Depuis une dizaine de jours, il est de bon ton chez les blogueurs-gueuses, les lecteurs-trices et chez certains journalistes, de gloser sur la Une du mensuel Choc, consacrée à l’enlèvement de Mr Ilan Halimi. Un concours de bonnes âmes où se mêlent dans la plus grande confusion le dégoût légitime pour le crime et, ce n’est pas le moindre des paradoxes, la stigmatisation d’une Une qui justement dénonce l’abjection de ce fait criminel. Aussi, suite à l’interdiction de vente qui vient de frapper ce magazine, je voudrai partager quelques réflexions sur le journalisme et les libertés publiques.
1) La condamnation au retrait des kiosques, sous astreinte financière, est rarissime. Sous la Ve république, il faut remonter aux pires heures du tandem MM Raymond Marcellin-Georges Pompidou ou celles, plus noires encore, de la guerre d’Algérie, pour trouver une telle condamnation envers un média d’information. Pourtant cela ne semble pas susciter une vague de protestation chez les blogueurs-gueuses. Moi, ça m’inquiète autant que le calvaire et l’assassinat de Mr Ilan Halimi.
2) Choc est un magazine basé sur l’information par les photographies, légendées. On peut ironiser sur le côté sensationnel, voire sensationnaliste, demeure que c’est un moyen d’informer qui a son public et que c’est encore un des rares magazines qui osent sortir des informations qu’aucun autre ne publie.
3) Pour que les propos gardent leur clarté, réaffirmons, ici, la barbarie du crime et la douleur de la famille de Mr Halimi. La première relève de la justice, la seconde est infinie. Ceci étant posé, le rôle de la presse n’est ni de défendre les barbares, ni de plaire aux victimes, ni de servir les pouvoirs en place, mais d’informer. Chaque magazine informe avec ses moyens et avec une pédagogie correspondant à son lectorat. On n’écrit pas de la même façon dans Choc, Les Echos, Le Monde Diplomatique, Gala ou l’Express.
Rappelons les faits : un enlèvement crapuleux, avec demande de rançon. Habituellement, dans ce genre d’affaire, les criminels agissent en petit nombre, par sécurité et par intérêt quant au partage de l’éventuel butin. Dans le cas de cet enlèvement, on s’aperçoit que l’on a affaire à une bande, plutôt jeune, aux contours informels, réunie autour d’un chef qui revendique sa barbarie et son antisémitisme. D’où le choix de la victime. Du sordide. Là où le fait divers dépasse sa propre abjection, c’est qu’une vingtaine de jeunes y sont mêlés, complices à des degrés divers, avec le plus grand naturel, certains donnant juste un coup de main, comme ça entre copains, sous prétexte que la victime est juive donc riche. Une effrayante banalité dans le racisme et le délit. Une équation qui met au carré le racisme : une fois antisémite, une fois anti-riche. Et derrière ça, toute une cité populaire qui ne s’aperçoit de rien, qui ne sait pas que l’on emprisonne et torture dans ses caves, pendant trois semaines !!! Une effrayante normalité de la dérive sociétale.
Le procès de ce « gang des barbares » dépasse la personnalité de son chef et interpelle notre société. Comment une telle situation peut-elle s’installer dans un quartier, en France, au XXIe siècle ? Comment peut-on détenir et torturer un homme pendant trois semaines dans le sous-sol d’un immeuble sans que personne ne le remarque ? Comment peut-on ignorer ce que font pendant trois semaines tant de jeunes de la cité ? Cette interrogation sur les dysfonctionnements de notre société méritait un procès public car au Palais de Justice c’est autant la Société que les victimes qui demande Justice. Pour comprendre les racines du mal, pour le prévenir.
Le huis clos demandé logiquement par les défenseurs des mineurs mis en cause mais aussi, plus surprenant, par le Parquet, nous a privé de la lumière sur le « comment est-ce possible ». Pourtant, la famille de la victime voulait la publicité des débats, pour mémoire. Le Parquet a prétexté de la mise en examen de deux mineurs au moment des faits pour justifier le huis clos. On pouvait disjoindre le cas des mineurs, faire deux procès. Alors pourquoi le huis clos ? Pour masquer les lenteurs de l’enquête de police ? Trois semaines pour localiser un petit truand minable qui n’arrête pas de téléphoner et d’envoyer des messages … Trois semaines !!! Pour conjurer une peur fantasmatique du gouvernement de communautarisation du débat ? Ne serait ce pas plutôt la vision communautariste du gouvernement qui en voyant d’abord la victime, et sa confession, ne voit plus le fond de l’affaire : une société à vau-l’eau ?
4) En conclusion : Choc, dans son créneau journalistique, a fait son travail. Le magazine insiste et s’indigne, sur le caractère violent, raciste et terrifiant dès le début de ce fait criminel. Cette publication en Une ouvre à sa façon le débat public que le huis clos à interdit. Ouvrait, car l’interdiction à la vente du journal, une des formes les plus élevées de la censure, laisse le terrain au concert des bons sentiments, aux chorales des douleurs par procurations, à la grande symphonie de la gouvernance par l’émotion. Tout près des fureurs vengeresses, encore plus près du sous-nationalisme nécessairement obtus des communautés. Loin de la raison, loin de l’esprit des lois, loin de la République et de la Démocratie.