"...Le conflit israélo-palestinien est un cas facile. Il y a
un consensus international quasi-total depuis 35 ans maintenant sur ce
qu’il convient de faire pour résoudre le problème – du moins à court
terme - à savoir : deux états avec des frontières reconnues par toutes
les parties, avec, selon les termes employés, « des modifications
mineures et acceptées par les deux parties ». C’était d’ailleurs la
politique officielle des Etats-Unis jusqu’à ce qu’ils décident un jour
de s’évader du monde réel, au début des années 70. Et c’est un point de
vue très largement partagé. En 1976, il y a même eu une résolution du
Conseil de Sécurité appelant à une solution à deux états. Les Etats-Unis
ont opposé leur veto. Et ça n’a pas cessé depuis. Je ne vais pas passer
toute l’histoire en revue, mais si on en arrive directement au présent,
le consensus est désormais quasi-total. Autour de ce consensus, on
trouve tous les états arabes, et ce depuis longtemps. On trouve l’Iran,
l’Organisation des Etats Islamiques. On trouve le Hamas. En fait, on
trouve tout le monde sauf les Etats-Unis et Israël.
Que dit l’administration Obama ? C’est intéressant.
Obama a cette grande vision, mais si vous regardez les choses de plus
prés, en oubliant la vision et en examinant les faits, les choses
changent. D’un côté, il demande poliment aux Israéliens de ne plus
étendre leurs colonies, ce qui n’a pas de sens, parce que le problème,
c’est l’existence même des colonies, pas leur extension. De plus, ces
mots n’ont aucun sens. Il ne fait que répéter les propos de Bush. En
fait, il cite ce que l’on appelle la Feuille de Route, le soi-disant
accord officiel pour aller de l’avant. Il ne fait que le citer. Ca n’a
aucun sens, mais ça fait malgré tout partie de sa grande vision.
D’un autre côté, et qui est plus intéressant, peu de
temps après sa prise de fonction, il a donné son premier et jusqu’à
présent son unique discours sur le conflit israélo-palestinien. C’était
au moment où il présentait George Mitchell comme son négociateur, ce qui
est un bon choix, si on lui donne les moyens de réussir. C’est à ce
moment-là qu’Obama a expliqué ce qu’il avait l’intention de faire.
C’était au moment de la main tendue vers le monde musulman. Il a dit, en
parlant de la proposition de paix arabe, eh bien voilà ce que j’appelle
une proposition constructive – c’était sa façon à lui de flatter les
auteurs de la proposition. Puis il a enchainé, en déclarant, « Il est
temps que les Arabes se conforment à leur proposition de paix et
commencent à normaliser leurs relations avec Israël. » Obama est un
homme instruit, intelligent. Je suppose qu’il choisit ses mots avec
soin. Il savait parfaitement que ce n’était pas la proposition de paix
arabe. La proposition de paix arabe reprenait les termes du consensus
international et disait, dans l’éventualité de deux-états, que les états
Arabes iraient même au-delà d’une normalisation des relations avec
Israël. Obama en a extrait le corollaire, mais a omis la substance, ce
qui est une façon comme une autre de déclarer que les Etats-Unis
allaient se cantonner dans leur position de refus. Il n’aurait pas pu
être plus clair.
Avec cet appel à cesser l’expansion des colonies, il a
été un peu plus loin – pas lui, personnellement, mais ses porte-paroles
lors des conférences de presse. On leur a demandé si l’administration
allait faire quelque chose si Israël refusait. Ils ont répondu « non,
c’est purement symbolique ». En fait, ils ont explicitement dit que
l’administration ne ferait pas ce que George Bush père, lui, avait fait.
George Bush père avait quelques petites punitions qu’il distribuait
lorsqu’Israël s’entêtait à désobéir aux Etats-Unis. Clinton les a
adoucies et Obama les a supprimées. Il a dit, « non, c’est juste
symbolique. » Ce qui revient à dire à Benjamin Netanyahu « allez-y,
faites ce que vous voulez. Nous dirons que nous sommes mécontents mais
nous le ferons avec un clin d’œil complice, alors allez-y. En attendant,
nous participerons, en vous envoyant des armes. Nous vous accorderons
un soutien diplomatique et une participation active. » C’est cela, sa
vision. Difficile d’être plus clair.
Que pouvons-nous faire ? Nous pouvons essayer de faire
en sorte que les Etats-Unis rejoignent le monde réel. Dans ce cas
précis, ce serait rejoindre le reste du monde. Rejoignez le monde réel
et acceptez le consensus international et cessez de participer
activement à son viol, c’est-à-dire aux actions de l’état d’Israël.
J’aurais pu dire aux actions de l’état d’Israël et
des Etats-Unis. Ce qu’Israël et les Etats-Unis sont en train de faire à
Gaza et en Cisjordanie, c’est de détruire l’espoir d’une réalisation de
ce consensus international...."
(Chomsky)