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Accueil du site > Actualités > Politique > Municipales : apolitisme et société civile

Municipales : apolitisme et société civile

Les élections municipales ont été caractérisées par la floraison de listes « apolitiques » intégrant, de façon plus ou moins importante, des membres de la société civile.

« La société civile est un terme "cultivé" d’origine philosophique : il désigne chez Hegel la sphère où s’expriment les intérêts particuliers par opposition à celle de l’État qui représente l’Universel : "dans la société civile chacun est pour soi-même une fin, tout le reste n’est rien pour lui. Toutefois, sans relation avec un autre il ne peut pas atteindre sa fin ; les autres sont donc un moyen pour les fins du particulier". [1] »

Ce concept ancien a été adapté et intégré dans l’analyse néolibérale essentiellement économiciste pour évacuer la dimension politique de la vie économique et sociale.

Pour les néolibéraux, « la société civile c’est la vie économique, sociale et culturelle des individus, des familles, des entreprises et des associations dans la mesure où elle se déroule en dehors de l’État et sans visée politique, en ignorant la double logique, idéologique et de souveraineté, de la vie politique, en recherchant par contre, soit la satisfactions des besoins ou des intérêts matériels, soit le soin des autres, la convivialité, le bonheur privé, l’épanouissement intellectuel ou spirituel [2] ». La société civile ainsi perçue comprend les entreprises privées à la recherche du profit et les composantes de la société essentiellement mues par le bénévolat.

La mise en avant de la société civile coïncide avec une critique de l’État « comme institution, stigmatisé comme inutile, corrompu, lourdement bureaucratique, budgétivore et donc condamné à céder le pas à l’initiative privée, au secteur informel, au dynamisme associatif et autres "grass roots organizations" comme incarnation idéalisée de la société civile [3] ».

L’efficacité économique implique un désengagement de l’État au profit du marché (les entreprises privées) et du bénévolat. Les activités rentables (énergie, autoroutes, assurance sociale...) sont confiées au marché, tandis que le bénévolat prend en charge, partiellement ou totalement, à moindre coût les activités non rentables (Restos du cœur...).

« L’idéalisme du volontariat et l’appât du profit s’articulent pour remplacer "efficacement" les fonctions relatives à la citoyenneté sociale délaissées par l’État néolibéral. [4] »

Dans un contexte de réduction du périmètre de l’État, « ce modèle de société civile conduit à marginaliser l’action politique et à la limite à la considérer comme superflue [5] ». Néanmoins, il s’agit de réduire les compétences sociales de l’État au service de la population tout en poursuivant son intervention au service des intérêts des entreprises privées (en privatisant, en réduisant les charges des entreprises, en démantelant les dispositifs de protection sociale...).

La société civile devient un acteur social totalisant qui permet d’éviter de faire référence aux classes sociales (à la classe ouvrière...) et aux conflits qui les opposent. « On demande à la société civile qu’elle parle, qu’elle agisse, qu’elle définisse des orientations, qu’elle se manifeste comme si elle était un sujet ayant une existence réelle. [6] » Le recours à la société civile doit permettre, par le « dialogue », de dégager un « consensus » apte à résoudre les « problèmes » (car on ne parle plus de conflits). Il s’agit « d’une remise en question radicale des formes actuelles - et constitutionnelles - de la démocratie représentative et d’une véritable privatisation de la décision publique [7] ». Ainsi, la société civile s’insère dans le dispositif néolibéral d’autonomisation de l’économique et du social par rapport au politique.

La société civile présente aussi l’avantage de pouvoir être instrumentalisée. Il est possible de « choisir  » les acteurs et les organisations (associations, collectifs...) considérés comme les représentants de la société civile et légitimement habilités à parler et à agir en son nom.

En définitive, la société civile est un mot « magique  » « qui, tout en estompant les cloisons entre public et privé, donne une impression d’approfondissement de la démocratie, tout en jetant aux orties le principe de souveraineté populaire [8] ».



[2] Raphaël Canet, Réflexion croisée sur les concepts de société civile et de communauté politique, http://www.chaire-mcd.ca/publications/Note-2002-05-08-canet.pdf , consulté le 15 janvier 2004.

[5] http://ged.u-bordeaux4.fr/ceddt101.pdf consulté le 27 mars 2008.


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8 réactions à cet article    


  • wesson wesson 1er avril 2008 13:56

    Bonjour l’auteur,

    Apolitique les listes des municipales, il faut voir.

    J’aurai tendance à penser, surtout après les municipales, que les gens se disant "apolitiques" sont des gens bien à droite qui n’ont pas eu le courage de faire leur coming-out UMP qui sents bien le poisson ces derniers temps.

    Dans ma ville, les 2 listes "apolitiques" étaient tenues par l’Ump et le dissident Ump local. Ils ont d’ailleurs ont fusionné au second tour pour essayer de battre la liste qui, elle, s’était affiché dès le départ de gauche.

     


    • Yannick Harrel Yannick Harrel 1er avril 2008 14:23

      Bonjour,

      Le concept de société civile est séduisant de prime abord car il permet de laisser penser que la politique ne serait plus seulement l’apanage des politiciens de métier (car moi naïvement je pensais qu’au départ la politique c’était l’octroi d’un mandat, pas un métier comme ni une rente familiale, comme quoi les temps changent...), toutefois je demande à en voir l’implication réelle.

      Et comme l’auteur le souligne, le risque c’est de faire passer par un processus de cooptation de ces fameux acteurs de la société civile. Ce qui serait bien pratique de s’assurer de la docilité des recrues...

      Cordialement


      • alceste 1er avril 2008 18:15

        Article éclairant, qui mériterait plus large audience. J’ai retrouvé dans la rhétorique que vous démontez fort bien le doux parfum des "recommandations" de l’OCDE, et j’ai apprécié la concision énergique de votre paragraphe de conclusion.


        • Bernard Dugué Bernard Dugué 1er avril 2008 22:10

          Salut Bernard,

          La société civile, un mot aussi magique que le peuple et sa représentation, vieux schéma datant de Rousseau et Constant

          La société civile et l’Etat, pourrait dire.

          Comme on disait peuple, volonté populaire et représentation

           

          Tu as en filigrane bien dessiné l’enjeu

          En bref, l’Etat inclut dans sa représentation la société civile et l’agit en l’instrumentalisant ou le servant

          Ou alors la société civile inclut dans sa représentation l’Etat en l’instrumentalisation ou le servant

          Je n’ai pas la réponse, je sais simplement que la tyrannie est dans l’Etat et dans la société civile et la liberté aussi

           

          Au plaisir de te retrouver au café actu à la Taverne

           

          Bernard

           


          • Picospin 2 avril 2008 01:06

            Apolitisme

            Est-ce que l’apolitisme serait une des conditions à la création et au développement de la mondialisation ? Ce terme fait peur à certains car il évoque, suggère, dépeint dans l’imaginaire un globe trop grand pour l’homme ou pour de petits groupes d’hommes tels qu’on les concevait autrefois. Liés entre eux par un epace géographique, culturel, intellectuel sinon spirituel dans lequel il est encore possible de se mouvoir en utilisant sa propre autonomie.

            Un espace limité

            Cet espace dûment limité est rassurant pour tous ceux qui sont terrifiés par les au-delà dont on ne sait rien et dont on craint tout. Les frontières sécurisent, mais enferment , protègent mais limitent, dessinent et édifient. Comment associer cette réduction de la terre, cet enfermement dans des murs qui cachent le présent et l’avenir à ceux qui les regardent d’en bas. Reconfigurer l’espace politique et social sera sans doute le grand défi des siècles à venir. A mesure que le paysage perd ses frontières estompées dans l’apolitique, le monde de la globalisation peut grandir sans obstacle, sans limite et sans vergogne. Que faire alors de ce territoire perdu du monde déserté par le politique, l’empreinte, les gouverneurs qui devront assumer la responsabilité de leur gouvernance pour se montrer dignes de leur titre et de leur mission.

            Responsabilité

            Que signifierait dans ces conditions le terme de responsabilité qui ne trouverait plus aucun acquéreur . Personne n’oserait mettre un jeton sur le pari de cette aventure dont on ne connait ni le chemin, ni la direction, ni surtout le sens. Ne serai-ce alosr que de l’absurde ? Un Lafcadio d’avant la guerre, la deuxième mondiale bien entendu, celle qui a brûlé, emprisonné, torturé, gazé, réduit en cendres les structures inanimées et animées pour ne laisser que débris, ruines, difformités. Des élements de choix pour reconstruire ou des vestiges pour oublier ?


            • moebius 2 avril 2008 10:57

              pour moi très naïvement la société civile c’est celle du tiers état. Une société laïque libéral majoritaire qui s’oppose au pouvoir arbitraire de la force ou d’une idéologie. Civile s’est simplement ça qui n’est ni militaire ni religieux. L’état n’est pas représentatif de la société civile mais il est le garant de la séparation des pouvoirs. Les sociétés sans réels sociétés civiles sont pour l’essentiel des dictatures d’ordre religieuses ou militaire ou idéologie et force se conjugue pour combattre toute émergence d’une société civile urbaine industrieuse ou bourgeoise fondée sur le droit. La distintion public privé est pour moi annexe ou connexe à celle du droit et à celle de nos multiples et différencié systèmes de représentation mentaux qui s’ils s’opposent doivent cohabiter . Cette cohabitation est assuré par la neutralité bienveillante de l’institution ou pour ceux qui aiment les images, par ’l’etre universelle" qui guide nos pas et nous éclaire dans la nuit noire tel la lanterne de la raison, poil au menton.


              • PhDG 6 avril 2008 17:06

                Cher ami inconnu de Bordeaux,

                Je suis assez ébahi par cet article ! Non pas qu’on puisse le juger intellectuellement débile ! Au contraire, il émane certes de quelqu’un de très érudit et capable d’exprimer son opinon dans des phrases parfaitement "ciselées" : elles sont percutantes et les références qu’elles contiennent, indiquent un esprit des plus érudits !

                Mais.... (le pot vient toujours après les fleurs !) que voilà une merveilleuse masturbation intellectuelle ! Bravo pour la performance ! Mais, ensuite, que faisons-nous de concret pour changer la situation si diablement bien décrite ? J’aime cette expertise qu’ont les intellectuels, en France, à si bien décrire ce qui ne va pas dans ce bas monde ! Mais, je déteste leur incapacité à définir, ensuite, un plan d’action concret qui tende à faire progresser le mieux aux dépens du moins bien ou du déplorable ! Nous – les petits belges – nous en rions tant cela en devient d’une dramatique puérilité !

                Pourquoi ne pas s’en tenir à une définition bien plus simple de la société civile ? Il s’agit de l’ensemble de ceux qui n’ont pas été élus pour exercer un mandat de gouvernance politique (res publica) et qui, individuellement ou en association, entendent constamment rappeler que ce mandat n’est pas un transfert irrévocable et définitif du pouvoir. Il s’agit de l’ensemble des citoyens qui, après avoir confié un mandat de pouvoir à leurs "gouvernants", entendent constamment leur rappeler qu’il s’agit d’une concession de l’usage et de l’exercice de ce pouvoir et qu’ils doivent en rendre compte aux "gouvernés" de manière permanente entre deux échéances électorales !

                Rien n’est "apolitique" ! Tout est toujours "politique" puisqu’il s’agit toujours d’organiser – ou de tenter d’organiser – mieux notre vie en commun !

                Bien amicalement et ..... sans rancune (?)

                 

                 


                • Horst Grützke (Potsdam / Allemagne) Horst Grützke 7 avril 2008 12:39

                  Merci d’avoir jugé non seulement cet article de manière "apolitique" mais aussi maints commentaires. Je regret de le dire que ces gens là ne militent pas ni dans des mouvements ni dans les associations où des milliers de citoyens s’engagent pour une meilleure vie en France, en Allemagne - en toute l’Europe.

                  Ceux qui traitent cons les citoyens engagés (dans la société civile) sont ou même con comme la lune ou pas bien éduqués ou - comme chez nous en Allemagne - des néo-nazis / de l’extrême droite. Pourquoi ? Parce les néo-nazis sont anti-démocrates orientés à mettre au point un régime géré par un "führer" qui commende et les autres sont obligés à obéir. Il ne faut pas oublier que ces gens-là font également partie de la société civile puisqu’ils ne font partie ni du gouvernement ni de l’économie du marché (heureusement). Alors rendons claire les fronts divisant la société civile entre politiquement démocrates et politiquement anti-démocrates.

                  Alles lire mon article répondant à la thèse de la société civile "apolitique" http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=38318

                   

                   

                   

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