Confessions de l’Orient
La question confessionnelle de l’islam au Moyen-Orient souffle à plein feux sur les braises du conflit libanais. Pourtant, le Liban n’est qu’un cas d’espèce de cette question confessionnelle. Sunnisme et chiisme semblent représenter le nouveau point de crispation au Moyen-Orient... Liban, Irak, Iran, Pakistan et Afghanistan sont eux aussi pris dans les rouages des conflits confessionnels de l’islam. Au-delà de ce simple constat, une réflexion s’impose quant au pseudo-réveil de ces tensions confessionnelles qui pourraient davantage être la mise en lumière de l’incapacité occidentale à les entrevoir dans la période post-11-Septembre.

Alors que les acteurs régionaux (Iran, Israël, Etats-Unis) se renvoient la balle quant à la responsabilité du conflit au Liban, la journée du 8-Mai aura été symbolique à l’échelle du Moyen-Orient. Symbolique des agitations confessionnelles qui traversent les pays du Moyen-Orient. Symbolique d’une dimension trop souvent laissée dans l’ombre depuis le 11-Septembre et qui revient avec force dans un contexte stratégique déjà bien épineux. La guerre confessionnelle, voilà le point central des violences qui traversent aujourd’hui le paysage du Moyen-Orient post-11-Septembre…
Le 8-Mai a marqué pour le Liban une explosion des combats entre les militants chiites du Hezbollah et les partisans sunnites du gouvernement. Au jour des premiers éléments, ces événements sont porteurs de funestes messages quant à la possible guerre civile qui s’annonce au Liban. Funestes car bien évidemment toute guerre l’est, mais plus encore c’est la dimension durable de la probable guerre civile auquel renvoie ce terme. En effet, plus que jamais la question confessionnelle revient en force sur la scène du Moyen-Orient pour en constituer l’élément central de compréhension. A ce titre, le Liban constitue à la fois le cas particulier par sa fragmentation confessionnelle non seulement musulmane, mais religieuse, mais aussi un cas d’espèce pour tout le Moyen-Orient. En effet, au Liban comme ailleurs, les affrontements sont l’affirmation d’une crispation entre les deux grandes confessions de l’islam : chiisme et sunnisme.
Néanmoins, rien ne semble être exclusivement libanais et les membres du Parti de Dieu agissent dans un mouvement plus global où les tensions entre chiites et sunnites sont exacerbées. A quelques centaines de kilomètres de là, le président irakien, Talabani, doit se résoudre à la même équation du conflit confessionnel.
En Irak, les tensions confessionnelles depuis la guerre de 2003 n’ont cessé de s’amplifier. Au départ sous la menace des sunnites d’Al-Qaïda, la majorité chiite en Irak est aujourd’hui non seulement violente, mais divisée quant à l’avenir national[1]. Les violences entre sunnites au Nord et chiites au Sud (avec bien sûr des disparités plus fines à l’intérieur du pays) ne cesse de s’accroître, à un point tel que l’annonce d’un découpage de l’Irak en trois parties confessionnelles (kurdes, sunnites et chiites) ne serait pas étonnante. La milice chiite du Mahdi Moqtada al-Sadr terrorise le Sud irakien pour imposer sa domination alors que le gouvernement chiite de Nouri al-Maliki semble avoir abandonné son soutien confessionnel. La discorde irakienne est ainsi bien confessionnelle entre une majorité chiite et une minorité sunnite, mais elle se veut aussi bien plus profonde comme la montre les divergences entre les différents mouvements chiites.
En Iran, pays du chiisme roi, cette agitation confessionnelle est largement source de contentement puisque le pays voit son rayonnement augmenté de jour en jour et ses capacités de déstabilisations renforcées. Les voisins afghans et pakistanais sont sur les tablettes des milieux politiques iraniens dans la liste des conflits à attiser.
On pourrait étendre cette analyse au Pakistan, qui constitue, à l’heure actuelle, l’Etat sûrement le plus instable de tout le Moyen-Orient puisqu’il voit les rebelles talibans se réfugier dans les zones tribales frontalières de l’Afghanistan, connaît une demande croissante d’indépendance du Baloutchistan, alors qu’au même moment sa minorité chiite (20 % de la population qui constitue la plus grosse population chiite nationale devant l’Iran) agite le torchon d’un conflit confessionnel.
Bref d’Est en Ouest, c’est bel et bien la question confessionnelle qui cristallise toutes les tensions et qui pourrait provoquer tous les dangers. A la lumière des derniers événements, nous semblons assister à un retour à vive allure de la question confessionnelle dans les enjeux stratégiques du Moyen-Orient. La division entre chiites et sunnites semble prendre une place grandissante dans les conflits armés autour du Golfe. Aujourd’hui plus que jamais, on peut très clairement définir les logiques conflictuelles au Moyen-Orient selon des crispations confessionnelles (chiite/sunnite) qui semblaient être absentes auparavant. Etait-ce vraiment le cas ?
Il paraît pertinent de s’interroger sur le retour réel des problèmes confessionnels au Moyen-Orient. La question confessionnelle qui agite au Liban, en Irak, en Arabie saoudite, au Pakistan ou en Iran n’était-elle pas tapie dans l’ombre depuis le 11-Septembre ? Les événements actuels ne sont-ils pas simplement la mise en éclairage des conflits déjà saillants portés par les mésinterprétations occidentales au Moyen-Orient ?
Les attentats du 11-Septembre ont largement participé à gommer les différences confessionnelles intra-islam au profit d’une vision homogène défendue par les états-majors occidentaux. Dès lors, les musulmans du monde entier ont été perçus comme un vaste ensemble cohérent, partageant les mêmes croyances et les mêmes réalités sociales. Chiisme et sunnisme étaient pour beaucoup d’experts les deux faces de la même pièce, ou même une seule et même pièce lorsque la différence n’était pas connue. La période post-11-Septembre, pour des raisons stratégiques tout autant qu’idéologiques, a souhaité gommer toute finesse d’analyse sur l’islam pour le constituer en un objet uniforme labellisé par les spécialistes stratégiques. Vu tantôt comme l’islam du terrorisme, tantôt comme l’islam des « Etats-voyous » (Libye, Irak, Iran…), on a effacé toutes les différences existantes à l’intérieur du mouvement religieux en dépit des intérêts de compréhension qu’ils apportaient pour les enjeux stratégiques du Moyen-Orient.
Les mésinterprétations des enjeux confessionnels au Moyen-Orient sont nombreuses à commencer par les plus hauts membres des états-majors occidentaux. Le redécoupage du Moyen-Orient à peine entamé par les Américains depuis la guerre en Irak est porteur de ses confusions. Au-delà de l’arbitraire des frontières, c’est l’impossibilité de certaines constructions étatiques qui saute aux yeux pour les observateurs les plus minutieux des enjeux stratégiques de la région.
La carte du redécoupage du Moyen-Orient selon les volontés américaines, préparée par le lieutenant-colonel Ralph Peters et publiée en 2006 dans la très sérieuse revue : Armed Force Journal, est terrifiante de naïveté. Pour ne prendre qu’un seul exemple qui concerne la confusion entretenue sur la question confessionnelle au Moyen-Orient, il est aberrant d’envisager la création d’un Etat islamique sacré sur le modèle du Vatican (autour de la Mecque et de Médine) en plein territoire du sunnisme saoudien développé jusqu’à outrance par le modèle wahhabite.
Cette confusion sur la question confessionnelle au Moyen-Orient est permanente et porteuse de grands dangers quant aux futures décisions stratégiques dans la région. On se rappellera aussi de la « bourde » du candidat américain à l’élection présidentielle qui s’emmêla le discours en mettant main dans la main la nébuleuse sunnite Al-Qaïda et la République islamique chiite d’Iran. Rectifiée quelques secondes plus tard, cette erreur d’appréciation est significative d’une réelle ignorance des caractéristiques confessionnelles du Moyen-Orient.
Associer sans sourciller l’ayatollah chiite Khamenei et le sunnite Oussama Ben Laden alors que, depuis cinq ans, Al-Qaïda en Irak s’est chargé de l’extermination des populations chiites du sud du pays, revient à simplifier de manière totale les relations confessionnelles en Orient. Un simple retour sur les écrits ou les paroles de Moussab Al-Zarqaoui (chef d’Al-Qaïda en Irak jusqu’à sa mort en juin 2006) éclaire ce que John Mc Cain semble ignorer : « Les chiites : c’est, selon nous, à eux qu’il faut s’en prendre. Je veux dire par-là les viser et les frapper… »[2]
Dès lors on comprend mieux pourquoi aujourd’hui le Moyen-Orient ressemble pour les observateurs extérieurs à un vaste champ de bataille sans aucune cohérence ni destinée. Pourtant, l’ensemble des conflits actuels sont quasiment tous articulés autour de la question confessionnelle. Ce point de crispation n’est pas tellement celui d’un retour, mais plutôt celui d’un oubli mécanique exercé depuis les attentats du 11-Septembre. Absente des enjeux post-11-Septembre, la question confessionnelle de l’islam fait aujourd’hui un retour sanglant aux avant-postes des conflits moyen-orientaux.
La question de la discorde confessionnelle en islam sous forme théologique (Fitna) ou non n’est pas nouvelle et les livres d’histoire musulman sont riches d’enseignement sur ce sujet. Pourtant, la question n’est ici pas tant de savoir si ces conflits confessionnels sont nouveaux puisque bien évidemment ils sont millénaires, mais davantage de montrer qu’ils ont pu être sous-estimé dans la période post-11-Septembre. Toujours présente en fond de l’histoire musulmane, la division confessionnelle avait quelque peu disparu des réflexions stratégiques d’abord dans la période post-11-Septembre puis de la guerre en Irak comme les diverses méprises américaines ont pu le montrer.
Plus que jamais, il convient de replacer au centre des réflexions stratégiques les questions confessionnelles de l’islam sous peine de laisser s’embourber des situations explosives et d’enflammer un Moyen-Orient comme l’énonçait, le 8-Mai, Terje Roed-Larsen, l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU. La situation libanaise pourrait bien être la poudrière, capable d’embraser la région de Beyrouth à Islamabad.
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