L’huissier : une vision humaine et sociale du recouvrement bradée sur l’autel de l’ultralibéralisme
Depuis plusieurs mois, la profession des huissiers de justice vit dans l’angoisse d’annonces gouvernementales qui auraient pour effet, si elles devaient voir le jour, de détruire l’équilibre social de notre société, de fragiliser encore davantage les plus faibles de nos concitoyens et de sacrifier sur l’autel de l’ultralibéralisme une conception humaine et sociale de la mission de service public et d’intérêt général qu'elle assure avec fierté.
Quelle incompréhension d’entendre le gouvernement vouloir remettre en cause l’essence même du rôle des huissiers de justice et de leur mission de service public, à savoir : la perte de la signification, la dérégulation du nombre des études, et l’ouverture de ces dernières à des capitaux étrangers.
Contrairement à ce qui a été énoncé par le gouvernement, il ne s’agit pas d’un combat des anciens contre les modernes, mais de l’effondrement d’une vision humaine et sociale au profit d’une vision purement libérale fondée sur la rentabilité.
La signification, contrairement à l’idée habilement véhiculée, ne se réduit pas à une simple prestation de « transport » consistant en la remise d’un acte de justice, comme on délivre un pli postal. C’est avant tout une prestation intellectuelle à l’occasion de laquelle l’huissier de justice par ses vérifications assure la sécurité juridique des actes qu’il délivre. Qui, si le projet gouvernemental devait aboutir, examinera le contenu des significations ? Qui demain endossera la responsabilité en cas d’erreur dans la rédaction des actes qui seront délivrés par la Poste, Fedex ou tout autre opérateur ?
Faire croire que la signification d’un acte d’huissier se réduit à une simple prestation de transport est donc une tromperie.
En outre, le transfert de la signification au profit d’opérateurs privés aura pour conséquence inéluctable la disparition des études rurales ou situées dans des zones urbaines sensibles ainsi que la destruction de milliers d’emplois dans la profession. Comment dans ces conditions garantir l’accès à la justice de l’ensemble de nos concitoyens, en particulier dans les zones rurales défavorisées ou les zones urbaines sensibles ?
Pour promouvoir la croissance, le gouvernement envisage la suppression de la règle instaurée depuis 1945 de la limitation du nombre des offices d’huissier de justice, de libéraliser l’accès à la profession et de permettre l'entrée de capitaux étrangers. L’idée ainsi habilement développée serait de supprimer la situation de privilège dont la profession bénéficierait.
Il est tout d’abord navrant de tromper nos concitoyens sur une supposée situation de rente alors que la substance de l’exécution forcée est en perte de vitesse constante sous l’effet d’une réglementation toujours plus favorable aux débiteurs (Etat des lieux 2012 de l’Observatoire des Métiers).
La présentation est surtout insidieuse car la régulation du nombre des études d'huissier de justice n’a pas tant pour but de protéger la profession des huissiers que de défendre l’intérêt général du justiciable.
L’ouverture sans limite de la profession entraînera la concentration de nouveaux huissiers dans les secteurs les plus favorisés au détriment, là encore, des zones rurales et des zones urbaines sensibles.
Mais ce n’est pas tout : la concurrence souhaitée par le gouvernement, associée à l’entrée dans les études d'huissier de capitaux étrangers, aura de graves conséquences sur la partie de la population la plus vulnérable du pays. En effet, comment ne pas comprendre que l’ouverture, sans aucune restriction, entraînera une radicalisation du recouvrement forcé au préjudice des débiteurs et des plus faibles ? Comment ne pas comprendre qu’ils seront les premières victimes sacrifiées sur l’autel de la rentabilité et d’une concurrence furieuse ? Comment ne pas comprendre que l’exécution s’exercera alors sous la dépendance d’investisseurs institutionnels telles que les sociétés de crédit peu scrupuleuses des règles de déontologie sensées protéger le débiteur ?
Les missions régaliennes exercées par l’huissier de justice se trouvent en dehors du champ de la "directive services" européenne, l’annonce du gouvernement apparaît donc incompréhensible tant par rapport aux exigences de nos concitoyens que de celles exprimées par le droit européen.
La profession d'huissier de justice réclame sans doute des réformes, elle est prête à ouvrir ses études à davantage d’huissiers à discuter des modalités d’un nouveau tarif. Mais ces réformes ne pourront aboutir que dans la réflexion et la concertation.
Les huissiers de justice sont déterminés à défendre une conception humaniste et sociale de leur profession, à poursuivre leur action au service de tous les justiciables dont les plus vulnérables seraient inéluctablement les victimes de cette dérégulation sauvage.
28 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON