Je pense que Erdogan
a caressé à un moment donné le rêve de rendre à la Turquie sa
splendeur ottomane : tant que le peuple a pu bénéficier des
fruits de la croissance, il a été fort apprécié dans son pays
pour avoir réussi à le transformer en quelques années : 7e
économie d’Europe et 17e mondiale.
Mais plutôt que de
s’occuper à gérer en bon père de famille les instruments de la
croissance économique, Erdogan – comme tant d’autres avant lui - a
été saisi du vertige de la toute puissance et il s’est senti investi
d’une mission pseudo-religieuse : reconstituer la zone
d’influence de l’empire ottoman.
Une utopie assez saugrenue pour qui
connaît le haut niveau de scepticisme religieux qui règne dans les
grandes villes turques, poumons des activités économiques et bénéficiaires
de l’industrialisation.
En reconnaissance du
bond en avant que sa gestion passée a permis à la société turque
Erdogan a encore réussi à gagner de toute justesse les dernières
élections.
Et ce, malgré ses lubies islamisantes dont la
société turque sécularisée est au fond assez peu imprégnée et
où il conviendrait de voir davantage d’opportunisme que de réelle
conviction tant il pensait et pense encore – malgré le sort
contraire - se faire ainsi écouter ( et accessoirement respecter) de
tous ces pays sur lesquels il avait porté ses ambitions impérialistes.
Ces pays,
Egypte, Syrie, Tunisie Libye sont traversés de courants centrifuges
très divers ; les plus voyants sont sans conteste ceux qui sont
gangrenés par le fondamentalisme islamique sous des obédiences au
demeurant rivales mais dont le but avéré est de rendre acceptables
au nom de la foi des sociétés de pénurie, ce qui répond par
avance aux échecs économiques qui ne manquerait pas d’accompagner
un avènement au pouvoir de ces illuminés.
Plus éduqué,
nourri au lait de la laïcité, le peuple turc acceptera difficilement
de voir ruinés ses espoirs de développement économique et d’enrichissement matériel que
l’implication irréfléchie d’Erdogan et de ses conseillers dans des
conflits qu’il a suscité en sous-main avec ses complices européens
et américains risque de produire s’il venait à perdre encore un peu plus le
contrôle de la situation.
La population turque est réticente à
troquer les chemins de la prospérité pour s’engager sur le sentier
de la guerre et il n’est pas du tout assuré non plus que l’armée ( où
l’esprit kémaliste est encore vigoureux ) s’engage avec enthousiasme
dans des aventures qui risquent de tourner à sa confusion.
Erdogan et sa clique
ne sont en fait que des colosses aux pieds d’argile recouverts d’une
mince couche d’airain : leurs seuls véritables alliés sont les
couches nationalistes non kémalistes de la société, ce qui ne fait
pas non plus un nombre insensé de divisions.
Depuis la fin des
négociations avec Òçalan pour trouver en faisant taire les irrédentismes une solution au problème kurde , la colère monte et l’insécurité
grandissante dans les grandes villes turques sonne comme autant de
défaites ...