Protectionnisme ou système national d’innovation ?
La dette publique était jusqu’il y a quelques jours le mal absolu : confronté au principe de réalité, ce mythe vole en éclats. Il est aussitôt remplacé par une autre mythe : la peur du protectionnisme, assimilé à toute forme de "patriotisme économique" et d’intervention de l’Etat.
La crise est aussi le moment de mettre à bas les dogmes qui nous ont mené à cette situation et de revenir vers quelques vérités premières.
« Tout sauf le protectionnisme » tel est le cri qui saisit nos élites face au nécessaire retour de l’Etat pour remettre un peu d’ordre dans le monde supposé harmonieux du « marché auto-régulateur ». Mais de quoi parle-t-on ?
Comment a-t-on tué la croissance ?
La croissance a été tuée en Europe par les politiques monétaires assassines : les taux d’intérêts réels, en raison de la poursuite des objectifs du Pacte de stabilité se sont situés bien au-dessus des taux de croissance depuis une quinzaine d’années. Ils ont amené un déficit durable d’investissement depuis 1990 au moment même où les Etats-Unis comprenaient la nature de la troisième révolution industrielle et investissaient massivement dans la nouvelle vague des technologies de l’information qui allait assurer leur domination sur l’économie numérique. Et nous sommes entrés dans un cercle vicieux : le sous-investissement a entraîné une faible augmentation de la productivité, une augmentation du chômage et une progression de la pauvreté, avec faible progression des recettes fiscales et forte progression des dépenses sociales qui mettent les budgets publics sous tension. Il en résulte un faible investissement public dans l’éducation et dans la recherche qui accroît le retard technologique. Il faut aujourd’hui casser ce cercle vicieux impulsé par des considérations uniquement financières pour revenir à une économie de production.
A l’origine, un dogme : celui de la « valeur actionnariale ». Ce principe s’est développé en France suite au rapport Viénot sur le gouvernement d’entreprise (1995), validé par les gouvernements socialistes. Ce principe contraint l’entreprise à maximiser les dividendes, ceux-ci étant anticipés par les marchés financiers qui obligent en retour l’entreprise à ne pas les décevoir. Pratiquement, cela oblige les entreprises à avoir un rendement de leurs actifs supérieur au rendement du capital. Cela ne peut se faire qu’en sacrifiant l’investissement, notamment dans la R&D, et, bien sûr, les salaires. De plus, l’innovation en période de rupture technologique (actuellement celle des TI) consiste surtout en de nouvelles formes d’organisation, de nouveaux systèmes de production qui sont difficilement comptabilisables : tout cet immatériel, qui fait la compétitivité réelle des entreprises, est donc sacrifié car non valorisable à court terme par les marchés financiers.
Les pays scandinaves qui sont restés à un gouvernement d’entreprise partenarial et non actionnarial, ont échappé à la malédiction du déclin économique et social qui frappe l’Europe depuis une décennie.
Ce dogme de la valeur actionnariale est au cœur de la globalisation et est devenu une doctrine politique devenue dominante avec la révolution conservatrice aux États-Unis et en Grande-Bretagne, en réaction aux politiques de protection sociale.
Le retour de la Chine ? Les mêmes recettes que pour l’essor de l’Occident
L’impact négatif de ce dogme et de l’ouverture des frontières a été accru par le retour de la Chine qui a fait entrer sur le marché mondial une armée de réserve de main-d’œuvre qualifiée à bas coût, ce qui a accru la rentabilité du capital et diminué le pouvoir de négociation des salariés dans tous les pays développés. Le projet de la Chine est exactement le même que celui qu’ont eut tous les pays aujourd’hui développés au début de leur développement : accumuler la technologie par une politique active de rattrapage qui va de l’envoi d’étudiants dans tous les pays développés, à l’accueil d’entreprises de pointe moyennant le transfert de technologies, sans omettre l’espionnage industriel.
Parallèlement, la Chine a eu l’intelligence de ne pas ouvrir ses marchés financiers – comme le lui demandait le FMI – et d’accumuler les réserves en dollars qui lui permettent de sous-évaluer sa monnaie et de contrôler l’économie américaine. En outre, elle assure une transition en douceur du système communiste au système capitaliste en n’ouvrant pas brutalement ses secteurs dits « non – compétifs » à la concurrence internationale, comme l’a fait la Russie. Mieux vaut avoir une industrie « non-compétitive » que pas d’industrie du tout ! Les pays d’Afrique et d’Amérique latine qui se voient spécialisés dans la production de produits primaires à faible valeur ajoutée et qui stagnent dans la pauvreté pour avoir appliquée les politiques d’ouverture du FMI et de la Banque mondiale en savent quelque chose !
Que faire ? Vers un système national d’économie politique
Les clés du développement économique et social n’ont pas changé depuis trois siècles – et même en pratique depuis le début de l’ère industrielle qui commence avec la Renaissance – et ont été résumées en quatre étapes par le grand économiste Friedrich List en 1841 dans son ouvrage Le Système National d’Economie Politique, qui sera à l’origine du développement des Etats-Unis puis de la Prusse :
- L’ouverture des frontières est utile pour un pays en décollage pour permettre l’installation d’industries en provenance de pays plus développés.
- Il faut ensuite protéger par des droits de douane les « industries dans l’enfance » jusqu’au moment où elles seront capables d’affronter la concurrence des pays les plus avancés.
- Il faut progressivement accroître la part de marché de ces industries par des traités de commerce ou des unions douanières avec des pays de même niveau de développement afin de rechercher des synergies et de permettre à ces industries d’atteindre la taille critique.
- On peut ensuite passer à une politique de libre-échange une fois ces industries devenues adultes.
Il n’y a là aucun esprit doctrinaire qui considérerait que le libre-échange est un bien en lui-même ou que le protectionnisme est l’arme absolue contre la désindustrialisation.
On peut comparer cette approche à un parent qui apprend son enfant à faire du vélo : au début il faut mettre des petites roulettes au vélo, puis tenir la selle, accroître les distances parcourues et enfin seulement lâcher la selle. Si l’on tient pas la selle, l’enfant n’apprendra jamais et si l(on ne lâche pas la selle il restera un assisté incapable de s’affronter au monde. La France a eu raison de vouloir utiliser la dépense publique pour construire une industrie informatique. Elle a eu tort en la laissant vivre des commandes publiques et en ne la rendant pas capable d’affronter la concurrence internationale.
Le Marché commun à six, puis à neuf, voire à 15 pouvait s’inscrire dans une logique correspondant à la troisième étape de F. List puisqu’elle créait une coopération entre pays de même niveau de développement. L’ouverture à 27, 30 et plus vers des pays de développement inégal est un non-sens est une démarche perdant-perdant qui va appauvrir les pays développés (par des transferts financiers et en créant une concurrence des pays à bas salaires) ainsi que les pays en voie de développement (en les empêchant de développer leurs industries nationales comme l’a fait avec intelligence l’Irlande). C’est, comme l’a analyse l’ethnologue Robert Paine au Canada à propos des relations avec les populations Inuits du colonialisme du bien-être : on veut imposer par les subventions un niveau de vie semblable aux populations en retard, et de ce fait on les cantonne dans un assistanat qui bloque leur développement et les rend tout aussi agressive contre le colonisateur que dans le cas du colonialisme classique.
Quels peuvent donc être les axes stratégiques d’une politique industrielle ?
- définir des zones de coopération entre pays d’égal développement en Europe permettant une coordination politiques fiscales et budgétaires, avec rétablissement de la préférence communautaire aux frontières par des droits de douane et en faisant cotiser les produits importés des pays à bas salaires à la protection sociale des pays développés – par l’instauration de la TVA sur les importations (ce qu’a fait l’Allemagne) - afin de neutraliser leur avantage-coût.
- Investir à long terme dans les industries d’avenir. Dans « développement durable » il y a d’abord « développement ». Ces industries nous montre le chemin de la reconversion de nos vieux appareils industriels hérités de la II° révolution industrielle, et sont une opportunité pour relever de nouveaux défis technologiques.
- Pour assurer cet investissement, il faut rediscipliner le capitalisme financier et assécher la finance apatride et prédatrice. Avant tout les déficits publics doivent servir à financer les investissements dans l’avenir : Education, recherche, innovation, soutien aux PME innovantes, y compris en leur réservant un part non négligeable de l’achat public comme cela se fait aux Etats-Unis et est totalement impossible dans l’Europe de Maastricht.
- Deux séries de mesure peuvent être envisagées :
o Lancer un grand emprunt européen entre pays ayant des intérêts communs (développement des infrastructures, grands projets de R&D, grands travaux comme la traversée des Alpes et des Pyrénées, développement durable…). Cet emprunt mobilisera l’épargne des ménages qui reste un grand atout de la France alors qu’elle est négative aux Etats-Unis, et évitera qu’elle s’oriente vers la spéculation immobilière ou boursière.
o Réformer la Banque Centrale Européenne : Comme le propose Patrick Artus[1], une banque centrale moderne est une banque qui est responsable devant les gouvernements pour les orientations de la politique monétaire et n’a pas pour unique objet la lutte contre une inflation qui n’est absolument plus le problème aujourd’hui. On lui laissera le choix des moyens (émission de monnaie, gestion contra-cyclique des taux à court, moyen et long terme), mais pas celui des fins. En pratique, une telle réforme est impossible dans l’UE à 27 et dans le cadre du Traité de Maastricht. Compte tenu des effets de la crise financière, les rares avantages de l’euro (mobilité des capitaux permettant d’absorber les différentiels de croissance et de financer les déficits) vont diminuer tandis que ses inconvénients (incapacité d’amortir les différentiels de croissance entre pays par absence de fédéralisme fiscal et de mobilité de la main-d’œuvre) vont s’accroître. La mort de l’euro est d’ores et déjà annoncée.
[1] « Les incendiaires. Les banques centrales dépassées par la globalisation », 2008
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