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Accueil du site > Culture & Loisirs > Se jeter à l’eau

Se jeter à l’eau

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Une passion à ne pas croire.

 

 

Il advint qu'en ce pays de cocagne, il y eut parmi les gens de cette contrée, un plus fou encore que tous les autres pour consacrer son existence à l'amour qu'il vouait à sa rivière. Il avait beau savoir que l'adjectif possessif qu'il accolait à celle qu'il chérissait tant était parfaitement usurpé puisque la belle dame n'appartenait à personne en dépit de tous ceux qui se prétendaient ses serviteurs zélés. Elle était vive et indépendante, libre et indomptable, changeante et majestueuse.

Il eut pu rejoindre la vaste troupe de ses admirateurs mais comme nombre d'entre eux, il se faisait un malin plaisir à se prétendre le plus zélé de tous, son plus fidèle adorateur, le plus inspiré de ses chantres. Tout comme tous les autres, il n'entendait pas partager une passion qui était pourtant commune à tous les riverains de la belle rebelle. Les humains sont ainsi, ils pêchent par excès et manque d'humilité même quand il s'agit de partager un noble sentiment.

Quand Narcisse se rendit compte qu'il n'était pas le seul à se prétendre amant de sa Dame Liger, il en éprouva tout d'abord une jalousie profonde, un sentiment de trahison. Comment se pouvait-il que d'autres soient à ce point épris de celle qui occupait toutes ses pensées ? Il se devait de démontrer à tous qu’il était le plus capable de lui exprimer son sentiment, qu'aucun autre ne parviendrait jamais à lui déclarer sa folle passion.

C'est ainsi que pour se démarquer de cette immense cohorte de ligériens vouant un amour inconsidéré à la Loire, il se mit en tête de lui écrire les plus belles déclarations qui soient. Il lui dédia des poèmes et des chansons, des odes et des sonnets, des récits et des déclarations. Il exprima ainsi cette fièvre qui brûlait en lui pour celle qu'il couvait d'un regard énamouré.

Hélas, il se rendit vite compte qu'il n'était pas le premier à lui glisser des mots doux et tendres, à la couvrir de textes qu'ils fussent en prose ou bien en vers. Il découvrit que beaucoup la chantaient, lui glissaient de douces mélodies au coin de ses méandres et de son histoire. Il ne pouvait se satisfaire de n'être pas le premier de ses soupirants. Il lui fallait changer d'expression pour lui rendre gloire et hommage.

Il abandonna la plume pour l'œilleton. Il pensa que son regard était si tendre qu'il saurait émouvoir autour de lui, donner à partager sa passion à nulle autre pareille. Il s'équipa d'objectifs et de boîtiers dignes de la majestueuse dame. Celle-ci, complaisamment, posait pour lui, alanguie le long de ses bans, lui octroyait somptueux ballet en y conviant une faune entièrement à son service.

Il la prit sous tous les angles, de toutes les manières, par tous les temps, avec cet immense peuple de Loire qui lui fait le plus beau des cortèges. Il découvrit bien vite que cette fois encore, il n'était pas le seul à la scruter de la sorte, à lui tirer le portrait à chaque instant. D'autres amoureux lui portaient tous un regard particulier, attentif et original. Chacun exprimant à sa manière une passion unique.

Narcisse ne voulut plus être du nombre. Il posa ses appareils pour ne plus être tributaire de la technique pour magnifier sa tendre et douce Loire. Il allait lui donner ses propres couleurs, un décor qu'il allait composer exprès pour elle. Il envisageait même de la restituer dans sa splendeur passée, lui redonner vie et mouvement en ressuscitant la glorieuse histoire de la marine de Loire.

Il prit le pinceau pour lui redonner son âme et son cher passé. Il se fit peintre, magnifiant paysages et scènes d'une vie marinière. Il fit tant et si bien qu'il eut rapidement le sentiment de la faire renaître, d'effacer les reliefs d'une époque qui l'avait martyrisée. Il était aux anges, parvenant à la donner à voir comme lui la pensait en son for intérieur.

Plus ses tableaux émouvaient les ligériens, plus il sentait monter en lui une frustration. Il avait beau faire, il avait toujours le sentiment d'une absence, d'un manquement à son bonheur. Il désirait plus encore, non seulement la montrer telle qu'il l'imaginait dans le secret de son cœur, mais plus encore, la mettre en scène véritablement au point de s'y trouver lui-même intimement mêlé.

C'est dans son dernier tableau qu'il trouva cette perfection après laquelle il courait désespérément depuis le début de sa quête. Il se jeta à l'eau, fit corps avec la belle, se représenta en son cours, abandonné dans son lit, en pâmoison avec son amoureuse. Il se glissa dans cette œuvre qui constituait pour lui son apothéose.

Il fit tant et si bien qu'il se sentit totalement, irrémédiablement, partie prenante de ce tableau. Il était enfin en capacité de lui démontrer son amour, sa fusion avec elle. Il en fut tant bouleversé qu'il perdit pied dans cette œuvre, véritable point d'orgue de sa passion dévorante.

Il venait tout juste de donner les dernières touches à ce nageur qui se donnait corps et âme à son amour pour la rivière quand celle-ci l'engloutit d'une traîtresse embrassade. Il se noya sans espoir d'être sauvé tandis que tout le tableau disparut avec lui.

En cet ultime instant, il venait de réaliser son rêve. C'est le sourire aux lèvres qu'il se donna à cet effacement merveilleux. Plus personne n'entendit plus jamais parler de lui ni ne retrouva ce qu'il avait jadis créé pour exprimer sa folle passion.


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12 réactions à cet article    


  • juluch juluch 16 février 23:29

    Au moins il était pas amoureux de son reflet...

    Mythologiquement votre !!!



    • babelouest babelouest 17 février 06:07

      Ah la Loire, belle alanguie parmi ses bancs de sable, couches secrètes de boudoirs tamisés.....

      Pourquoi faut-il qu’un petit vaurien nommé Loir, myope comme une taupe sans doute, lui apporte de façon lancinante ses liqueurs encanaillées ?

      Faut-il de temps en temps qu’emportée de passion,

      La belle s’enhardisse à déborder son lit

      Et comme petite Sèvre élargisse son cours

      Pour étreindre les champs tout au long de longs jours.....

      Par ici, autrefois on appelait cela les évaïes, et c’était tous les ans.

      https://i53.servimg.com/u/f53/11/40/28/12/evazce10.jpg

      (depuis, avec les aménagements et barrages, c’est bien moins fréquent)


      • babelouest babelouest 17 février 06:15

        @babelouest extrait de l’autobiographie

        Les « évaïes »

        Chaque année autrefois, au cœur de l’hiver, les eaux petit à petit se pressaient au cœur du bassin versant de la Sèvre Niortaise. Alors, et chacun en avait l’habitude, les terres du Marais, les plus basses, étaient envahies et recouvertes par une étendue liquide à perte de vue. C’étaient « les évaïes », les crues. C’est pourquoi les rares cabanes de jardin en plein marais étaient bâties sur pilotis, à presque deux mètres du sol. Seuls les rangs de peupliers apparaissaient encore et montaient la garde.

        Un jour, alors que le gamin avait une dizaine d’années, son père lui proposa de l’emmener en pleines évaïes, pour une raison quelconque. Il avait emprunté le « batai » d’un voisin, car lui n’en possédait pas. Ils partirent ainsi du port, où les barques affleuraient le quai au lieu qu’il faille y descendre.

        Le père maniait la « palle », une simple rame avec le bout du manche en T, car pour la « pigouille », longue perche avec un V de métal au bout pour s’accrocher au fond à travers la vase, c’était alors trop profond.

        Il devait bien y avoir deux mètres d’eau au-dessus du sol. Les buissons avaient disparu sous l’étendue liquide. Les séparations de barbelés également. Bien entendu, tous les animaux de ferme, qui habituellement y paissaient pendant les deux tiers de l’année, avaient été rentrés depuis longtemps (ce qui n’était pas toujours facile). Au moins les gardians, eux, ont des chevaux ! Ah les essoufflements, parfois, sous les reproches parce qu’on a laissé filer une vache dans une entrée de pré ouverte, et que l’on n’a vue que trop tard... il ne restait plus qu’à réussir à la dépasser d’assez loin, pour éviter de la voir accélérer, et la rabattre vers le reste du troupeau.

        Ils glissaient lentement. Avec tous les peupliers qui délimitaient les parcelles de terre, et les frênes têtards qui dépassaient un peu du liquide, au fur et à mesure de l’avancée se constituait petit à petit un écran, bien qu’il n’y eût pas de feuilles. Les sons s’estompaient. Régnait un grand silence. Parfois un aboiement de chien, au loin, si loin, rappelait que la vie était là, mais simplement endormie en vue d’une résurrection magnifique au printemps. Ce fut un voyage majestueux, dans un univers quasi onirique, paisible, bouleversant de simplicité.


      • C'est Nabum C’est Nabum 17 février 06:53

        @babelouest

        Le Loir fut mon terrain de jeu

        https://www.youtube.com/watch?v=I09Dj2XBMQs&t=36s


      • C'est Nabum C’est Nabum 17 février 06:54

        @babelouest

        Que c’est beau

        Il y a moyen d’écrire un conte si vous le permettez


      • babelouest babelouest 17 février 07:47

        @C’est Nabum
        Bien sûr !


      • C'est Nabum C’est Nabum 17 février 13:00

        @babelouest

        Je vais m’y atteler


      • C'est Nabum C’est Nabum 17 février 16:57

        @babelouest

        Il me manque le prénom du gamin

        Vous pouvez faire des corrections. Je n’ai fait qu’ajouter ici ou là

        Les crues du marais

        Les « évaïes »



        Enfant, il attendait avec impatience l’arrivée dans l’hiver. Conne chaque année les eaux petit à petit se pressaient au cœur du bassin versant de la Sèvre Niortaise se répandant et prenant toutes leurs aises dans les terres du Marais. Les terres les plus basses, étaient alors merveilleusement envahies pour finir par être recouvertes par une étendue liquide à perte de vue.


        Il avait toujours entendu les anciens nommés ces crues magnifiques les « les évaïes », un terme qui leur donnait encore plus de mystère et de magie pour le gamin qu’il était. Sdon père lui avait expliqué que c’est à cause d’elles que les rares cabanes de jardin en plein marais étaient bâties sur pilotis, à presque deux mètres du sol. Elles avaient une drôle d’allure si hautes et pourtant si fragiles qu’il craignait de s’y aventurer.


        Dans ce royaume des eaux dormantes, seuls les rangs de peupliers apparaissaient encore et montaient la garde. C’est eux qui lui donnaient le courage d’aller affronter ce monde transfiguré par l’intrusion des eaux. C’est ainsi qu’un jour, alors qu’il avait tout juste une dizaine d’années, son père lui proposa de l’emmener en pleines évaïes, pour une raison dont le souvenir leur échappa totalement.


        Tous deux avaient emprunté le « batai » comme disait ce voisin qui leur prêta volontiers sa petite embarcation. Ils partirent ainsi du port, où les barques affleuraient le quai alors qu’en temps ordinaire il faillait y descendre pour gagner le niveau de la Sèvre.. Son père, bien qu’il ne possédât pas barque maniait la « palle » : une simple rame avec le bout du manche en T avec une réelle habilité qui provoquait la fierté de son rejeton. Il évitait par contre d’utiliser la « pigouille », longue perche avec un V de métal au bout avec laquelle il risquait dort s’accrocher au fond à travers la vase !


        Ce jour-là, il devait bien y avoir deux mètres d’eau au-dessus du sol. Les buissons avaient disparu sous l’étendue liquide. Les séparations de barbelés également. Bien entendu, tous les animaux de ferme, qui habituellement y paissaient pendant les deux tiers de l’année, avaient été rentrés depuis longtemps (ce qui n’était pas du être facile pour les éleveurs du secteur). Dans ce décor fantomatique, l’enfant éprouvait une joie immense.


        Il songeait à la Camargue en pensant que les gardians, eux, avaient des chevaux ! Chez lui , ce sont les vaches qui vivent habituellement dans cet écrin de verdure. L’été, il n’était pas rare qu’il doive courir après une bête ou parfois subir de vertes reproches parce qu’il avait laissé filer une vache dans une entrée de pré ouverte Dans pareil cas, il ne restait plus qu’à réussir à la dépasser d’assez loin, pour éviter de la voir accélérer afin de parvenir à la rabattre vers le reste du troupeau.


        La barque glissait lentement sur les flots. Son père était son héros tandis que lui, gravait à jamais ces instants inoubliables. Bien des années plus tard, devenu adulte, il revoyait encore tous les peupliers qui délimitaient les parcelles de terre, et les frênes têtards qui dépassaient un peu du liquide, au fur et à mesure de l’avancée du petit bateau. Les arbustes formaient petit à petit un écran, bien qu’il n’y eût pas de feuilles. Les sons s’estompaient. Régnait un grand silence. Parfois un aboiement de chien, au loin, si loin, lui rappelait que la vie était là, mais simplement endormie en vue d’une résurrection magnifique au printemps.


        Ce fut un voyage majestueux, dans un univers quasi onirique, paisible, bouleversant de simplicité.


        @babelouest extrait de l’autobiographie


        [email protected]



      • babelouest babelouest 18 février 03:40

        Bravo, @C’est Nabum
        Le gamin s’appelait Jean-Claude (à l’époque, des Jean-quelque chose, il y en avait à la pelle puisque c’était la génération des post-guerres)
        Non, là ce n’était pas la Sèvre, elle passait à quelque cinq kilomètres, mais la Rigole de Rimombœuf. En raison de l’évaïe, la Rigole, les biefs, les conches, tout ce fouillis de fossés de différentes largeurs se confondait en une plaine liquide.
        On peut retrouver cette ambiance, dans un livre qu’avait créé et édité un ami, et qu’on trouve encore bien qu’il date de 1979.
        https://www.amazon.fr/Gens-bord-S%C3%A8vre-certain-poitevin/dp/B0014LQ7P6
        La seule chose qu’on ne retrouvera pas, c’est ce silence feutré si caractéristique de ces périodes annuelles.


      • babelouest babelouest 18 février 03:42

        @C’est Nabum
        Oui, il y a quelques coquilles, il va me falloir les mettre en évidence.....


      • C'est Nabum C’est Nabum 18 février 07:32

        @babelouest

        Merci

        Les anodontes se glissent aussi dans le marais

        Grand merci à vous

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