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L’enseignement supérieur français, une illusion d’excellence ?

Les grèves actuelles pour ne rien faire bouger dans l’enseignement supérieur montrent leur archaïsme, dans un monde qui ne cesse de bouger, et leur infantilisme au regard des enjeux de la transmission des connaissances.

La globalisation du monde permet de mieux nous connaître. « C’est folie que de rapporter le vrai et le faux à nos suffisances », disait déjà Montaigne (Essais I, 27). Il en est ainsi de l’enseignement supérieur français, dont « l’excellence » semble loin d’être partagée ailleurs... C’est ce que montre excellemment Daniel Gouadain, professeur à l’université de Poitiers, dans Les Illusions de l’enseignement supérieur français (revue Le Débat n° 146, octobre 2007 pp.124-148). Nos universités font petite figure dans le classement mondial de l’université de Shanghai, signe manifeste que le monde ne nous envie pas nos grands établissements. Ni les rapports officiels du sérail, ni les rodomontades des politiques, ni les manifs de rue ne changeront rien à cet état de fait. Ne serions-nous pas victimes d’une illusion collective sur cet enseignement ?

La Révolution avait tout supprimé ; les républiques successives se sont empressées de tout empiler pour ne déplaire à personne. L’Etat a créé diverses écoles professionnelles pour son service : Normale Sup pour les profs (1794), Polytechnique (1794) pour les travaux publics et les officiers, plus tard l’ENA (1946) pour les fonctionnaires de direction. Napoléon a recréé l’université pour fournir les professions libérales, juristes et médecins. Lettres et sciences sont restées les parents pauvres. Balzac le notait déjà, l’envie et l’ambition se liguaient pour mettre « l’école du pouvoir » (Polytechnique) nettement en tête de toutes les préoccupations des familles. Son « rayonnement devait guider les élèves comme l’étoile les Rois mages », dit joliment Daniel Gouadain. Pire : « les programmes des lycées étaient (implicitement au moins) définis en fonction de ceux de son concours, vers lequel parents et maîtres poussaient en chœur les élèves. » Alors qu’ailleurs les universités se régénéraient, autonomes et dynamiques (pensons à la Prusse), l’écart entre grandes écoles d’Etat et tout venant universitaire allait s’accentuant en France. Il n’y a de noblesse que d’Etat et tout le reste est vil. Avec pour conséquences une « production des connaissances » faiblarde chez nous.

Rien ne peut se réformer sans l’Etat central, toute initiative localement réussie se doit d’être estampillée par le sommet et concerner tout le monde pareil. Avec pour conséquences « d’hypothéquer la possibilité même du changement : celui-ci ne pouvant résulter que de décisions prises à l’échelle nationale, toute tentative froissant des situations acquises se heurtait à une coalition de mécontentements, ayant tôt fait de se souder en un ‘front du refus’. » Faute d’adapter ce qui existe, on rajoute : BTS et IUT pour contourner l’université, CNRS, INRA, ORSTOM, etc., pour contourner l’absence de recherches en grandes écoles, écoles de commerce et autres MBA pour offrir ce que ni universités, ni écoles d’Etat, ne fournissent : un savoir-faire en économie et management.

Pourquoi cela ? Parce que la société française est très profondément une société de castes, et qui aime ça. Selon M. Gouadain : « une société divisée qui, en deux siècles (XIXe et XXe), au rythme des révolutions et des guerres, a vu les valeurs démocratiques monter progressivement en puissance, mais pas au point de submerger les idéaux aristocratiques. » Les Grandes écoles d’Etat sélectionnent « démocratiquement » par concours ouverts à tous - mais très peu sont admis ; ils forment une caste aristocratique qui va irriguer tous les corps d’Etat et le sommet de la société civile. L’université accepte « démocratiquement » tout le monde (après le bac) et les études sont quasi gratuites, mais la sélection s’opère au fil du temps (déjà près de la moitié en première année) et surtout après le master 1. « Notre système reste, en effet, profondément marqué par des conceptions hiérarchiques, de rang, de dignité, mesurées à l’aune des débouchés qu’offrent les études mais autant, ou plus, de leur degré d’abstraction et de difficulté. » Les maths et le bachotage éhonté font diverger ce qui est accessible à la masse de ce qui est réservé aux « meilleurs ». C’est ainsi que l’université répugne à intégrer le « technique », considéré comme savoir manuel, dont inférieur au pur maniement des idées. « Les médecins ont bien voulu cohabiter avec les pharmaciens ; mais de là à offrir ’hospitalité’ aux dentistes, ‘masseurs’ et autres auxiliaires médicaux... » S’est constitué ainsi un « ordre de préséance » entre les différentes catégories d’enseignements, puis une hiérarchie diffuse entre les établissements, non officielle mais que tout Français connaît bien. Ces distinctions « sociales » sont incompréhensibles ailleurs. Le reste du monde, qui ne juge que sur les résultats (combien de chercheurs, combien de publications, quels domaines d’excellence, combien de prix Nobel, etc.), ne voit pas ce qui fait « le prestige » de nos écoles supérieures...

De plus, cela rend les étudiants français particulièrement mal dans leur peau. Ils sont conduits à faire taire leurs préférences très tôt pour être ‘formatés’ dans les matières ‘utiles’ aux concours : « c’est-à-dire, en fait, à se soumettre à la tyrannie des mathématiques (et plus généralement des disciplines scientifiques) qui, tropisme de Polytechnique aidant, règne sur l’enseignement secondaire. » Tout abaissement des ambitions initiales conduit forcément à un « échec » social, ravalant le postulant au rang d’inférieur. Il s’efforcera frénétiquement de raccrocher une école « bien placée » malgré ses propres goûts, quelle que soit la spécialité qu’elle enseigne, aéronautique, agronomie ou travaux publics... Cela va-t-il faire surgir de bons spécialistes qui aiment leur métier et ont envie de chercher plus loin ? Cela va-t-il favoriser l’épanouissement des individus et leurs capacités à travailler avec les autres ?

Or, « du modèle culturel, à rebours des valeurs démocratiques mondialement dominantes, sur lequel est assise l’excellence à la française, découlent deux caractéristiques du système : son enfermement sur lui-même et son décalage par rapport aux normes internationales. »

1. L’excellence « individuelle » crée une caste - « une secte » dit l’auteur - qui heurte l’aspiration au ‘travailler ensemble’ de notre époque. 2. Au regard des critères d’efficacité désormais dominants, ce n’est pas le cursus qui compte mais bien le résultat atteint : la compétence acquise. La question que tout postulant à l’étranger connaît bien est non pas quel diplôme avez-vous ou de quelle Ecole sortez-vous - mais bel et bien que savez-vous faire ?

De l’autoreproduction des élites à une société bloquée, il n’y a qu’un pas. « Il faudrait se demander ce qui fait la force d’une société : des ‘chefs’ brillants mais un peu solitaires ou, du haut en bas de la hiérarchie, un ‘continuum’ de citoyens convenablement formés, satisfaits de leur sort et devant lesquels s’ouvrent de raisonnables perspectives de promotion, y compris jusqu’au sommet ? »


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14 réactions à cet article    


  • Once 23 novembre 2007 13:16

    « La question que tout postulant à l’étranger connaît bien est non pas quel diplôme avez-vous ou de quelle Ecole sortez-vous - mais bel et bien que savez-vous faire ? »

    Entièrement d’accord avec vous !

    Je travaille moi-même à l’étranger (Allemagne) et je me souviens que lors de mon entretien d’embauche, un des recruteurs m’a dit : << Je vois que vous avez plein de diplômes qui ont l’air intéressants mais comme je ne connais rien au système français, pouvez m’expliquer concrètement ce que vous savez faire ? >>

    En France, c’est le contraire, beaucoup de recruteurs regardent en premier de quelle école vous sortez... Par exemple il est plus difficile de trouver du travail pour un titulaire de DESS que pour un ingénieur, alors que les compétences sont les mêmes, voire parfois meilleures pour celui qui sort de DESS (souvent plus spécialisé qu’un ingénieur).


    • Sandro Ferretti SANDRO 23 novembre 2007 15:14

      Excellente analyse.

      Le constat -et en méme temps le paradoxe entre excellence passée et capacités actuelles- est patant pour les lettres, qui ont cependant été longtemps, avec le droit,un « pole d’excellence française », pour employer un mot à la mode, ou plutot notre marque de fabrique.

      Mais nous sommes en train de perdre le brevet.


      • Blackeagle 23 novembre 2007 15:21

        Ce raisonnement est quelque peu derangeant. Car en nous comparant au reste du monde et en disant que notre systéme éducatif supérieur est moins démocratique bien qu’il soit quasiement gratuit mais parcequ’il existe tout de même une sélection en DEUG ou License maintenant. Vous oubliez de préciser que dans le reste du monde, la plupart du temps, il y a une sélection par l’argent au préalable. Ce qui n’est surement pas plus démocratique, et qui n’est certainement pas une maniére meilleure de lutter contre une société de caste.

        De la même maniére vous semblez fustiger les concours d’entrée aux grandes ecoles. Quel moyen plus démocratique peut il exister. Sachant que ces écoles, vu les moyens que requiére la formation qu’elle dispense pour chaque étudiant, ne peuvent matériellement pas l’offrir à tout le monde, une sélection doit être effectuée. La sélection se fait alors sur les compétences et uniquement les compétences des postulants. Je ne vois pas quel systéme de sélection serait plus démocratique. Préféreriez vous que la selection se fasse par l’argent ou par quel autre moyen ? La motivation ? comment mesure-t-on objectivement la motivation ? Par une sorte d’entretient d’embauche......un tel procédé serait énormement subjectif, ouvrirai la voie au pistonage, et ne mesurerai pas réelement la motivation mais la capacité à communiquer à autrui cette motivation. Autrement dit la sélection se ferai aussi sur votre aptitude à communiquer facilement et sur l’entente qui pourrait naitre entre vous et l’interlocuteur.

        De plus, vous semblez fustiger la prédominance qu’a à l’université le savoir abstrait ou le « maniment des idées ». Au dépent des savoir manuels et autre. Vous semblez également regrétter que l’université n’ai pas évoluée de façon à être plus professionalisante.

        Je pense qu’il est des choses qu’il faut clairement poser ici. 1. (un peu hors sujet mais pas tant que ça). La mission premiére et qui doit rester sa mission premiére de l’éducation nationnale (primaire et secondaire) est de former un citoyen. C’est à dire une personne apte voter. Nous avons fait le choix de la démocratie, pour que ce choix soit viable, il faut que le peuple soit apte à assummer son devoir. Pour celà, il faut que l’éducation nationale : a. transmette les savoirs qui permettront aux futurs citoyens de comprendre le monde et les choix qu’il sera amener à faire. b. Former des esprits libres qui construisent leurs propres visions du monde et soient capable d’analyser et de remetre en cause les informations qu’ils reçoivent.

        2. La mission premiére de l’université est d’organiser le partage du savoir. Que chaque citoyen puisse à tout moment de sa vie et de façon quasiement gratuite avoir accés aux savoirs disponibles. Celà repond aux impératifs de liberté et d’égalité de notre république. Au quel cas les société qui nous ont précédées était basées sur la domination d’une minorité de la population par la détention et la conservation du pouvoir. Le BAC ne constitue que la certification par l’état d’apitude de la personne à recevoir l’enseignement dispensé à l’université.

        Il découle de ces deux points que l’université n’est pas là pour trouver un emploi aux étudiants. S’il veulent être former à un emploi, il existe les filiaires professionnelles. Qu’en conséquence, la transmission des savoirs de l’esprit est logiquement prépondérante à l’université.

        En revanche, vous avez raison sur un point, les castes se reproduisent et les grandes ecoles sont maintenant quasiement reservée à ceux qui ont des parents qui on fait le même type d’études. Celà est un probléme. Seulement le probléme ne viens pas du concours car je ne vois pas d’autres moyens de sélection plus justes. Le probléme vient de l’enseignement primaire et secondaire qui n’arrive pas à éléver au même niveau de savoir et de liberté d’esprit des élèves venant de classes sociales différentes. Pour autant, l’école ou l’université ne doivent pas être professionalisée car celà reviendrait à accentuer cette disparité en reservant les savoirs de l’esprit à ceux qui peuvent les acquerir par eux même.

        Dans le primaire et le secondaire, je ne vois pas les moyens qui permettraient de résoudre ce probléme. Sans doute les méthodes pédagogiques actuelles ne sont pas optimales.

        Dans l’université, il est évident qu’il y a un souci où certaine filiaire sont surchagées et que les gens qui les suivent, à la sortie ne trouvent pas de travail. Il ne faut remettre en cause la mission de l’université mais en revanche, il faut mieux orienter les élève. L’université dispense des cours à des personnes majeures, apte à faire des choix autonomes. Il faut mieux responsabiliser les élèves dés la terminale, mieux les informer sur les filiaires disponibles, leurs débouchés, et les enjeux pour leur avenir personnel. Aprés on ne peut qu’espérer qu’une personne majeur fasse un choix responsable. Si elle ne le fait pas et met son avenir en peril par ses propre choix, celà ne peut pas être de la responsabilité de l’état.

        Le fait que les formations suivies à l’université donne des diplome valorisable sur le plan proffessionnel signifie simplement que dans l’économie actuelle, avoir acquis des savoirs vous donne des aptitudes pour exercer des professions. Celà ne doit pas conduire la mission de l’université. L’université doit être apte à offrir l’ensemble des savoirs disponibles. Ensuite, les entreprises determinent quels savoirs leurs sont utiles. Au quel cas il peut être interressant pour les entreprises de co financer certaine filiaire permettant ainsi à l’université d’ameliorer la qualité de l’enseignement.


        • pad pad 23 novembre 2007 18:17

          Si je suis d’accord avec vous sur les universités, qui à mon sens sont désavantagées par rapport à leur concurrentes, à cause de leur refus d’être en partie financée par le privé, parce qu’elles ne sont pas du tout sélectives et proposent beaucoup plus de place à l’entrée qu’à la sortie, parce qu’elles ne contrôlent pas assez au cours d’une année, parce qu’elles accueillent des étudiants peu motivés ou qu’elles se chargent de les démotiver, parce qu’elle n’est participe pas à l’effort de recherche... Je ne partage pas votre avis sur les grandes écoles : il n’y à que regarder le classement des mines pour voir que nos écoles savent encore former une élite aussi bien formée qu’influente.Ce classement qui se base sur le nombre de patrons dans les plus grandes entreprise (nombre pondéré par l’importance de l’entreprise qu’ils dirigent)place 4 ou 5 françaises parmi les dix premières. cocoricooooooo !


        • eric 24 novembre 2007 09:40

          A léon Bof...

          Commentaire bien convenu, qui dénonce le libéralisme anti-étatique, anti-égalitariste, . Décliniste (en fait notre université va très bien),

          On notera la phrase culte, toute interrogation sur une institution est « vaguement poujadiste »

          Comme on a aucun texte de Socrate, on ne fera pas d’hypothèse sur ce qu’il fait dans sa tombe....

          Bien amicalement


        • Argoul Argoul 25 novembre 2007 12:34

          Léon bof veut-il vraiment que je lui « réponde » ? A le lire, on ne le dirait pas... Dans son dernier « commentaire » il fait quand même un vague un effort d’argumentation.

          1/ On est mal classé ce n’est pas nouveau. Et alors ? Est-ce une raison pour persister dans l’arrogance de se croire les meilleurs en tous temps et pour tous lieux ? Ne serait-il pas plus intéressant (pour nous) de nous interroger sur le pourquoi ? Rejeter la faute sur « les critères », c’est aussi vieux que l’éducation nationale (même supérieure) : ce n’est jamais la faute des enseignants, jamais la faute du système - toujours la faute aux autres, à l’Etat, aux « moyens », au capitalisme tant qu’à faire - et pourquoi pas à Dieu ? Tout le monde est libre de faire n’importe quoi, yaka payer. Cet argument du bouc émissaire n’est pas un argument.

          2/ La réduction binaire de la pensée de l’autre est aussi pauvre. L’alternative exclusive ne se situe pas entre « maths » et « débrouille », de façon (fort subtile, j’admire !) à récupérer ça en faveur de la bonne vieille opposition confortable et unanime « libéral/antilibéral » ou (plus précisément) « pro/anti américains ». Il y a des gens forts intéressants et forts utiles à la société qui ne sont pas passés par le « tout math » - notamment le directeur du marketing d’Alcatel, renvoyé des études, qui a fini par se former dans des pays moins méprisants pour les gens. Il signe le blog « La France vue d’ailleurs », si vous avez la curiosité d’y aller voir. Il y en a plein aussi à Normale Sup et quelques-uns à Science Po, HEC et même à l’université. Et vous croyez qu’il y a beaucoup d’histrions de TV sortis de cette université ?

          3/ La dernière opposition de la Pensée Binaire, à la mode hier, serait d’opposer une fois pour toutes « scientifiques » et « commerçants ». C’est une variante de l’argument 2, en faisant appel à la constante de la Culture qui serait « noble » alors que la relation sociale (celle du commerce comme les autres formes de relations) serait « vile ». Outre qu’associer tout uniment « les maths » à « la science » fait problème, la mathématisation du monde réduit les êtres humains à des objets, qu’ils soient d’études ou patients de médecine - en bref à évacuer l’humain. Docteur Folamour, Homme Nouveau léniniste, marchandisation des ventres, enfants jetables de l’adoption, télévision lave-cerveau, hedge funds boursiers - tout ça c’est « calculé », « mathématique ». Tchernobyl, la mer d’Aral, la vache folle, la non-signature du Pacte de Kyoto aussi : on calcule les bénéfices, pas les conséquences long terme. Et vous trouvez que c’est « bien » ?


        • armand armand 23 novembre 2007 23:18

          Curieusement votre article épingle moins l’université que le système qu’on a érigé sous Napoléon pour précisément dynamiter l’université, les grandes écoles. En effet, on ne peut continuer longtemps à entretenir mal un parent pauvre (l’université)et grassement un privilégié (les GE), se confondant avec une caste héréditaire, objet de toutes les préférences, et marqué, vous le soulignez bien, par la dictature de la théorie et des maths.

          Il existe de nombreuses universités moyennes, souvent dites ’de proximité’ où un suivi personnalisé permet à des étudiants issus de milieux populaires de progresser. Souvent cela s’accompagne d’une intense activité de recherche. Où l’on transmet à la fois une compétence et une méthode de travail. Mais on en parle peu.


          • Yannick Harrel Yannick Harrel 24 novembre 2007 09:17

            Bonjour,

            Entièrement d’accord avec vous : les Grandes Ecoles ont non seulement démontré qu’elles ne produisaient pas forcément les élites que le pays attendait mais versent de plus en plus vers le modèle business-school... à la différence monumentale des pays Anglo-Saxons que c’est au contribuable d’assumer la charge des frais de scolarité ! Sans omettre le fait que l’on tend de plus en plus à dévitaliser les universités de leurs qualités intrinsèques : le meilleur exemple est la volonté expresse de doter Sciences Politiques d’une maîtrise de Droit : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-899614@51-894576,0.html Or Sciences Po et les facultés de Droit ne boxent pas dans la même catégorie : les moyens distillés par l’Etat étant totalement disproportionnés !

            Bref, l’université a besoin de se réformer c’est un fait, mais d’un autre côté, est-il judicieux de conserver ces réservoirs d’inégalités que sont les Grandes Ecoles de pouvoir (je mets volontairement de côté les écoles ayant une vocation plus technique) ?

            Cordialement


          • taihun 23 novembre 2007 23:48

            Tous ces bouquins qui sortent sur l’université française font une impasse coupable et monumentale sur la catastrophe que nous sommes en train de préparer en sciences exactes. L nombre d’étudiants dans en sciences « dures » a fondu depuis une dizaine d’années (dans tous les pays développés aussi) et dans certaines universités la fuite a été de l’ordre de 70% au niveau maitrise. Nous n’aurons, si rien n’est fait, bientôt plus assez d’étudiants en maths pour assurer le simple remplacement des profs du secondaire. Dans certaines filières on observe déjà une pénurie d’étudiants au niveau mastere 2 et thèses, alors la rengaine sur l’université qui ne forme pas est obsolète et inutile pour un nombre croissant de secteurs. Le système est d’autant plus en train de se « planter » que la concurences des grandes écoles continue mais qu"elles forment encore moins de chercheurs que par le passé (c’était dèjà faible 6% dans les années 80). Au lieu d’une sélection il faudra bientot faire un plan de relance et surtout attirer plus d’étudiants étrangers (les US le font déjà avec de 40 à 60% de PhD étrangers en sciences). La france a encore un rang et une formation de bonne qualité en sciences (maths physique chimie biologie) la faiblesse des moyens, l’absence de bourses la faiblesse des salaires en recherche, la démission quasi généralisée de l’industrie n’explique pas tout mais montre la nécessité d’un plan d’urgence.


            • Argoul Argoul 24 novembre 2007 12:01

              1/ J’aime l’université, j’en suis sorti, j’y enseigne parfois. Je déplore en effet que, depuis Napoléon, l’Etat (les élites) ait laissé l’université à l’abandon (à l’époque, elle était « libérale », c’est-à-dire de gauche contre l’empire). La création des grandes écoles a donc été volontairement élitiste - une caste d’Etat.

              2/ Ce que je trouve intéressant, dans le regard du professeur d’université qu’est M. Gouadain (dont je ne fais que résumer les propos iconoclastes), est le regard du monde extérieur. Si « nous » sommes mal classé parmi les établissement supérieurs du MONDE ENTIER, n’y aurait-il pas quelque « problème » à notre cocoricotante suffisance à croire que « nous sommes les meilleurs » ? Socrate est tout à fait bienvenu dans cette remise en cause. Relisez donc Socrate via Platon.

              3/ Ce qui est en cause n’est pas l’élitisme en soi - de toutes façons il a lieu et il faut bien sélectionner les meilleurs d’une façon ou d’une autre. Que ce soit par concours, tout à fait « démocratiques », j’en suis d’accord (mais alors, pourquoi ne pas l’étendre aux mastères des universités si c’est si bien que ça ?). Que ce soit par sélection au fil des années universitaires (50% laissent tomber avant la licence...) Que ce soit plus atrd, à l’entrée dans la vie active : concours pour la fonction publique, entretiens d’embauche pour le privé.

              4/ Ce qui est en cause est l’élitisme spécifiquement « par les maths », et depuis tout petit (la Seconde valant orientation). Qui n’est pas matheux est considéré comme « inférieur » - alors qu’il peut être brillant en lettres, en relationnel, en débrouillardise. On manque de commerciaux justement, on manque d’artisans, on manque de gens capables de se débrouiller à l’étranger. Pourquoi vilipender ceux qui ne sont pas « maths d’abord » ? Nota : j’ai passé le bac philo et je ne regrette rien.

              5/ L’auteur (comme moi) ne prône en rien une « professionalisation » de l’université : il y a des écoles ou des DESS spécialisés (comme leur nom l’indique) pour ça. L’abstraction est utile, si elle sert à la recherche. mais l’abstraction mathématique dès la 6ème pour la sélection par les maths, Polytechnique étant le plus « valorisé », ce n’est pas le signe d’une société « normale », démocratique et comme les autres. Ce n’est pas la meilleure façon de nouer des relations de travail avec les autres, ni de répondre aux besoins de « client ». Et c’est surtout le signe d’une société de castes, élitiste dès 15 ans (à l’orientation en Seconde, préparée en 3ème) qui vous marque à vie. Rien à voir avec ce qui s’acquiert par l’expérience professionnelle en Allemagne et en Suisse, ou par la débrouillardise aux Etats-Unis ou en Hollande. La soi-disant « démocratie » française a de furieux relents de Cour de Louis XIV...

              6/ En ce sens, donner plus d’autonomie aux universités, à condition de garder aux diplômes une portée nationale, ne peut que faire du bien. Rien n’empêche d’ouvrir des filières pour la culture générale (sans passage de diplômes), ou de participer à la formation tout au long de la vie (avec équivalences et validations de diplômes). Mais c’est trop timide en France parce que cela reste trop centralisé au ministère. Il y a à réfléchir, à débattre, mais certainement pas à bloquer ! La démocratie exige « un continuum de citoyens convenablement formés, satisfaits de leur sort et devant lesquels s’ouvrent de raisonnables perspectives de promotion, y compris jusqu’au sommet » (dernière phrase de l’article).


              • armand armand 26 novembre 2007 22:59

                Tout à fait de votre avis - je ferais remarquer tout de même que la pénurie en master et doctorat se retrouve aussi en sciences humaines - dans ce sens le système LMD a été catastrophique car décourageant et illisible.

                Pour ce qui est de l’autonomie, comme je le répète à l’envi, quel rapporte entre autonomie et renforcement des pouvoirs déjà énormes des présidents d’université, le rétrécissement des CA et l’élimination des commissions élues dans les procédés de recrutement ? pour mémoire, puisqu’on cite les USA en exemple, là-bas les présidents de fac doivent arbitrer entre de nombreuses instances qui ont toutes leur mot à dire, les profs sont élus par l’ensemble des titulaires - rien de ce fuhrerprinzip très sarkozéen qui fait de l’université une entreprise gouvernée par un PDG.


                • Argoul Argoul 27 novembre 2007 12:00

                  Ne forcez pas le trait, même Sarkozy ne veut pas d’une université « gérée par un PDG » ; quel « intérêt » (notamment politique) y aurait-il pour lui ? Son modèle est un peu les USA mais probablement plus l’Allemagne. Puisque l’on fait l’Europe, autant gérer comme tout le monde. Le système LMD est en ce sens plus clair ; il permet en outre d’aller faire un cycle à l’étranger. Je me souviens de mon 3ème cycle où on ne savait jamais s’il valait mieux un DESS ou un DEA, si la « thèse » était réduite et banalisée à celle « de 3ème cycle » (considérée comme nulle) ou s’il fallait galérer plus de 10 ans pour soutenir LA thèse d’Etat (prestigieuse-à-la-française mais dont personne à l’étranger ne savait à quoi ça correspondait, sauf si l’on était chercheur à vie). En bref, on avait à choisir entre bosser vite (et abandonner les études) ou entrer jusqu’à la retraite dans le mandarinat enseignant, sans être sûr d’un poste passé 30 ans... Nul doute que le nouveau système ne soit plus clair !

                  Je suis d’accord avec vous sur le fait que la gestion de l’université doit être collégiale, beaucoup moins centralisée et plus ouverte. Je vois d’ailleurs dans certaines résistances à l’autonomie l’ennui de certains universitaires qui n’aiment pas gérer un budget et préfèrent rester dans le giron confortable de l’irresponsabilité bureaucratique - avec le « c’est pas moi c’est le ministère » comme argument imparable. Mais pourquoi ne pas embaucher des gestionnaires dont c’est le métier ? Cela créerait des emplois.


                • davai-lama 3 décembre 2007 17:09

                  Un article intéressant, notamment sur la question des « castes » basées sur le prestige des différentes matières.

                  Je tiens ici à aller plus loin dans les faits pouvant expliquer un certain malaise.

                  Même si de grands efforts ont été faits depuis quelques années, la forme des cours reste trop « académique », au sens où on est resté, dans une grande proportion, au format « cours magistral - TD (exercices types plus ou moins complexes) - Test d’évaluation ».

                  Or, de plus en plus, y compris dans les emplois publics, d’ailleurs, on demande « autonomie, organisation, initiative voire créativité ». Comment attendre ce genre de qualités de la part d’étudiants auxquels on demande encore trop souvent de se limiter à comprendre et à reproduire ce que montre le prof, sans plus ?

                  Pour avoir été enseignant à niveau bac+1 - bac+2 dans un établissement scientifique, je peux en témoigner : la grande majorité des élèves a un comportement très scolaire. Les étudiants sont là pour réussir le(s) contrôle(s) de fin d’année et, pour ce faire, il faut répondre ce que le prof attend. Que certains voient l’utilité des enseignements en fonction de ce qu’ils ont envie de faire, je n’en disconviens pas, mais la majorité d’entre eux ont une vision très floue de ce qu’ils ont envie de faire professionnellement, et un très grand nombre sont là « par défaut ». Quand on leur pose la question « pourquoi as-tu choisi des études scientifiques ? », la réponse est « ben j’étais bon en sciences et j’avais de très bonnes notes au lycée ».

                  Ce qui veut dire un projet professionnel à l’état d’embryon.

                  Or, entre « être bon en sciences » et « faire des sciences son métier, tous les jours », il y a une marge qui laisse à beaucoup de diplômés l’impression d’être très cultivés, mais sans trop savoir quoi faire de leur bagage.

                  Je ne parle pas pour les autres disciplines, mais pour les sciences, c’est criant.

                  Trop d’élèves sont conditionnés par une attitude « apprendre pour l’école », assez passive, où on suit le mouvement et où on fait ce qu’on nous demande de faire. Le jour où on sort de l’école, la claque fait très mal.

                  Par ailleurs, mettez des étudiants dans le cadre de projets collectifs dont ils sont les pilotes, donnez-leur des responsabilités, et là, tout change. Ils comprennent bien qu’il ne s’agit pas de faire du mimétisme, mais de s’organiser pour arriver à un résultat et, par là-même, tester leurs compétences.

                  Bien sûr, certaines matières s’y prêtent mieux que d’autres, je n’ai pas de solution miracle à proposer.

                  Deuxième point : la formation des enseignants du supérieur. Je laisse de côté les agrégés, qui ont un minimum de formation sur l’élaboration d’un cours. En ce qui concerne les enseignants-chercheurs, c’est bien simple, la formation est une formation sur le tas, avec tous les aléas que cela représente : qualités naturelles du prof, implication et qualités pédagogiques naturelles des responsables de cours, et cela se perpétue depuis des années.

                  Le prof est bon naturellement, tant mieux sinon, on tâche de le mettre là où il fera le moins de dégâts.

                  Personne n’est jamais venu me dire quoi que ce soit sur le contenu de mes interventions. J’aurais pu raconter n’importe quoi en toute impunité. J’ajoute que l’on m’a également confié une semaine avant le début des cours des TD sur des matières que je ne connaissais pas...

                  Pire, dans les statuts de l’enseignant-chercheur, le volet enseignement se limite à une obligation en nombre d’heures de cours dispensés. Aucune procédure claire et nette n’existe sur le contrôle du contenu et la manière dont il est dispensé puis évalué. Pire, peu de gens osent vous dire « là, ça va pas, il faut faire autrement ». D’autre part, la condition si ne qua non de l’avancement se situe au niveau de l’activité de recherche, même si une implication dans l’enseignement sera bien sûr « appréciée », sur des critères opaques et variables suivant les établissements.

                  En gros : l’enseignement est dispensé par des gens passionnés, c’est indéniable, mais non formés à enseigner, non formés à encadrer des étudiants, et qui doivent concilier cette activité avec des activités de recherche et, souvent, des activités administratives. Nous avons un gros potentiel et des gens de talent, en France, mais tant qu’on continuera à les employer dans un cadre sinon amateur, du moins dilettante, nous ne sommes pas près de former des élites compétentes, bien dans leur tête et pouvant vanter des méthodes d’enseignement professionnelles et efficaces.

                  Nous ferons comme depuis des années : les gens naturellement autonomes, organisés, qui savent où ils veulent aller tireront leur épingle du jeu, les autres garniront le contingent des désœuvrés, avec un sentiment d’échec et d’inutilité.

                  Quel gâchis !


                  • Argoul Argoul 4 décembre 2007 12:12

                    Très bon commentaire qui ajoute de l’information pour la réflexion.

                    La forme non-académique (ou « moderne » - adaptée aux relations contemporaines) s’effectue en effet non pas à l’université mais dans les Ecoles. J’y vois une survivance de la pompe cléricale et royale du Savoir isolé du monde, comme en monastère. Visitez les vieux lycées, vous aurez une idée du concept monastère-caserne-prison de l’enseignement « à la française ». Les autres pays, qui sont plus adaptables, ont évolué sur ce sujet : l’Allemagne, la Scandinavie, les Etats-Unis.

                    L’éducation « magistrale » convient quand on est ignorant de tout : il faut bien apprendre les bases avant de discuter de quoi que ce soit... Mais en second cycle, le « projet » personnel ou en équipe doit prendre le dessus sur le magistral. C’est ce qui s’effectue en mastère 1 et 2, et évidemment en doctorat. Peut-être plus en droit, économie et histoire qu’ailleurs ? En tout cas, j’en témoigne, l’initiative personnele était déjà le cas il y a 30 ans. Aurait-on régressé depuis ?

                    Mais ce qui manque - et a toujours manqué - c’est la méthode et le travail en équipe. Il n’y a qu’à Science Po, HEC et dans les Ecoles de commerce et autres MBA que cela se pratique, calqué sur les moeurs américaines. En université française, c’est chacun pour soi. Encore heureux si votre prof vous aide de quelques conseils. Mais ni TD ni cours ni formation ne sont assurés pour apprendre aux étudiants... à apprendre. Pas de méthode d’exposé écrit, pas de formation pour l’oral, pas d’outils pour rechercher, décrypter et vérifier l’information. Débrouillez-vous !

                    Bien sûr - nous sommes en société de castes - ceux qui sont pourvus d’un réseau, familial, amical ou social, vont s’en sortir. Pas les autres. Mais « l’égalité démocratique » reste en apparence respectée, n’est-ce pas ? Etudes quasi gratuites, examens les mêmes pour tous. Mais avec ça, débrouillez-vous.

                    Quant à la formation des profs, vu ce qui se passe en IUFM, peut-être vaut-il mieux en rester à la formation sur le tas ? Ou se contenter de financer une formation privée qui est faite pour ça ? Il en existe en entreprises... qui sont assurées par les grandes Ecoles, justement. Et c’est assez bon, pratique, méthodes, mises en situations.

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