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eric biegala

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  • eric biegala 16 août 2008 14:34

    Plusieurs choses m’étonnent généralement quand on aborde le débat de la Turquie et de l’Europe... la première est la question de la frontière et de la géographie. La Turquie "n’est pas en Europe" assènent d’un même élan définitif ceux qui ont généralement d’autres raisons, moins avouables (j’y reviens tout de suite) de blackbouler la candidature turque. Le problème est de savoir où se trouvent les frontières de ladite Europe... et pour cause : elles n’ont jamais été définies ! Le Caucase ? certains le situent en Europe ! L’Europe : "de l’Atlantique à l’Oural " selon De gaulle ? Si l’on suit plein sud le méridien qui passe par les monts Oural en Russie, on tombe sur le plateau du Herat en Afghanistan, alors...

    Alors certes, il y a cette appellation d’"Asie mineure" qui remonte à l’empire romain, et qui classe d’emblée la Turquie contemporaine sur un autre continent. Le Bosphore est la limite occidentale de cette Asie mineure et Istanbul est bâtie à cheval sur ce bras de mer en forme de limite traditionnelle, qui ne fait que 650 m de large à son point le plus étroit. Reste que ce détroit n’a JAMAIS, absolument JAMAIS servi de frontière à aucun moment de l’histoire des peuples, royaumes et empires qui s’y sont succédés : Grecs, Perses, Romains, Byzantins, Latins d’Occident, Arabes, Turcs seldjoukides ou ottomans. Transformer cette limite conventionnelle en frontière politique ou de civilisation me parait donc pour le moins spécieux. Mais bon : c’est bien pratique et ça permet surtout de ne pas faire assaut de racisme anti-religieux. Et puis si le Bosphore limite l’Europe à l’Orient pourquoi la Manche, ne la limiterait-t-elle pas à l’Occident ? Reléguant les îles britanniques chez l’ennemi anglo-saxon, lui-même parfaitement traditionnel dans notre histoire ?

    Mais ce qui me choque le plus, au delà des tergiversations sur les coordonnées géographiques, c’est finalement cette soif de frontières. Et incidemment cette ignorance ou cet oubli volontaire de ce qu’est l’Europe. Ce n’est ni une nation dont le territoire politique aurait été patiemment modelé par des siècles de culture commune, ni un ensemble cohérent du point de vue de la langue de la religion ou de l’histoire... C’est une invention très récente, qui date précisément de 1948, qui entend mettre un terme aux carnages qui se s’étaient déroulés non-stop sur le continent et qui entend justement faire SAUTER les frontières. Vouloir en reconstruire, sorte de murailles protectrices contre une immigration intempestive ou je ne sais quel fantasme d’invasion barbare me parait pour le moins saugrenu. D’autant que l’efficacité de ces barrières au jour d’aujourd’hui est plus que douteuse. Ceux qui sirotaient leurs cafés au 88ème étage de la tour nord du World Trade Center au matin d’un certain 11 septembre 2001 pouvaient bien se sentir sécurisés par une frontière de la taille d’un océan et la plus puissante armée du monde... Les barbares sont tout de même entrés par la fenêtre !

    Deuxième chose qui me frappe dans la discussion "Turquie en Europe" c’est l’argument religieux. "les Turcs sont des musulmans, point final. Ils ne sont donc pas comme nous ! ". La force de cette logique me laisse sans voix. Sans entrer dans le débat proprement religieux (pour moi il n’a et ne doit rien avoir à faire avec l’Europe, compte tenu de ce qu’est effectivement l’Union, cf. supra), je voudrais donner deux éléments d’appréciation. Le premier qui a trait à l’islam turc.

    Il est complexe et multiple. Je ne ferais qu’une brève description d’un de ses aspects les plus malheureusement méconnus : l’islam alévi. Les Alévis sont une spécificité turque, on en les rencontre nulle part ailleurs dans le monde. Extrêmement tolérants, notamment concernant les sexes : hommes et femmes sont placés sur un pied d’égalité, y compris dans les rituels ; les Alévis ne pratiquent aucune des cinq obligations de l’islam sunnite traditionnel et boivent volontiers de l’alcool. Celui-ci est même rituellement consommé dans certaines cérémonies qui évoquent évidemment l’eucharistie chrétienne, sauf qu’on y boit de l’anisette au lieu du vin de messe. Personnellement je préfère un bon vieux Vodka-Martini avec son olive, mais je m’égare...
    Ce syncrétisme vient de l’histoire : les rituels ont été codifiés aux alentours du XIIème siècle par un ancien moine monténégrin... et les Alévis ont pris la place des Pauliciens d’Anatolie et des Balkans, chrétiens rejetés tant par l’Orthodoxie que par la Rome catholique.

    Et c’est le second point où je voulais en venir... à se promener dans les Balkans et en Turquie contemporaine, on ne peut être que frappé par la proximité culturelle. S’il y a une rupture elle n’est pas entre Islam et Chrétienté mais bien entre Orient et Occident... seulement dans cet "Orient" figurent clairement, et avec la Turquie, les pays d’ex-Yougoslavie (sauf la Croatie et la Slovénie), la Bulgarie, la Roumanie et surtout... la Grèce. Autant de pays qui sont membres de l’UE ou ont vocation à l’intégrer, sans que cela ait jamais posé le moindre problème et alors même qu’ils n’ont rien à voir avec l’"Occident chrétien". Ils ont en revanche tout à voir avec l’ère civilisationnelle ottomane. Il n’y a d’ailleurs pas à s’en étonner : ils ont eux-mêmes constitué cet espace pendant près d’un millénaire. La rupture géographique se trouve sur les anciennes marches des empires ottoman et austro-hongrois (c’est-à-dire sur la Save et la Neretva, en Bosnie-Bosnie-Herzégovine) C’est assez frappant quand on arpente ces endroits. Et si l’on veut classifier à la hache les ères d’influence du religieux, je dirais que le dialogue, parfois nerveux il est vrai, s’est organisé de part et d’autres de cette frontière qui remonte en fait à la séparation entre empire romain d’Orient et empire romain d’Occident en 393 ap. J.C.

    Il y a deux Europes : D’un côté Catholiques et Protestants se sont copieusement "entretenus" ; de l’autre Orthodoxie et Islam ont également dialogué à leur manière pendant des siècles, c’est-à-dire en se filant souvent des baffes, mais pas toujours...

    Evidemment, vu de France, tout ceci est bien loin et bien compliqué. N’empêche : ces référents culturels sont très présents en Europe orientale, et si l’on veut bien penser en termes européens, il convient de s’en soucier. La meilleure preuve de cette proximité culturelle des pays orientaux avec la Turquie est la réponse apportée à l’argument-massue "Turcs = musulmans donc pas européens". Le premier à l’entonner ouvertement fut le leader des chrétiens-démocrates allemands, Wolfgang Schäuble en 1996 : "il faudrait avoir le courage de dire aux Turcs qu’ils ne seront jamais un membre de l’UE, la raison en est leur appartenance à une autre religion", disait-il. La réponse a été apportée par Théodoros Pangalos, ministre des affaires étrangères grec et ennemi intime de la Turquie : "Si la Turquie n’est pas européenne à cause d’une question de religion, alors la Grèce non plus ! " avait-il asséné. Pour un Grec en effet l’argument porté par un chrétien-démocrate occidental, c’est-à-dire un catholique ou un protestant, n’avait aucune valeur. Il est d’ailleurs un vieux slogan datant du moyen âge et qui a encore son incidence en Grèce contemporaine : "mieux vaut le turban du turc que la mitre romaine".

     

    A partir du moment ou on a commencé à intégrer l’Europe orientale dans l’Union, il faut clairement aller jusqu’au bout et intégrer la Turquie. Si l’on s’est trompé, comme Giscard en 1974, et que l’on a intégré la Grèce parce qu’on avait aucune idée de la distance qui la séparait de « l’Occident Chrétien », il faut avoir le courage de dire aux Orientaux : « dehors » !

     

    Il y a peut-être une autre solution : envisager la construction européenne en termes de valeurs partagées, plutôt qu’en termes de civilisation. Ce serait un vrai projet politiqe.

    J’arrête là c’est déjà bien long.

    EB
     

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