L’Amazonie et le maïs (2)
Au kilomètre 38, Marlène Nascimento de Lima pleure ses terres perdues. « J’ai du mal à repasser devant chez nous. Il n’y a plus que des champs. Quarante familles vivaient là... » Elle avait commencé par refuser de vendre. Mais les sojeiros ont acheté les terrains limitrophes au sien. La vermine, chassée par les pesticides, a envahi son champ. Ses voisins sont partis, elle a fini par céder...
La violence a eu sa part dans ces conquêtes. A Pacoval, en 2004, à deux heures de piste de Santarem, vingt-cinq maisons ont brûlé. A Corte Corda, deux syndicalistes ont été tués. A Belterra, ancienne capitale du caoutchouc, on a « forcé » beaucoup de gens à partir... A Santarem, Ivete Bastos, présidente du syndicat des travailleurs de la terre, a un jour trouvé des femmes avec de l’essence devant chez elle, prêtes à mettre le feu à la maison... Un ancien légionnaire espagnol, propriétaire d’une salle de musculation à Santarem, se vante d’exécuter des missions de nettoyage pour les « fazendeiros ». Dans la périphérie se multiplient les bidonvilles de bois construits sur des terrains abandonnés.
Régulièrement, la police brésilienne fait une descente dans les grandes propriétés et en délivre des esclaves. On les a fait venir en leur promettant des salaires élevés. A leur arrivée dans la forêt, ils découvrent que leur paye a fondu. Des gardes leur interdisent de repartir. Les biens de première consommation leur sont fournis par le propriétaire. Ils s’endettent, et ne pourront jamais rembourser. « Ils étaient dans un état redoutable quand nous sommes arrivés », raconte un policier intervenu sur la ferme Vale do Rio Verde en 2005. Il n’y avait pas de sanitaires. Les ouvriers travaillaient pieds nus. Huit mille sept cents de ces esclaves ont été repérés dans les Etats producteurs de soja. En 2004, l’armée est intervenue dans 236 fermes utilisant 6 075 travailleurs, dont 127 enfants. Bunge, Cargill et Amaggi étaient en affaires avec elles.
Pour mieux aider à l’expansion du soja, des entreprises comme la Cooper Amazon proposent des pesticides et des semences génétiquement modifiées. « La chaîne est en place : d’un côté, Monsanto, de l’autre, Cargill », accuse Edilberto Sena. Les pesticides ont déjà provoqué des ravages écologiques, le vent portant ceux que déversent les avions jusque dans les rivières. En 2005, une sécheresse terrible a frappé la région. Les poissons mouraient dans des flaques trop petites. Aujourd’hui, 20 % de la forêt brésilienne est morte. Même si un moratoire mis en place en 2006 a donné des résultats positifs (41 % de baisse de la déforestation en 2006-2007), 40 % de l’Amazonie pourraient avoir disparu d’ici vingt ans.
Le pire, ce pire qu’espèrent Marcello et Patricia, est peut-être encore à venir : l’explosion des biocarburants. Vingt millions d’automobilistes brésiliens utilisent déjà l’éthanol. Les voitures « flex-fuel », qui laissent le choix entre éthanol et essence, ont représenté près de 80 % des ventes de voitures en 2005. Six cents stations- service commercialisent déjà un « biodiesel », dans lequel on retrouve du soja. Où vont s’installer les plantations ? « Le Brésil sera l’Arabie saoudite du XXIe siècle », prophétisent certains. Jusqu’au désert ?
Le temps que vous lisiez cet article, une superficie correspondant à 75 terrains de football a été déforestée.