes à grande vitesse ne se fasse pas au détriment des lignes existantes ».
Quand aux écologistes de la région Rhône Alpes, sous l’impulsion de Gérard Leras, qu’on avait connu mieux inspiré, ils ont été d’abord pour, (lien) et font maintenant volte face. lien
Mieux vaut tard que jamais.
Il est vrai que cette position était surprenante lorsque l’on sait que dans toutes les autres régions de France, les écologistes sont à coté des associations pour lutter contre les projets LGV inutiles, préfèrant défendre les TER.
Enfin l’association internationale CIPRA (commission internationale pour la protection des Alpes) favorable initialement à ce projet, après avoir organisé une rencontre en France et en Italie avec tous les acteurs concernés, a finalement demandé que le projet soit mieux étudié, mais n’a pas été écoutée pour autant.
Depuis février 2012, plusieurs organisations environnementales, le parti UMP en Savoie s’opposent au méga projet, et le ministère de l’environnement d’alors émettait des réserves.
En effet, depuis la publication du rapport de l’autorité environnementale du 7 décembre 2011, les organisations écologistes FRAPNA (Fédération Rhône Alpes de Protection de la Nature) et FNE (France Nature Environnement) avaient demandé en vain un report de l’enquête d’utilité publique, le résultat qui devrait être connu la première semaine de juillet 2012. lien
Comme dit mon vieil ami africain : « ils peuvent couper quelques fleurs, mais ne peuvent pas arrêter le printemps ».
L’image illustrant l’article est de l’auteur
Merci aux internautes de leur aide précieuse
Olivier Cabanel
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