Vous avez dit « irresponsables » ?
Responsable ? Irresponsable ?
Voilà la question qui semble tarauder aujourd’hui les citoyens
français. A priori, l’alternative est pourtant simple. On est soit
responsable soit irresponsable. Mais depuis que Nicolas Sarkozy s’est
prononcé sur l’affaire du centre hospitalier de Pau dans laquelle le procureur de la République a requis un non lieu. Pour le président de
la République, appuyé en ce sens par sa ministre de la Justice, le
système judiciaire et donc les juges eux-mêmes ne tiennent pas assez
compte des victimes. Et dans l’horrible affaire de Pau, peu importe que
le crime ait été commis par une personne dont l’état de santé relève
selon les experts médicaux d’une pathologie psychiatrique ne permettant
pas de statuer sur la responsabilité de l’individu. Le non-lieu est
donc requis, en dépit des circonstances horribles et non contestables,
en vertu de l’article 122-1 du Code pénal : "N’est
pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment
des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son
discernement ou le contrôle de ses actes. La personne qui était
atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique
ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes
demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette
circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime." Le texte est donc clair. On peut être considéré comme irresponsable de ses actes pour des
motifs liés à son état de santé psychique mais l’on reste "punissable", et c’est bien la juridiction qui "détermine la peine".
C’est cette question de la responsabilité que le Blog-Citoyen souhaite
mettre en lumière tant du côté de l’individu qui cause un préjudice que
du côté du juge qui doit rendre justice.
Vous êtes irresponsable, mais vous serez condamné
Aussi, lorsque donc le président de la République déclare à la presse
que les familles ont droit à un procès, il commet volontairement un
déplacement sémantique. Car le procès a bien eu lieu et il a conduit à
prononcer un non-lieu. Le déplacement sémantique consiste à parler de "procès" et à faire comprendre "condamnation"
notamment à ceux à qui on dit qu’ils ont droit de faire leur deuil.
Bien sûr, on m’objectera qu’il s’agit en fait de proposer que
l’irresponsabilité de l’auteur d’un crime fasse l’objet d’une procédure
à laquelle les victimes seraient associées. Mais de manière indéniable,
cette proposition pointe la fragilité des catégories qui président à
notre conception de la responsabilité. Il est vrai que du point de vue
des familles, le principe de l’irresponsabilité de la personne atteinte
de trouble psychique leur apparaît comme un affareux paradoxe de la
justice dans la mesure où plus le crime pourrait être "monstrueux",
moins la responsabilité de l’individu en cause pourrait être mise en
cause et conduire à une peine sévère seule décision capable pour les
familles touchées dans leurs chairs de les amener à faire leur deuil.
La proposition du président de la République se positionne sur nos
conceptions de ce qu’est "la responsabilité" et de ce qu’est "la
folie". En prenant, aussi ouvertement fait et cause pour dire qu’il
fallait aussi "juger les irresponsables", il anticipe tout un débat qui
s’avère nécessaire sur le fait de savoir comment organiser l’articulation entre la justice et le travail des experts dont on connaît les aléas ? Ce
débat semble presque résolu de la part de Nicolas Sarkozy. Sa réponse ?
La construction d’un hôpital fermé. Il sera probablement situé à
proximité de Lyon, au Vinatier ? S’il s’agit d’un "hôpital", c’est que
l’on se situe du côté des soins, et non du côté pénal. L’individu
serait donc doublement "sanctionné". Premièrement, il devrait purger sa
peine pénale et puis, comme son irresponsabilité relève d’une pathologie
psychiatrique, il sera d’office placé dans cet hôpital fermé. Dans
cette logique, on reconnaît qu’il existe bien une pathologie, mais
on ne donne pas priorité à son traitement. On peut donc se demander en
quoi cette idée va-t-elle améliorer le processus judiciaire, en quoi la
prise en charge d’individus malades sera-t-elle améliorée ? L’essentiel
pour Nicolas Sarkozy n’est pas finalement le résultat, mais le dire et
le paraître. En effet, il ne peut ignorer que depuis des mois une
réforme de la loi du 27
juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes
hospitalisées de raison de troubles mentaux et à leurs conditions
d’hospitalisation est en cours de préparation après avoir échappé de
justesse à une insertion dans le cadre des discussions relatives à la
loi sur la prévention de la délinquance. Mais nous voilà revenus au
point de départ de cet amalgame pernicieux. La prise en charge de la santé mentale s’inscrit donc dans une vision utilitariste poussée à l’extrême de
l’institution psychiatrique.
Vous êtes responsable, faites ce que l’on vous dit
On sait que Nicolas Sarkozy n’entretient pas des liens faciles avec la
justice. En tant que ministre de l’Intérieur, puis comme candidat à la
présidence, il n’a eu de cesse de véhiculer dans l’imaginaire de la
population que la justice et ceux qui la rendaient au nom du peuple
français ne faisaient pas leur travail, ou, en tout cas, ne prenaient pas
suffisamment en compte la douleur des victimes. Trop souvent, au
contraire, ils faisaient preuve de laxisme. En tant que président de
la République, Nicolas Sarkozy a désormais l’avantage de ne plus se
contenter de parler, il peut agir notamment sur la législation. c’est
ainsi que depuis la mi-août la loi antirécidive dite loi
"peines-planchers" est entrée en vigueur.Cette
loi établit qu’en cas de récidive, la peine-plancher est d’un an si la
sanction maximale de la peine est de trois ans de prison, de deux si la
sanction maximale est de cinq ans, de trois ans pour sept ans et de
quatre ans pour dix ans.Oui,
mais voilà, il n’en demeure pas moins que ce sont bien des femmes et des
hommes qui rendent la justice et non des machines. C’est ainsi qu’au
tribunal de grande instance de Nancy, un vice-procureur, Philippe
Nativel, a dans une affaire particulière, indiqué qu’il ne demandait
pas au tribunal de prononcer la peine-plancher, mais une peine
inférieure, et il a développé son argumentation. Mais voilà que dans un
journal local, L’Est Républicain, il a été écrit qu’il avait déclaré :
"Je ne requerrai pas cette peine-plancher de quatre ans, car les
magistrats ne sont pas les instruments du pouvoir. Ce n’est pas parce
qu’un texte sort qu’il doit être appliqué sans discernement".
Conséquence ? Voilà le magistrat convoqué à Paris, au ministère de la
Justice pour donner des explications suite à des propos qu’il n’a pas
tenus ! Car il est envisagé par la ministre de la Justice Rachida Dati
que ce magistrat ait commis une faute et serait donc responsable
d’avoir mal appliqué la loi ! Mais ce faisant c’est la liberté
d’appréciation du magistrat lui-même que l’on remet en cause et, dès lors,
pourquoi ne pas faire rendre la justice par une machine, un ordinateur
suffisamment paramétré (Source : Rue89).
L’approche pour l’affaire du centre hospitalier de Pau aura été plus
subtile car, quand bien même le caractère odieux du crime permettait de
traiter ce dossier dans toute sa dimension sentimentale pour mieux
faire adhérer les citoyens français à son idée, le président de la
République sait qu’il aborde néanmoins des franges du droit et des
conceptions fondamentales qui constituent quelque part le socle de
notre démocratie, de ces éléments qui nous distingue d’Etats où le fait
de s’exprimer à l’encontre de l’Etat peut amener à être hospitalisé en
psychiatrie (voir La Chine : Charte éthique ou
Nouvelle Censure - Une question de sens).
Nous
n’en sommes pas là bien évidemment. Mais les dérapages récents (affaire
d’Amiens) devraient attirer notre attention. La liberté est un droit,
mais son application est fragile. Il faut faire savoir à Nicolas
Sarkozy qu’il a certes été élu avec une majorité incontestable, ce
n’est pas pour autant que les Français veulent d’une société à
l’américaine !
Voir : Rachida Dati visite un hôpital fermé aux Pays-Bas
13 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON