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La rupture

Au Pérou, la cité de Caral, cité de la paix, la ville la plus ancienne du continent américain mise à jour en 2001, ne comportait ni fortifications, ni enceintes. Les habitants de la région de Caral se seraient regroupés au sein d’une ville non pour se protéger, mais pour commercer. Caral aurait, ainsi, vécu pendant au moins 1 000 ans en ataraxie grâce au commerce du grain, de la poterie, et des bijoux.(1) Plusieurs millénaires ont passé avant que la construction européenne s’inspire de ces civilisations qui ne connaissaient pas la guerre à travers les concepts de paix et de prospérité chers aux initiateurs de cette oeuvre ambitieuse, mais surtout, dans les faits, à travers une succession de traités économiques destinés à construire un marché commun, où l’objectif essentiel fut constamment de supprimer les barrières douanières entre pays membres, afin d’y promouvoir l’échange, synonyme de richesse et de prospérité. Aujourd’hui, l’Union européenne (UE) est la première puissance économique de la planète. Son moteur économique tourne à plein régime, mais ce qui constituait sa finalité, la paix et la prospérité, s’effrite sous les séismes répétés de la mondialisation dite néolibérale. Parvenu au bout de sa logique libre-échangiste, le bilan européen apparaît décevant aux yeux de nombreux européens (2), particulièrement en France où le vote « noniste » a déclenché une crise aussi spectaculaire qu’inédite.

La réunion de Madrid est un fait historique à double titre(3). C’est d’abord la première fois depuis 1956 qu’une réunion aussi importante se déroule sans la présence française. C’est aussi, comme le souligne Le Figaro, l’occasion pour le camp du « oui » de s’afficher dans une réunion « orchestrée » par l’Espagne et le Luxembourg et mettant « en exergue une Europe coupée en deux ». Non seulement l’Europe est en panne, mais elle demeure, en plus, divisée. Il faut dire qu’en quelques décennies seulement, la plupart des Européens ont subi un détricotage historique de leurs droits sociaux et politiques.(4) En France, comme partout en Europe, les espérances du plus grand nombre se sont, au fil des décennies, considérablement réduites, et le quotidien de millions de personnes s’est lentement étriqué.(5) Sur fond de triomphe d’une thèse ironique exigeant toujours plus contre la promesse du pire à venir, le front du marché, les OPA inamicales, les canonnades médiatiques, les stratégies planétaires de délocalisation, les trahisons fiscales, les concentrations gigantesques et le darwinisme social ambiant ont perverti l’idée originelle et découragé les plus europhiles des Européens à s’investir dans un projet aussi matérialiste. Qui sera premier exportateur ou premier investisseur ? Qui affichera la meilleure croissance ou le taux de chômage le moins élevé ? Pendant que l’intolérable disparaît sous le voile des principaux indicateurs économiques, des Bilderbergers insolents accaparent les richesses (6) grâce à une armée de fanatiques pilotant, à fond la caisse, l’utopie capitaliste sur des sièges éjectables (7). L’on ne sait plus, aujourd’hui, qui fait quoi, qui dirige, pas même distinguer un riche de celui qui ne l’est pas (8). Tout juste sait-on reconnaître un pauvre pour peu qu’il apparaisse tantôt en une ruine jetée à même le macadam, que la fatalité expose au regard indécent des préjugés, tantôt en apôtre de la contestation réduit à clochardiser sa rébellion (9). La libre concurrence règne sur un royaume misérabiliste clinquant sous les ténèbres, où les sujets du marché s’affrontent pour un job sous-payé, quand il est payé (10), pour une location minable (11), où le futur est devenu un ennemi, où les dés sont pipés dès le départ. Le néolibéralisme se nourrit de la guerre absolue. Quand cette dernière n’est pas engagée sur un terrain politique, elle sévit sur le front économique, et comme toujours avec elle, les vraies victimes ne sont pas les soldats engagés, mais les civils-citoyens innocents.

Puisque le réalisme est à l’ordre du jour, sans doute devrions-nous comparer ce que nous avons en commun avec le modèle de vie dont l’UE est si fière. Ce que nous avons en commun avec l’ultra-ibéralisme incarné par la Commission européenne, avec le « renouveau moral » du président polonais Kaczynski. Il ne serait pas inutile de reconsidérer lucidement le futur qu’elle propose de partager avec nous et les valeurs qu’elle se propose de promouvoir et de défendre (12). Le réalisme consisterait, me semble-t-il, à tirer la conclusion qui s’impose devant une politique européenne parvenue au faîte de l’égoïsme et de l’insouciance, impuissante à juguler l’imminence d’une guerre de civilisations de dimension internationale, où l’organisation économique et les carences des politiques produisent une misère sociale et culturelle généralisée, qui sacralise la précarité au lieu de l’endiguer (13), qui participe à la démission des individus au lieu de les encourager au volontarisme, qui les réduit en les empêchant de réaliser leur individualité, qui les tient dans la négociation de concession au lieu de les aider à s’extérioriser et de pleinement se créer. Ce système est l’antithèse du libéralisme originel, c’est une pantalonnade de démocratie et de liberté. Ce régime n’est rien d’autre qu’un vulgaire totalitarisme déguisé.

Il n’est pas certain du tout que les Français s’appauvrissent plus qu’ils ne le sont déjà, en se désolidarisant d’une entreprise qui s’obstin, à élaborer des législations aggravant la dépendance des individus à la superfluité, quand la planète est au bord d’un bouleversement climatique irréversible Il me semble qu’en tant que première puissance économique, l’UE devrait être capable de proposer une réponse raisonnable et disposer de la réelle volonté d’ insuffler une politique européenne ambitieuse en réponse à la crise que traversent civilisations et planète. Ne devrions-nous pas dénoncer cette mascarade ? Non pas pour vivre en autarcie repliés sur nous-mêmes, mais au contraire pour proposer, et entamer avec toutes les bonnes volontés, de nouvelles négociations fondatrices d’un nouveau traité, fort de l’expérience du traité de Rome et des traités successifs. Il faudrait, alors, le faire avec force et conviction pour parvenir demain à construire une Europe qui vaille le coup de sacrifier une partie de notre souveraineté : l’Europe des peuples, pour la paix et la prospérité dans un capitalisme social et humain, et non dans une mascarade de démocratie et de justice à l’image de la globalisation libérale que les institutions européennes tentent d’imposer au peuple français avec la bénédiction d’une droite jusqu’ici inconnue. A l’image du classement sportif mondial français (14), salué unanimement par la presse spécialisée, les Français n’en ont rien à faired’être les premiers, la France n’aspire qu’à gagner avec les autres, en équipe.

1. Wikipedia -
2. Tns-sofres - Le monde.fr- http://www.agoravox - 20minutes.fr/Les-Francais-insensibles-au-reve-europeen.php -
3.Le figaro_europe_le_camp_du_oui_s_affiche_a_madrid -
4. Sur le détricotage des droits sociaux : Monde-diplomatique.fr/20 - Demos le blog apocalypse_neoliberale - Sur la régression des droits politiques Monde-diplomatique. - Demos le blog -billet- un_regime_s_installe -
5. http://www.european-left.org - http://www.inegalites.fr/ - http://www.inegalites.fr/
6. 500 personnes les plus riches du monde ont un revenu combiné plus important que celui des 416 millions les plus pauvres. http://fr.wikipedia.org/ - Belgique - Suisse - France- les-100-europeens-les-plus-riches -
7. Demos le blog -billet-les_bateaux_ivres_de_la_finance
8.
http://www.alternatives-economiques.fr/site/254_003_revenus.html -
9. http://www.lalibre.be/article.phtml?id=10&subid=91&art_id=321590 -
10. http://surlemploi.free.fr/ - Nouvelobs-com-
11.
http://www.lexpansion.com/ -
12. http://www.monde-diplomatique.fr/
13.
Demos le blog - billet-les_vertus_de_la_precarite-
14. http://www.havassports.com/multimedia/medias/CPSport.pdf


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10 réactions à cet article    


  • Neos 6 mars 2007 14:49

    Bonjour, cet article est intéressant, je souhaite toutefois y apposer quelques commentaires.

    « Non seulement l’Europe est en panne, mais elle demeure, en plus, divisée. »

    Depuis le début de l’année, après une année de réflexion en 2006, les Etats membres se consultent, sous la responsabilité de la Présidence allemande du Conseil, pour tenter d’identifier une voie, issue d’un compromis à 27, afin de sortir de l’impasse causée par les ’non’ aux referenda français et néerlandais. Mme Merkel a reçu un mandat pour présenter lors du Conseil européen du mois de juin 2007 une feuille de route qui devrait, en principe, nous éclairer sur le chemin choisi par les 27 et relancer le processus. Parler de ’division’ me semble prématuré. Nous verrons au mois de juin si des Etats refusent de choisir la voie du compromis et si l’Allemagne réussira, ou non, à réunir les 27 autour d’une voie unique.

    « En France, comme partout en Europe, les espérances du plus grand nombre se sont, au fil des décennies, considérablement réduites, et le quotidien de millions de personnes s’est lentement étriqué. »

    Cette vision est assez commune en France actuellement. Cependant, il y a en Europe d’autres Etats où les conditions de vie sont bonnes (Etats scandinaves, Irlande, ou encore Belgique et Luxembourg, par exemple), voire même parfois des régions où le niveau de vie a considérablement augmenté ces dernières années (Estonie, Rép tchèque, Slovénie, Espagne, entre autres). Cette analyse sur la situation française est juste. Le niveau de vie de la République a chuté depuis quelques années, et les français qui vivent à l’étranger ont bien perçu la chute de la qualité de vie. Cela ne justifie point toutefois la généralisation de cette situation à l’ensemble de l’UE.

    « La libre concurrence règne sur un royaume misérabiliste clinquant sous les ténèbres, où les sujets du marché s’affrontent pour un job sous-payé, quand il est payé. »

    La concurrence existe dans l’UE peu ou prou depuis l’entrée en vigueur des Traités de Rome. C’était le 1er janvier 1958. Il me semble curieux d’entendre, ça et là (particulièrement depuis la campagne pour le referendum de 2005), des propos critiques sur la nature et les règles du marché intérieur, que la France respecte en tant que membre depuis presque 50 ans. Pourquoi ces reproches français sont-ils lancés maintenant à l’égard du marché intérieur ?

    « Puisque le réalisme est à l’ordre du jour, sans doute devrions-nous comparer ce que nous avons en commun avec le modèle de vie dont l’UE est si fière. Ce que nous avons en commun avec l’ultra-ibéralisme incarné par la Commission européenne, avec le « renouveau moral » du président polonais Kaczynski. Il ne serait pas inutile de reconsidérer lucidement le futur qu’elle propose de partager avec nous et les valeurs qu’elle se propose de promouvoir et de défendre. »

    Les valeurs de l’UE sont (étaient ?) inscrites dans le projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Ces valeurs n’incluent pas les notions de « libre concurrence » ou de « libéralisme ». Elles portent sur des concepts tels que « l’Etat de droit », « la démocratie », la « liberté et l’égalité », le respect des droits de l’Homme et des minorités« , mais aussi »l’humanisme« , le »respect des identités nationales des Etats membres" (..) Ce sont ces valeurs-là que les Etats membres souhaitent inscrire au nom de valeurs communes à l’ensemble des membres de la famille Europe.

    « Il faudrait, alors, le faire avec force et conviction pour parvenir demain à construire une Europe qui vaille le coup de sacrifier une partie de notre souveraineté : l’Europe des peuples, pour la paix et la prospérité dans un capitalisme social et humain. »

    C’est la question qu’il faut en effet poser aux peuples d’Europe pour réussir à définir une voie acceptable pour tous dans l’Union européenne de demain. A cette question s’ajoute d’autres interrogations : Faut-il choisir la voie intergouvernementale ou bien la voie communautaire ? Voire une autre voie ? Les peuples peuvent-ils exiger des Etats la soumission d’une consultation populaire sur l’avenir de l’UE ?

    La Présidence allemande du Conseil de l’UE va devoir répondre à ces différentes questions en deux étapes. Attendons d’abord les 24 et 25 mars 2007 pour en savoir un peu + sur ses intentions et sur les résultats des consultations menées avec l’ensemble des 27 Etats membres. Un peu de patience. Nous aurons ensuite tout le loisir de débattre sur les suggestions concrètes présentées par Mme Merkel, particulièrement à l’issue du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007.


    • demos demos 6 mars 2007 15:06

      Je partage une partie importante de vos critiques constructives, neos ... J’ai tiré la constestation jusqu’au retranchement (pas l’autarcie !). Vous rabotez pour lui donner de la rondeur ... Pourquoi pas ... ?


    • LE CHAT LE CHAT 6 mars 2007 16:10

      l’europe ultralibérale est bien loin de la civilisation de Caral sur laquelle j’ai vu un excellent reportage sur planète , à l’époque du troc......

      C’est l’europe des technocrates au profit des nantis !


      • demos demos 6 mars 2007 16:16

        Moi aussi, le chat, j’ai vu ce reportage, sur Arte ... j’ai fait des recherches mais je n’ai pas pu trouver les références ... Il y a une chose qui m’étonne chez nos candidats tous confondus. Ils font plus où moins de promesse mais beaucoup d’entres elles sont incompatible avec la législation et la politique ultra-libérale européenne ... je me demande comment le candidat élu va les tenir ...


      • LE CHAT LE CHAT 6 mars 2007 16:32

        @DEMOS

        là j’ai déjà la réponse , il fera comme le candidat sortant qui n’a jamais tenu la moindre promesse , elles n’engagent que ceux qui les écoutent smiley

        bien à toi


      • demos demos 6 mars 2007 17:04

        Je crois que ça justement c’est fini ... s’il y a une vrai rupture, je crois qu’elle est là. Voila mon sentiment... le candidat qui sera élu ne pourra pas ne pas tenir ses promesses ou bien je crains le pire pour la démocratie ...


      • ZEN zen 6 mars 2007 17:43

        « Caral aurait, ainsi, vécu pendant au moins 1 000 ans en ataraxie »

        « Autarcie » vouliez-vous dire sans doute ? Article intéressant.


        • demos demos 7 mars 2007 02:04

          Non zen, justement pas en autarcie car Caral faisait du commerce sur plusieurs centaines de kilomètres ... Ataraxie signifie tranquillité, Impassibilité. Il vécurent 1000 ans dans la paix et la sérénité ...


        • (---.---.67.56) 8 mars 2007 12:53

          Si l’on regarde par ce coté ,il faut arriver au fait qu’actuellement la base de l’organisation de nos sociétés est : «  »l’équilibre par le Conflit«  » . Il faudrait pour pérenniser une société stable arriver à l’ établissement «  »de Justes Relations Humaines«  » . Je pense que ce n’est pas hors portée actuellement.


          • (---.---.117.145) 20 mars 2007 09:23

            Que votre article est interessant ! MERCI . Il y a juste une chose à ajouter, c’est que nous qui sommes de base, on aimerait bien être prévenu des efforts que l’on devrait faire pour entrer dans cette europe . Il m’a paru stupide de découvrir cette horreur faite encore une fois par notre Giscard . Avec du temps et quelques modifications ,on aurait peut-être pu accepter ,mais, en l’état, il ne sera pas admis par nous que l’on puisse en haut lieu disposer ainsi de nos personnes. C’est l’unique raison du vote « non ».Il ne faut pas oublier que nous avons retenu que ce personnage fut le premier à nous entrainer , nous Français, dans les abimes de la ruine et du malheur. Notre administration n’est plus qu’à son propre service au lieu d’être au service des citoyens et nous l’en accusons . 23% d’illétrés en France , 25 % de personnes que l’administration d’une façon ou d’une autre maintient bien dans la misère !comment peut-on en sortir sans écraser son/ses voisins ?? alors, papiers + télé+ les films= la nouvelle vie et l’on parle d’Europe !!

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