Communes sous mer
La tempête Xinthia à peine passée, des questions se posent. Car le bilan humain est lourd en Vendée. Pourtant, la très bonne prévision météorologique écarte toute idée de surprise...
Il est très utile de sortir une vieille carte Michelin pour comprendre les mécanismes en jeu lors de la tempête du week-end dernier (Xinthia) sur le littoral de l’Atlantique. Prenons celle de 1965 [archives]. En Vendée et en Charente-Maritime, le territoire se caractérise par son homogénéité. L’agriculture domine, la forêt se cantonnant à une portion de terres proches de la mer, qui recouvre un bourrelet dunaire protégeant la plaine basse et sableuse. Les cours d’eau serpentent en direction des quelques rares fleuves côtiers, comme la Vie ou l’Auzance -Vertonne. A l’ouest de Challans, faute de pente, les eaux continentales n’atteignent pas l’océan. Elles s’infiltrent en fonction de la capacité d’absorption et d’évaporation de la zone marécageuse : forte en été, faible en hiver. De larges portions de territoires résultent d’une progression des zones agricoles vers l’Atlantique.
A Brouage par exemple, le trait de côte se trouvait plusieurs kilomètres à l’intérieur des terres : Samuel de Champlain est parti de ce port aujourd’hui dans les terres pour découvrir les rives du Saint-Laurent [Une poignée de noix fraîches]. Depuis la fin du Moyen-Âge, avec une accélération à l’époque moderne, Vendéens, Poitevins et Charentais ont progressivement asséché ces terres basses, par endiguement des polders. Des ingénieurs hollandais sont venus sur place pour transmettre leurs connaissances techniques. Sur la carte de 1965, les hameaux et villages s’organisent en un maillage dense, la population se répartissant équitablement sur le territoire, sans déséquilibre notoire. L’élevage façonne les paysages, le climat trop humide et les sols lourds et compacts excluant la culture du blé. Challans et Les Sables d’Olonne dominent sans conteste leur espace respectif. Les routes quadrillent le pays, sans préférence pour telle ou telle partie.
En 2010, tout a changé. On reconnaît à peu près l’intérieur des terres. Mais le littoral a connu une intense métamorphose. Sans qu’aucune station n’ait été créée de toutes pièces, l’urbanisation a tapissé le cordon dunaire. Les petites communes balnéaires des années 1960 ont laissé la place à des agglomérations en extension rapide. Les quatre communes de Saint-Gilles sur Vie (rive gauche du fleuve), Croix de Vie, Sion sur l’Océan et Saint-Hilaire de Riez ne forment plus désormais qu’une seule tâche urbaine, rebaptisée Saint-Gilles Croix de Vie. Saint-Jean de Monts s’étale vers le sud grignotant la forêt, et transformant des lieux-dits en villages champignons : la plage des Demoiselles, le Petit-Bec, les Vases et la Pège. A ce rythme, les deux agglomérations devraient rapidement se rejoindre. Plus au sud, Brétignolles sur Mer connaît la même évolution, englobant les hameaux de la Parée et de Marais sur Girard...
Les exemples abondent, et l’idée vient d’une multiplication des risques pour ces nouveaux résidents. Bien des habitants à l’année sont venus finir leurs jours dans une maison de plain-pied en bord de mer, après avoir vendu leurs pavillons en banlieue parisienne ou nantaise. Commune-sous-mer conviendrait mieux pour décrire ces cités balnéaires faisant médiocrement face à cette mer déchaînée de février. Il y aurait presque de quoi rire, en l’absence de morts et disparus. Bien sûr, les médias répercutent complaisamment les mots convenus : « On n’avait jamais vu çà ! », « Depuis le Paléolithique, le département n’a jamais subi une telle tempête ! ». L’appel à l’Union sacrée fouette le sang, et les Français s’enorgueillissent de leurs bonnes volontés. A Madère, la semaine passée, les articles grouillaient sur l’urbanisme sauvage, sur la vénalité des élus ou sur l’impréparation des autorités portugaises [Libération / La Croix]. Mais en France, rien de tout cela ne convient.
Il y a un phénomène plus éclairant, qui touche à l’excellence de la prévision météorologique. Dans le registre des attaques de mauvais aloi, Météo France a pourtant souffert dans un passé proche. Certains ont dénoncé sa piètre qualité d’analyse, ses erreurs de communication, voire même son incompétence. Dans tel secteur, la neige est tombée plus forte. Dans tel autre, les orages ont tout ravagé, mais à une portée des zones présentées comme les plus critiques. Ici, le froid s’est avéré moins vif ; là, beaucoup plus marqué. La tempête de 1999, la canicule de 2003 ? L’organisme public a dû justifier ses bulletins, pressenti comme le mauvais annonceur de nouvelles... Et puis Météo France a forgé de nouvelles grilles, avec une alerte spécifique pour les tempêtes. Celle qui vient de ravager une partie du sud de la Vendée et du nord de la Charente-Maritime a été anticipée. Une alerte rouge a été lancée, avec une trajectoire assez précise.
Je pose donc cette question terrible. Pourquoi une partie des habitants concernés n’ont-ils pas quitté leur commune ? Ont-ils sciemment nié le risque ? Cette hypothèse mérite discussion. Il est probable qu’elle recouvre une partie non négligeable du problème. Elle s’explique par une ignorance complète de la réalité géographique maintes fois mise en évidence par Geographedumonde. Il y a d’autres pistes cependant. Ceux qui ont saisi la menace avaient-ils quelqu’un pour les accueillir le temps d’un week-end ? N’y a-t-il pas la preuve pour nombre de retraités secourus devant les caméras d’une certaine solitude, ou d’un éloignement par rapport au reste de leur famille ? Dans les communes les plus ravagées surtout résidentielles, des équipements collectifs ont-ils été prévus pour accueillir les inondés ? Il ne s’agit pas ici de monter un procès à charge, mais de constater en réalité une convergence de causes, au milieu desquelles le facteur climatique n’occupe qu’une place.
Matignon annonce la publication rapide des arrêtés de catastrophe naturelle pour les communes ravagées. Le ministère de l’Intérieur se félicite du déploiement des pompiers et des gendarmes. Tout le monde s’en réjouira. Mais compte tenu de l’annonce météorologique, il y a de quoi s’attrister du nombre de morts. Rien ni personne ne pourra l’effacer. Lors du passage de la tempête Katrina, la garde nationale américaine est intervenue à la Nouvelles-Orléans pour vider des quartiers. Dans certains cas, la population a profité des moyens militaires mis à leur disposition. Mais il a fallu aussi forcer les récalcitrants, ceux qui se fermaient les yeux ou se bouchaient les oreilles. Beaucoup craignaient de perdre plus que leur vie, leur bien le plus cher, leur maison. En France, on déclenche les opérations à l’issue du cataclysme. Mon amertume est grande. L’armée française a bien d’autres tâches à accomplir, en Afrique ou en Afghanistan... La sécurité civile ne dispose pas des moyens pour ratisser un département à l’approche d’une tempête hivernale, certes exceptionnelle (surtout ?). Des dizaines de morts. Quelle tristesse.
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