L’islamophobie ne sert pas seulement à
renforcer les politiques nauséabondes de l’extrême droite, ici et là.
Elle se nourrit de thèmes et de problèmes qui n’existent pas, pour
cacher une réalité autrement inquiétante.
Lire à ce titre l’excellent article de Serge
Halimi :
Les Français sont vraisemblablement plus nombreux à
connaître le nombre de minarets en Suisse (quatre) et de « burqas » en
France (trois cent soixante-sept (1)) qu’à
savoir que le Trésor public a perdu 20 milliards d’euros à la suite
d’une décision « technique » de l’exécutif.
Il y a dix-huit mois en effet, au lieu de subordonner
son sauvetage des banques en perdition à une prise de participation dans
leur capital, laquelle ensuite aurait pu être revendue avec un joli
bénéfice, le gouvernement français a préféré leur consentir un prêt à
des conditions inespérées… pour elles. Vingt milliards d’euros de gagnés
pour leurs actionnaires, c’est presque autant que le déficit de la
Sécurité sociale l’an dernier (22 milliards d’euros). Et quarante fois
le montant de l’économie annuelle réalisée par l’Etat lorsqu’il ne
remplace qu’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux.
Le rétablissement électoral du Front national, et plus
généralement de l’extrême droite en Europe, n’est pas tout à fait
étranger à cette distribution de l’attention publique entre la poutre
des polémiques subalternes qu’on enflamme et la paille des sujets
prioritaires dont on prétend qu’ils sont trop compliqués pour le commun
des mortels. Le fiasco des élections régionales derrière lui, M. Nicolas
Sarkozy va s’attaquer à la « réforme des retraites ». L’enjeu social et
financier étant considérable, on sait déjà que le gouvernement français
s’emploiera à distraire la galerie en relançant le « débat sur la
burqa ».
Riposter
à cette manœuvre n’impose certainement pas de s’enfoncer sur son
terrain boueux en donnant le sentiment de défendre un symbole
obscurantiste. Encore moins de taxer de racisme les féministes — hommes
et femmes — qui légitimement le réprouvent. Mais comment ne pas juger
cocasse qu’une droite qui a presque partout associé son destin à celui
des Eglises, du patriarcat et de l’ordre moral se découvre soudain
éperdue de laïcité, de féminisme, de libre-pensée ? Pour elle aussi,
l’islam accomplit des miracles !
En
1988, M. George H. W. Bush succéda à Ronald Reagan après une campagne
d’une démagogie insigne, au cours de laquelle il réclama que soit
criminalisé le fait de brûler la bannière étoilée — un acte commis entre
une et sept fois par an… Avec le courage qu’on imagine, plus de 90 %
des parlementaires américains adoptèrent une disposition répressive
allant en ce sens — laquelle fut annulée par la Cour suprême. Au même
moment éclatait l’un des plus grands scandales de l’histoire économique
des Etats-Unis, celui des caisses d’épargne déréglementées par le
Congrès, que des aigrefins avaient pillées, enhardis par des sénateurs
dont ils avaient financé les campagnes. En 1988, nul ou presque n’avait
évoqué le péril d’une telle arnaque, bien qu’il fût déjà connu. Trop
compliqué, et puis la défense du drapeau occupait les esprits.
Le contribuable américain a payé 500 milliards de
dollars le scandale des caisses d’épargne. On découvrira bientôt ce que
cache réellement la « burqa ». Et combien cela coûte.
Serge
Halimi
(1)
D’après un calcul, étrangement précis, de la direction centrale du
renseignement intérieur (DCRI).
Source : Le Monde diplomatique
http://www.monde-diplomatique.fr/2010/04/HALIMI/18990