Peste aviaire : surinformation, attention danger !
Grippe aviaire, peste aviaire, influenza, épizootie, pandémie... Les noms ne manquent pas pour désigner ce qu’il est aussi convenu d’appeler le virus H5N1.
Chacun de ces noms véhicule des connotations très différentes. Une grippe n’est pas une peste. Une épizootie n’est pas une pandémie.
Le gouvernement et les médias ont pris le parti délibéré de brouiller l’information. Aux prévisions apocalyptiques d’octobre-novembre 2005 ont succédé des messages relativistes, suivis d’un silence total, brève accalmie avant le flot ininterrompu d’informations contradictoires dont nous sommes aujourd’hui abreuvés.
Chapitre 1 : La pandémie
Le terme pandémie vient du grec "pan", qui signifie tout, et "demos", le peuple. Plusieurs pandémies sont restées célèbres dans l’histoire, comme la peste noire (peste bubonique), qui a affecté toute l’Europe entre 1346 et 1350, faisant des millions de morts. Au XXe siècle, de 1918 à 1920, la grippe espagnole, un virus d’origine aviaire, a fait, selon les estimations, quelque 21 millions de morts
Le mardi 11 octobre 2005, Christine Ockrent accueille, sur le plateau de France-Europe-Express, Xavier Bertrand, ministre de la Santé et Jean-Philippe Derenne, chef du service de pneumologie et réanimation à la Pitié-Salpétrière et co-auteur de Pandémie, la grande menace (Editions Fayard).
On y voit un ministre de la Santé forcé d’admettre que la France, quoique mieux préparée que ses européens voisins, se serait trouvée fort dépourvue si la grippe était venue. Pas une seule petite ébauche de vaccin contre le virus muté ni de médicament fiable à 100 %. Seulement 50 millions de masques et 13 millions de traitements au Tamiflu, provisions non négligeables, certes, mais largement insuffisantes.
Jean-Philippe Derenne, brandissant son livre au titre éloquent, n’est pas là pour rassurer le téléspectateur. Il suffit de lire la quatrième de couverture de Pandémie : "L’Organisation mondiale de la santé a annoncé le 2 septembre 2005 que le risque de pandémie grippale est grand, qu’il va durer, que les moyens de l’éviter sont faibles et que les traitements manqueront... c’est par dizaines de millions qu’ on pourrait compter le nombre de victimes de la grippe avaire". Le spécialiste, qui tire ses informations des sources les plus officielles (OMS, FAO, OIE ...), estime les besoins français en cas de pandémie à plusieurs centaines de millions de masques et à plus de 400 millions de traitements au Tamiflu (qui, rappelle-t-il, n’est efficace qu’à 80 %).
Une vision apocalyptique se profile alors : chacun cloîtré chez soi, des fantômes masqués dans les rues désertes, des hôpitaux, des écoles, des cinéma fermés, une économie et une société paralysées jusqu’à ce que mort s’ensuive...
Chapitre 2 : la grippe avaire
Cette émission marque le point d’orgue des messages alarmistes. Ensuite, les médias reviennent sur leur première communication, et appellent les Français à relativiser, dans la plus belle tradition rationaliste de l’esprit des Lumières... Le virus n’est pas transmissible d’homme à homme, il ne le serait qu’en cas d’éventuelle mutation du virus dans le porc... Aucune raison de s’inquiéter...
Chapitre 3 : silence radio
Puisque le calme est revenu, que les Français en ont assez d’entendre parler de la grippe aviaire, le sujet est délaissé par la presse, la radio, la télévision... Surtout, ne pas lasser l’audimat. Pourtant, le virus H5N1, lui, continue de se propager à travers le monde... On en parlera quand il s’approchera de chez nous.
Chapitre 4 : épizootie, virus H5N1, influenza, peste aviaire
Seulement voilà, la grippe aviaire n’a que faire des frontières, et la France est aujourd’hui le premier pays européen à devoir décimer un élevage entier de volatiles. D’où l’afflux de messages contradicoires.
Par bonheur, l’épidémie affecte principalement les animaux. On préfère donc souvent parler d’épizootie. L’épizootie est une épidémie frappant les animaux. Le terme dérive du grec "zoôtês", désignant la "nature animale". Ce terme permet d’éviter toute allusion à la transmission à l’homme.
On peut aussi appeler la maladie par ses noms scientifiques : influenza, virus H5N1. On apparaît crédible, objectif...Cependant, les noms eux-mêmes véhiculent la peur, celle de l’inconnu. Le quidam a peur de cet inconnu scientifique qui dépasse l’état de ses connaissances.
La grippe aviaire s’est vue aussi ces derniers temps requalifiée en peste aviaire. La maladie serait-elle devenue plus virulente ?
La multiplication des termes et de leurs connotations va de pair avec la profusion des messages contradictoires. Dominique de Villepin et Xavier Bertrand mangent du poulet froid à pleines dents au journal de 20 heures, sous le regard satisfait des agriculteurs. Quand on les voit ainsi, on se dit qu’ils ont quand même du mérite, nos hommes politiques, prêts à se sacrifier pour rassurer la population.
Jean-Jacques Bourdin, sur RMC, lance un cri passionné : "Mangez du poulet ! Ne vous laissez pas faire ! Ne cédez pas à la panique !". Les articles se multiplient sur ce thème : La grippe aviaire, une panique injustifiée (avec ou sans point d’interrogation, c’est selon).
Finalement, le gouvernement et les médias seront venus à bout de la lassitude et de la crédulité des Français. A force de messages contradictoires martelés, d’informations tronquées et déformées, ils sont parvenus à provoquer l’indifférence générale. Selon le sondage en ligne du NouvelObs.com :
% - | La grippe aviaire | ||||||||
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Mais n’est-ce pas le but inavoué du gouvernement ? Après avoir, dans un louable souci de transparence, fait part de ses inquiétudes aux Français, Xavier Bertrand n’aurait-il pas intérêt à ce que l’affaire H5N1 soit noyée sous un flot d’informations ?
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