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Commentaire de Pierre R. Chantelois

sur La Commission canadienne des droits de la personne absout l'imam Al-Hayiti accusé de propos injurieux


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Pierre R. Chantelois Pierre R. Chantelois 19 décembre 2008 15:51

Léon

Question difficile qui ne passe que par une argumentation juridique. Hélas ! Les membres de cette Commission sont nommés par le gouvernement. Il me semble que, dans le cas qui nous préoccupe, ils ont eu le réflexe, pour éviter un débat politique, de se réfugier derrière une interprétation tatillonne de l’article 13. La réaction de la présidente en est une démonstration flagrante. Face au tollé déclenché par la décision de la CCDP, elle n’a eu d’autre choix que de demander une interprétation élargie sur les effets de cet article. La présidente sait également qu’au Québec, une Commission présidée par Bouchard et Taylor avait bouleversé complètement la population lorsqu’elle fut mise devant le fait qu’elle pouvait être, en majorité, raciste en raison de ses réactions face à des accomodements dits raisonnables en faveur d’autres minorités religieuses. Et cela ne touchait pas seulement l’Islam mais également la communauté juive qui vivait en vase clos. Ce que les Québécois n’osaient dire à haute voix était maintenant l’objet d’un débat public.

Autant dans le reste du Canada qu’au Québec, il existe une frilosité face aux groupes minoritaires. Tout se passe comme s’il en dépendait de la réputation d’hospitalité du Canada ou du Québec. Il existe un profond malaise, que la population québécoise découvre progressivement, lorsqu’il est question des privilèges accordés aux groupes minoritaires religieux. Chaque groupe voudrait avoir son système d’éducation propre, recevoir un financement de l’État pour son réseau scolaire propre, se distinguer des réseaux publics d’enseignement.

Au Québec, l’enseignement scolaire dépendant de deux grands groupes religieux : catholiques et protestants. Les enfants juifs n’étaient pas admis dans les écoles publiques. Les parents se sont regroupés et ont fondé leur réseau scolaire. J’en veux pour démonstration le fait que le calendrier des jours fériés de l’école publique ne correspondait et ne correspond toujours pas à celui des fêtes religieuses juives qui est particulièrement contraignant. Une des conséquences de ce rejet : le réseau scolaire juif s’est rapproché des écoles protestantes anglophones et s’est éloigné des écoles catholiques francophones. L’ex-premier ministre René Lévesque avait tenté un rapprochement entre la communauté catholique et juive pour que cette dernière joigne les rangs de la Commission des écoles catholiques. Ce fut un échec. Aujourd’hui, une très grande partie de la communauté juive de Montréal est anglophone.

Les écoles religieuses, cependant, doivent respecter un certain nombre d’obligations : application des programmes, contrôles pédagogiques et financiers notamment.

Selon Statistiques Canada, plus de 108 600 musulmans vivent au Québec, soit plus du double du nombre observé il y a dix ans. Depuis quelques années, la communauté musulmane a également revendiqué ce droit à un réseau d’écoles. Leurs griefs étaient simples et limpides. Les problèmes de l’école publique sont en effet multiples, et ne peuvent que faire peur à des parents soucieux de donner une éducation saine à leurs enfants. Or, plusieurs études et enquêtes menées récemment sur la réalité des écoles publiques du Québec ont révélé que celles-ci souffrent de plusieurs maux, dont la violence entre jeunes enfants, la consommation d’alcool et de drogue enregistrant des taux de plus en plus alarmants, le décrochage scolaire, l’indiscipline, une sexualité plutôt libertaire. Les musulmans québécois se disent victimes de préjugés. Les accomodements raisonnables exigés par cette communauté ont profondément bousculé la population du Québec. Le gouvernement a dû mettre en place une commission d’enquête sur l’étendue de cette discrimination à l’égard des groupes minoritaires de confessionnalité autre que catholique ou protestante. Le Canada a adopté une charte canadienne des droits et les provinces ont également leur charte des droits. Les groupes religieux ont trouvé dans ces chartes un terreau fertile pour leurs revendications en propre.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur le racisme constatait que « dans le contexte actuel, l’islamophobie représente la forme la plus courante de discrimination religieuse ».

Les Commissions sont débordées. D’une part, les groupes minoritaires se plaignent de discrimination. D’autre part, la majorité catholique ou protestante se plaint des enseignements avec lesquels elle est peu familière et dont elle découvre un certain extrémisme. Deux exemples qui ont horrifié la population québécoise : la communauté juive a exigé d’un établissement de conditionnement physique qu’elle installe des fenêtres opaques afin d’éviter que les élèves d’une école ne voient les dames en tenue de jogging. Et de l’autre côté, des médecins ont été menacés en demandant aux époux de quitter leur cabinet lorsqu’ils recevaient les épouses pour des examens médicaux. La communauté musulmane a également demandé que des heures soient allouées, dans certaines piscines intérieures, aux femmes musulmanes et que les hommes soient exclus de ces plages horaire. Dans les établissements d’enseignement, la communauté musulmane a, exceptionnellement, demandé des locaux pour la prière alors qu’il existe une rareté de locaux pour l’enseignement en lui-même.

Il est évident que les Commissions qui doivent arbitrer de plus en plus ces litiges sont débordés. La peur de commettre des erreurs fait qu’elles s’abstiennent parfois de toute logique dans leur décision. Voilà pourquoi le professeur Moon voudrait retrancher de la CCDP le droit de censure que lui octroie l’article 13. Il considère qu’en cas de propagande haineuse, les plaintes relèvent de la juridiction criminelle et non des Commissions chargées de l’application des droits de la personne.

Il me faudrait également aborder toute la question des minorités visibles, de violence policière à leur égard, surtout la communauté noire, le profilage et autres manifestations dites discriminatoires. Il me faudrait également aborder la question linguistique. Les groupes minoritaires veulent avoir le plein droit à un enseignement en anglais et conteste les restrictions qui leur sont faites d’envoyer leurs enfants à l’école francophone.

Le Québec, longtemps tissé serré, découvre qu’il est pluriel et qu’il doit désormais conjuguer au pluriel l’application des droits de la personne. Et la population québécoise francophone réalise, lentement mais progressivement, que « les nouveaux arrivants n’ont pas que des droits mais aussi des obligations » et qu’elle-même en tant que « société d’accueil elle doit s’ouvrir à la différence ».

J’espère avoir montré un peu pourquoi il existe cette frilosité au sein des organismes de surveillance de l’application des droits de la personne. Tout n’est que politique. Et politique se conjugue bien mal avec logique.

Pierre R.


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