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C’est la rentrée aussi dans les grandes écoles

Les limites de l’égalité des chances

"Les chances d’accomplir une scolarité sans heurt et conduisant à une qualification réelle sont très fortement liées au niveau initial des compétences au cours préparatoire (CP). Les enfants qui bénéficient à la maison d’un environnement favorable aux premiers apprentissages réussissent nettement mieux que les autres. La scolarité pré-élémentaire ne compense pas ces disparités sociales : l’institution scolaire semble ainsi valider des acquis préalablement transmis au lieu de rendre possible la réussite de tous." *

Cette rentrée se fait donc sous l’ombre des critiques du HCE à l’égard du système scolaire qui "semble valider des acquis (inégalitaires)... au lieu de rendre possible la réussite de tous". Nous avons avec cette dernière phrase un très bel exemple de la façon dont la société se défausse de ses responsabilités : ici, on feint de se rendre compte... Les membres du HCE n’ont donc jamais lu Bourdieu ? Mais cela est-il vraiment indispensable pour savoir ce que tout le monde sait pertinemment : la société produit des inégalités que l’école entérine... malgré elle.

Pointée du doigt, pour la première fois depuis longtemps : l’école primaire dont l’efficacité est mise en doute. On voit comment notre société démocratique qui affiche le mot égalité aux frontons de toutes ses mairies se décharge sur l’école - à peu de frais - de cette inégalité sociale chronique qu’elle produit, mais dont elle a mauvaise conscience et que semble-t-il, elle aimerait dissimuler, tenter d’oublier, comme une maladie honteuse. Pourtant les chiffres sont bien là : une fille née en début d’année dans une famille de milieu favorisé de deux enfants n’a que 1,1 % de chance de redoubler son CP. Le chiffre est de 35 % pour un garçon né dans une famille de milieu défavorisé de plus de deux enfants.* Rendre l’école responsable de ces écarts reviendrait à rendre le médecin coupable de la maladie que porte son patient. A moins qu’il ne s’agisse d’une nouvelle version de la fable de La Fontaine Le Lion et l’âne dans laquelle on fait porter au plus faible les maux dont le puissant ne saurait être accablé. Le lampiste a toujours tort...

Les limites de l‘égalité au mérite

Ce qui vaut dès le début du parcours scolaire, cette sélection par les catégories sociales, l’école est censée la corriger. Elle doit donner aux plus démunis le bagage que leur famille ne leur donnera pas.. et donner à ceux qui le peuvent leur chance d’aller aussi loin que possible dans leurs études. Les bourses sont censées corriger en dernier lieu le manque de moyen financier des familles les moins aisées. Pour autant, la réalité est implacable : plus on s’élève dans la hiérarchie des diplômes et moins il y a de fils d’ouvrier et des classes populaires, de jeunes issus de l’immigration.

A l’arrivée, on sait que 72 % des élèves de classes préparatoires sont issus de milieux favorisés, on n’ y trouve que 5 % de fils d’ouvriers. Pour en revenir à phrase du HCE citée ci-dessus, il faut convenir que l’école n’a pas réussi à effacer ces "acquis préalablement transmis".

Mais comment le pourrait-elle dans une société qui, plus ou moins insidieusement dans tous les rouages de son système, accentue le marquage des différences d’origine sociale ? C’est encore vrai, curieusement, au plus haut niveau, où les élèves entrant dans les plus grandes écoles en font l’amère expérience.

Certains d’entre eux pensaient que, quittant les classes préparatoires, ils seraient accueillis à la hauteur de leur "mérite" dans ces grandes écoles où leur est promis le meilleur avenir.

Ségrégation sociale jusque dans la "méritocratie"

Car là encore tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Il faut, par exemple, faire partie d’un milieu fortuné pour payer les presque 30 000 € que coûtent les frais de scolarité dans une grande école de commerce. Bien sûr, les banques sont là pour pallier aux difficultés que pourraient rencontrer certaines familles à débourser cette somme à laquelle devront s’ajouter tous les autres frais : logement, nourriture, équipement, stages, etc.

Les principales compagnies bancaires sont présentes sur les campus pour proposer leurs prêts à taux préférentiels à ces futurs pourvoyeurs de fonds que sont ces étudiants d’élite. On leur propose jusqu’à 50 000 € à des taux inférieurs à 2,5 % remboursables en plusieurs années à l’issue de leurs études. Une somme équivalente plus ou moins, à 18 mois de salaire dès leur entrée dans la vie active. Cette information rassurante circule, dès l’entrée en prépa, comme une promesse d’ouverture à tous ceux qui sauront s’accrocher jusqu’au bout.

Mais Jessica, pourtant en tête de sa classe dans un des premiers lycées parisiens, n’y aura pas droit. Ses parents sont séparés, sa mère est employée, son père aux abonnés absents... Jessica s’est accrochée à ses livres pour s’en sortir coûte que coûte. Peut-être au mieux aura-t-elle le quart de cette somme, de quoi franchir le pas de la première année. Par chance, HEC où elle vient d’être admise, ouvre à son tour une formation en alternance ; c’est l’entreprise qui lui paiera donc le reste de sa scolarité. Mais pour elle comme pour ceux dont les parents n’ont pas les moyens de se porter caution efficacement, les 50 000 € ne sont qu’un effet d’annonce, une publicité quasi-mensongère. Céline, dont les parents sont enseignants dans le premier degré, n’obtiendra pas beaucoup plus. Le montant des prêts dépend directement des ressources des parents et de leur taux d’endettement. Pour obtenir ces 50 000 € qui couvriraient les trois ans de scolarité tous frais compris, il faut avoir fini de payer sa maison et avoir des revenus conséquents ; en bref, ne pas avoir besoin de recourir aux emprunts. Les banques ne prennent pas le moindre risque ; on ne prête qu’aux riches... Jessica, Céline et bien d’autres devront obligatoirement passer par l’alternance. Vexant, cette ségrégation envers les élèves issus de classe moyenne ! On peut toujours se dire qu’eux ont eu la "chance" d’arriver jusque-là et que l’alternance pourrait bien être un "plus". Tout de même, à la différence des autres, ceux-là n’ont pas le choix.

On n’est pas ici au début du parcours, avant la maternelle, mais à l’autre bout de la chaîne, et le marquage existe encore. A tous les échelons, cette société se révèle telle qu’elle est vraiment. Comme le disait Pierre Rosanvallon * dans une interview au Monde, "Les partages sont fins et insidieux, et traversés par de nouvelles passions séparatistes et endogamiques qui s’organisent par le haut, c’est-à-dire d’abord par la constitution de ghettos riches".
L’école a bon dos !

Phildiogène

* Haut Conseil de l’éducation "Bilan annuel des résultats de l’Ecole, rapport 2007".

* Données consultables sur le site staps.univ-avignon.fr :

* Pierre Rosanvallon, historien et président du cercle de réflexion "La République des idées" (Le Monde 29/11/05).


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7 réactions à cet article    


  • Nicolas 11 septembre 2007 11:59

    Article intéressant, qui pose bien les bases du système scolaire dans ce qu’il a de plus noir...

    Petite note : on dit pallier quelque chose et non pallier à quelque chose (citation : « pallier aux difficultés »). Référence : le Trésor de la langue française informatisé, http://atilf.atilf.fr/tlf.htm


    • Ram 11 septembre 2007 13:36

      Etant en grande école je trouve que la mixité sociale y est respectée. IL y a des enfants de politiques, banquiers mais aussi des orphelins ou émancipés.Sans compter ceux qui ont des parents RMIstes. Les banques fournissent un pret à 2% pour la scolarité/logement/nourriture donc tout le monde peut s’en sortir. Rien à voir avec le Japon par exemple.


      • Nemo 11 septembre 2007 14:00

        @ l’auteur,

        Ce que vous dites est tout à fait vrai en ce qui concerne les grandes écoles de commerce, type HEC et autres. En revanche, dans les IEP, qui possèdent des cursus « éco-fi » très appréciés des grandes entreprises, les frais de scolarité sont beaucoup moins élevés qu’ailleurs. Ils sont modulés en fonction des revenus des parents, et sont gratuits pour ceux dont l’origine sociale est la plus défavorisée. Et pour ce qui est du diplôme de Sciences-Po Paris, ce n’est pas la moins bonne carte de visite pour entrer sur le marché du travail...


        • heyben 11 septembre 2007 14:17

          En grande école d’ingénieur, les frais de scolarité sont au niveau de ceux des universités. Faites des sciences. :D


          • Chat 12 septembre 2007 20:43

            Bon nombre d’écoles d’ingénieur ont des frais de scolarité équivalents à ceux des universités pour des cours de bien meilleure qualité avec à la sortie un diplôme reconnu. Votre scénario d’élèves « pauvres » laissés sur le carreau me parait donc improbable sinon démagogique. Seule différence : une sélection à l’entrée qui permet de maintenir le niveau. Une piste pour les universités ?


          • phildiogene phildiogene 12 septembre 2007 21:55

            Cher « Chat », Je pense que vous avez mal lu l’article : il n’est pas ici question d’élèves « pauvres... laissés sur le carreau » mais d’élèves issus des classe moyennes pénalisés au niveau des prêts bancaires accordés et donc devant obligatoirement passer par l’alternance. Les chiffres donnés sont vérifiables ; les exemples concrets et tout à fait réels concernent effectivement des cas relevés pour des étudiants des grandes écoles de commerce. Le propos ici n’est pas de débattre de la qualité de l’enseignement et encore moins de faire des comparaisons écoles/universités mais plutôt de relever comment le marquage « social » est présent tout au long du système scolaire, jusqu’au plus haut niveau...


          • NPM 11 septembre 2007 21:07

            « la société produit des inégalités que l’école entérine... malgré elle. »

            Nan : les inégalités sont génétique d’abord (entre 50 et 60%, d’ou l’échec cinglant de l’école de masse) et la « société » ne fait que les entérimer. Certes, je ne dis pas que des gens d’une intelligence médiocre mais méritants ne doivent pas réussir leurs études. Aprés tout, les études ne demande pas vraiment une intelligence hors du commun. Mais les hommes sont inégaux, l’on toujours été et le seront toujours. Et donc certains sont génétiquement mieux disposer à réussir des études trés dur, tandis que d’autres devront se contenter de devenir fonctionnaire C. Au reste, quel importance ? On n’a nul besoin de tous ces diplomés potentiels. A quoi cela sert il d’avoir des livreur de pizza, des éboueurs ou des vendeurs de chaussure Bac+5 ? A rien, c’est du gaspillage.

            Par ailleur, vous payez les conséquences de votre politique 68tarde. Menacer tous les jours depuis 50 ans les « fils de », exploiter sans vergogne la bourgeoisie sous des pretexte imaginaire, comme si elle devait quoi que ce soit au autre ! cela les a évidement conduit à se refermer sur eux même. Si vous aviez éta moins agressif, et plus selectif, les chose se serait mieux passé..

            D’ailleur, je remarque que les fils de prolo qui réussissent leur études sont souvent des gauchistes enragé, trés remontés contre la société qui leur à pourtant permis de réussir ! Finalement, il aurait bien mieux vallut pour eux qu’ils restent dans leur gourbi ; ils y seraient plus heureux, et la société plus harmonieuse.

            Enfin, n’oublions pas la magnifique politique socialiste de Mai 81, qui à envoyer au chomage plus de gens que la crise de 29, et qui donc rend encore plus inutile l’arrivé de nouveau diplomé. Tant qu’on ne sera pas sorti de cette période de redistribution et autre solidarité, l’argent necessaire pour la croissance sera gaspillé.. Tous les 6 mois, c’est Airbus qui est détruit et part dans les poche des parasites sociaux. De puis 15 ans au moins..

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