• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de Nemo

sur De la politique en Russie


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Nemo 27 mars 2008 12:43

@ l’auteur,

Connaissant personnellement la Russie, je suis heureux de voir enfin un article qui contrebalance quelque peu l’acception commune, répandue en Europe Occidentale, Poutine = Méchant KGB, les opposants = gentils démocrates.

J’aimerai à ce sujet insister sur un point que vous évoquez sans trop le développer, à savoir le fait que les russes sont à la recherche de stabilité et d’ordre suite aux désordres des années 1990.

Je tiens à rappeler à tous les nombreux lecteurs d’Agoravox, qui ne manqueront pas de s’acharner sur vous, suppôt d’un infâme dictateur exterminateur d’innocents tchétchènes, que durant les années 1990, la Russie était un véritable far-east, en proie à de multiples potentats locaux mafieux, qui ont mis le pays en coupe réglée, avec un pouvoir central quasi inexistant.

Pendant ce temps, les grandes firmes occidentales s’en mettaient plein les poches, en encaissant les dollars sonnant et trébuchants de contrats d’exploitation de matières premières à des prix iniques, obtenus grâce à la corruption de quelques uns et à la collaboration ouverte avec la mafia russe. Et j’insiste sur ce point, les mêmes qui crient au loup en se lamentant de la manière dont Poutine les met au pas dans la renégociation de ces contrats, étaient ceux qui sans aucune vergogne collaboraient avec la mafia locale, l’alimentant à coups de valises de dollars.

Transformer la Russie en une sorte de deuxième continent africain, avec des missiles nucléaires en plus ne sembler déranger personne. Sauf que les russes ne l’entendaient pas tout à fait de cette oreille.

Alors lorsque Poutine est arrivé, avec un physique aussi engageant qu’une geôle de Lubianka, maniant l’Etat avec une main de fer dans un gant d’acier, je peux vous dire qu’ils étaient contents. Croyez-vous, vous les bien-pensants, que les russes se trouvaient heureux d’avoir pour chef d’Etat un alcoolique notoire, à qui l’on pouvait faire signer ce que l’on voulait du moment qu’on lui donnait une bouteille de vodka un peu avant ?

Alors voilà, comme d’une part, c’est dans sa nature, et d’autre part, les mafieux ne comprennent que ce langage, Poutine a fait "dans la dentelle". Il a mis tout le monde au pas, et pour que tout le monde comprenne bien le message, il en a chopé un, qui avait le malheur de vouloir vendre des puits de pétroles russes à des américains, qui en plus était à l’époque l’homme le plus riche de Russie, et il l’a mis en taule, brisé en deux, lui et son Empire pétrolier.

Et là, le message est bien passé. La force appartient à l’Etat russe, et à personne d’autre. Tous les petits dictateurs locaux ont été mis au pas, et la seule force qui vaille, c’est celle du pouvoir central. Et à tous ceux qui disent "c’est du pareil au même, on change un pouvoir inique par un autre pouvoir inique", n’oubliez pas que plus le pouvoir est petit, plus ceux qui le détiennent en abusent.

En renégociant avec plus ou moins de finesse les contrats avec les compagnies étrangères, Poutine a ramené en Russie des capitaux qui partaient à l’étranger dans les poches des actionnaires des hedgesfunds, ceux que nombreux ici détestent - les mêmes qui détestent Poutine, souvent. De ce point de vue là, il a, avec d’autres méthodes, fait la même chose que nous français lorsque Danone était dans le viseur d’un acheteur étranger. Quand nous, en France, on se gargarise de patriotisme économique, Poutine acquiesce. Il fait pareil.

Les américains ne sont pas en reste. Lorsque la Chine veut racheter une de leurs compagnies pétrolières, ils vont voter à la va-vite, pendant la nuit, une loi au Congrès pour empêcher ce rachat. On a souvent tendance à dénoncer les autres, mais il faut savoir balayer devant sa porte.

Sur la question des élections elles-mêmes, franchement, je n’en sait trop rien. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a forcément eu d’une manière ou d’une autre des bulletins de vote dans les chaussettes, comme à Perpignan. Mais là n’est pas l’important.

L’important, c’est que Poutine a laissé la place à Medvedev, pour faire semblant de respecter la Constitution. Et c’est ce qu’on appelle un préalable. Cela veut dire que ceux qui suivront, plus tard, ne pourront pas se permettre de faire différemment.

Aux Etats-Unis, rien dans la Constitution n’interdit de faire plus de deux mandats consécutifs (cf Roosevelt). C’est la pratique qui l’a imposé. Poutine inaugure une pratique, jusque là inconnue en Russie, celle de ne pas modifier la Constitution pour rester à la tête de l’Etat. Alors dans les faits, aujourd’hui, cela ne change pas grand chose, mais je vous donne rendez-vous dans 20 ans, vous les bons donneurs de leçon, et vous verrez que ce qu’il a fait est très important.

Un pays de la taille de la Russie, cela ne se stabilise pas en un claquement de doigt. Ce pays n’a jamais connu la démocratie, les changements de pouvoirs se sont toujours déroulé dans le sang. Et pour couronner le tout, il a du en quelques années gérer une inversion totale du système de valeurs tout en passant d’un rôle de superpuissance à celui d’une proie pour des investisseurs occidentaux assoiffés de sang tendance Ponce Pilate.

Alors si on regarde les autres scénarios possibles, eh bien l’on se dit que ce Poutine, aussi détestable que soit sa personne, est une bénédiction pour la Russie et pour la stabilité dans le monde. Contrairement à un G W Bush qui va foutre la merde un peu partout sur la surface terrestre.


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès