Cocorinobel de médecine : un prix fort sympathique et significatif
Le virus du sida a été officiellement découvert en 1983, comme l’atteste le papier publié dans la revue Science par l’équipe du Pr Montagnier. Il aura fallu attendre vingt-cinq ans, la moitié d’un jubilé, pour que la France jubile et pousse un grand cocorico. Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier ont reçu le Nobel de médecine en compagnie de l’Allemand Harald zur Haussen, récompensé pour des travaux sur les papillomavirus.
Ouf, il a fallu attendre vingt-cinq ans pour que le scandale cesse. Certes, pas aussi dramatique que l’affaire Outreau, mais suffisamment fort de café pour qu’on soit outré d’un verdict qui se fit attendre, mais il fallait être patient, ne pas précipiter les choses comme Tapie. Ce prix Nobel récompense non seulement une découverte importante, mais sert aussi de verdict dans un procès scientifique mettant face à face deux laboratoires, celui du Pr Montagnier et celui du Pr Gallo qui publia peu après ses propres résultats ; essayant alors de s’accorder le bénéfice de l’antériorité de la découverte ou, du moins, de se mettre à égalité avec Montagnier. Le comité Nobel a délibéré. Les sages ont reconnu l’antériorité. Pour les sidéens et le grand public, cela ne change rien, mais, pour nos scientifiques qui bossent, ces détails comptent. Affaire classée.
A noter une curiosité. Habituellement, le prix Nobel récompense une recherche scientifique ayant produit une découverte dans un domaine très spécialisé. Un mécanisme de régulation génique par exemple. Et comme ces découvertes tardent à se faire reconnaître, ayant nécessité des années de mise au point et de laboratoire, il arrive que deux ou trois lauréats soient récompensés car ils ont contribué séparément à forger ces résultats innovants. Le Nobel 2008 est en fait un double Nobel, récompensant deux recherches bien distinctes n’ayant que de rares interférences. Et qui portent en plus sur deux pathologies différentes, le sida et le cancer. Avec comme dénominateur commun la présence d’un virus vecteur d’une pathologie transmise par voie sexuelle. Le Nobel, outre la consécration et la notoriété, accorde aux lauréats un beau pactole, un million d’euros. Ici, ce sera la moitié pour l’Allemand et la moitié pour les deux Français, répartition évidente, attestant des deux découvertes reconnues par les sages de Stockholm. (Un conseil tout de même aux académiciens. Eviter de récompenser trop de lauréats. Imaginer dix qui se partagent le prix, cela fait 100 000 euros par tête de pipe. A peine le montant de deux interviews de Linda Evangelista pour le magazine Vogue ! A noter également, si vous n’avez pas de dons scientifiques associés à une aptitude à diriger des laborantins, grattez plutôt un ticket du millionnaire, vous aurez plus de chances qu’avec le Nobel.)
Bon, je m’égare dans des considérations bien futiles eu égard à ces deux découvertes méritant le respect parce que les scientifiques ne sont pas si reconnus que cela, pas si bien payés et que ce n’est pas facile de faire des découvertes. Il faut de l’intelligence, du flair, du sens de l’observation, de la stratégie pour savoir publier au bon moment. Respect. On notera que la France attendait depuis vingt-huit ans le Nobel de médecine. On imagine François Barré-Sinoussi, enfilant de tailleur d’Annie Girardot, et remerciant l’académie pour ce prix qui montre que la biologie française n’est pas, je dis bien n’est pas… définitivement morte. Sans vouloir jouer les médisants, il faut bien reconnaître que la recherche en biologie possède bien des lacunes. Gestion complexe, bureaucraties, officines, ministère, organismes, une usine à gaz qui semble scléroser notre science du vivant. Vaste sujet qui, ici, ressort de manière symbolique car, à travers Montagnier, a été récompensé également l’Institut Pasteur, une vénérable institution qui a produit pendant des décennies l’une des meilleures recherches au monde parce que sa gestion et sa structure lui laissent une indépendance vis-à-vis de l’usine à gaz étatique. L’Institut Pasteur, c’est un peu comme le Collège de France, un établissement laissé relativement autonome pour ne pas éviter les pesanteurs des grosses machines de l’Etat que sont les universités et, dans une moindre mesure, le CNRS et l’Inserm.
Un mot quand même sur les deux champs de recherche ouverts par ces trois savants et leurs coéquipiers. Le virus HIV qu’on ne présente plus à fait l’objet d’une impressionnante recherche menée par une armada de laboratoires. Chaque année, des précisions sur le mécanisme d’action des particules virales ont été apportées. L’identification de ce virus a permis par ailleurs d’élaborer des traitements et bien évidemment la trithérapie qu’on ne présente plus. Harald zur Haussen est moins connu que Montagnier. Il a découvert que certains types de papillomavirus provoquent le cancer du col de l’utérus. Des recherches très poussées concrétisées par la mise sur le marché d’un vaccin, il y a deux ans. Voilà ce qu’on peut dire sur ces deux découvertes inscrites dans un paradigme biologique assez ancien, datant de Pasteur et Claude Bernard puis revisité dans les années 1960. De la bonne recherche, avec un savoir, des mécanismes à la clé et, pour le grand public, du concret, du pragmatique, de la prévention et des traitements. Mine de rien, cette rapidité de la découverte du virus HIV a permis la prévention précoce, avec l’usage des préservatifs. Des milliers de vies ont été sauvées. Merci à nos chercheurs de l’Institut Pasteur.
Il va de soi que le puriste savant espère voir dans l’avenir quelque prix pour des recherches plus exotiques où l’on verra se dessiner le prochain paradigme. Wait and see !
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