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La crise de la justice serbe : un défi pour le nouveau gouvernement

Alors qu'un nouveau gouvernement se forme en Serbie, la crise de la justice s'amplifie.

L'origine de cette crise remonte à 2006. Sur la base d'une interprétation de la Constitution de 2006, "l'élection générale" - c'est-à-dire une nouvelle nomination de l'ensemble des magistrats- est décidée. En décembre 2009, sans examen individuel ni motivation, les Conseils de justice -l'équivalent du Conseil supérieur de la magistrature-, décident qu'un tiers des juges et des procureurs ne sont pas reconduits.

Face à cette situation, le Conseil de l'Europe et l'Union européenne réagissent, et parviennent à un compromis avec les autorités serbes. En décembre 2010, une loi entérine ce compromis. Elle prévoit une procédure de "révision" des décisions prises une année auparavant. Encore faut-il que cette procédure soit loyalement appliquée.

Ce n'est pas le cas. Les procédures de révision ont été conduites, pour les juges, par un conseil de justice dont l'un des membres est arrêté et détenu provisoirement, sans doute à des fins d’intimidation. Un autre membre démissionne en dénonçant les pressions qu'il a subies. Quatre des onze membres qui avaient décidé des évictions en 2009 jouent encore un rôle lors de la révision. Autant dire que l'autorité en charge de cette révision n'a même pas l'apparence de l'impartialité.

Le résultat est sans surprise. Et au fil des intimidations et des pressions, les décisions se font plus sévères. Du 20 juillet au 8 décembre 2011, le conseil de justice compétent pour les juges examine 336 cas et rend 24% de décisions favorables à la réintégration des magistrats demandeurs. En revanche, du 8 mars au 30 mai 2012, le même conseil examiné 447 cas et rend seulement 6% de décisions favorables. Au total 139 juges sur 837 ont été réintégrés. La présidente de l'association des juges serbes, figure emblématique de la résistance à cet arbitraire et respectée de tous, est définitivement révoquée le 31 mai 2012.

Deux ans après les évictions de 2009, les raisons qui ont déterminé l'éviction de certains magistrats demeurent inconnues. Il ne s'agit pas d'épuration ou de lustration, car les faits examinés sont tous postérieurs à 2006. Les procédures ne visent pas non plus la corruption et très peu de cas révèlent des manquements déontologiques. Enfin, certaines décisions semblent fondées sur les statistiques d'activité des magistrats. Mais elles sont peu probantes, car les données disponibles sont mauvaises. De plus, la qualité d'un juge ne peut être réduit à sa production statistique.

Seul le dysfonctionnement de la justice serbe est avéré. De nombreux magistrats, recrutés depuis 2009 à titre probatoire, craignent les conditions dans lesquelles leur titularisation sera décidée. Les magistrats reconduits en 2009, eux-mêmes soumis à la procédure de révision en vertu de la loi de décembre 2010, craignent de ne pas être reconduits. La peur s'installe dans la magistrature. Le soupçon et la défiance se généralisent parmi les justiciables. Ceux-ci multiplient les dénonciations aux services en charge de la lutte contre la corruption. La perception de la corruption du système judiciaire empire.

A l'intérieur même de la Serbie, les critiques sont sévères. Le Conseil anti-corruption de Serbie et le Médiateur de Serbie condamnent ces dérives et confortent les analyses européennes.

Cette situation n'est manifestement pas compatible avec les principes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, dont la Serbie est adhérente. Elle ne permet pas de développer une coopération judiciaire internationale sur la base du respect de valeurs communes et dans le cadre d'une confiance mutuelle. Elle est incohérente au regard des efforts déployés par ailleurs pour construire la démocratie en Serbie.

Pas de justice, pas d'adhésion à l'Union européenne.

Dans ce contexte, une organisation internationale de magistrats, MEDEL (Magistrats européens pour la démocratie et les libertés) a mandaté deux de ses membres (originaires de France et d'Allemagne) pour réaliser un audit, fondé sur des entretiens avec l'ensemble des acteurs concernés par la procédure et avec la société civile. Il a été rendu le 30 juin dernier, au moment même où le nouveau gouvernement se constituait.

Sans ambiguïté, il appelle à remettre à plat la réforme de la justice mise en pratique depuis 2009. A défaut d'une telle décision, les magistrats non renouvelés dans leurs fonctions devraient saisir la Cour européenne des droits de l'homme, mais cela signifierait encore plusieurs années de perdues.

La situation est si dégradée qu'une rénovation plus structurelle des institutions judiciaires sera sans doute nécessaire, pour recruter des magistrats par concours, développer une Ecole de la magistrature et refondre le mode de nomination et la définition des pouvoirs des Conseils de justice.

La Serbie est aujourd'hui candidate à l'adhésion à l'Union européenne. Les leçons de l'adhésion précipitée de la Bulgarie, dont la justice est trop faible pour résister à l'ampleur de la corruption et du crime organisé, seront peut-être tirées. L'ambassadeur de France, qui assistait à la conférence organisée à l'occasion de la remise de l'audit a été d'une clarté inhabituelle pour un diplomate : tant que la crise judiciaire serbe ne sera pas résolue, l'adhésion de la Serbie ne sera pas envisageable.


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2 réactions à cet article    


  • leypanou 16 juillet 2012 17:16

    Cela n’a pas été une politique interventionniste de l’Europe : celle-ci a agi en tant que valet de l’empire pour qui tout ce qui peut d’une manière ou d’une autre gêner sa place de seul leader mondial doit être démantelé (et la mort de Tito avec son non-alignement a bien arrangé les choses). Si on se rappelle que K Annan a été secrétaire général de l’ONU à l’époque et qu’il a été nommé « médiateur » du conflit syrien, on ne peut avoir que des doutes sur sa neutralité !


  • Eric Alt Eric Alt 24 juillet 2012 15:24

    Ce qui est dénoncé, c’est la confiscation de la justice serbe par le pouvoir politique. Les critiques les plus sévères viennent de l’intérieur de la Serbie, et notamment du Conseil anti-corruption. Cela n’a rien à voir avec la justice internationale. Ce qui est en question, c’est le futur, dans un contexte où la Serbie a posé sa candidature à une adhésion à l’Union européenne. 


    Sur l’absence d’indépendance, la situation de la justice serbe est effectivement comparable à la situation de la justice française, en pire...

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