Oui, le compteur tourne pour tout le monde, mais pour certains, il tourne en tarif de nuit. Et le ticket de l’addition ne demande qu’à sortir du compteur. Il y a donc urgence à écouter le dernier Russell, même si ce dernier n’est pas tout à fait du niveau de "Soldier", "Dream of the dog" ou du live "Crossroads".
Pour ceux qui ne connaîtraient pas, C. Russell est du monde de la route, la vraie, la rectiligne et longue comme les jours sans pain. La route bordée de cactus, que seuls quelques crotales traversent sans regarder. La route de Cormac Mc Carthy. Le monde du fuel lourd des jours blêmes et des alcools trompeurs. L’ordinaire des jours et les nuits hallucinées.
Né en 1948 au pays des derricks, des crotales et des grosses bagnoles (Austin, Texas), les starting-blocks de la vie l’ont propulsé dans le carré des perdants. De la dynastie des J.R, il n’a gardé que le chapeau. Famille de 9 enfants dont les parents tiennent un snack. Alcool, drogue, music rock/ country, puis dix ans de prison. Années d’errances et de vagabondages dont émergera l’album " A crack in time", et surtout "Soldier", qui eu bizarrement un succès plus important en Europe qu’aux USA (en France en particulier, grâce à Patrick Mathé). Le texan tatoué à chapeau débarque plusieurs fois à Paris, Crocodile dundee qui fait frémir les moiteurs des bourgeoises du 16eme. Parfois, son taux d’alcoolémie sur scène frise le retrait immédiat de guitare par les forces de l’ordre moral. Mais même à 50% de ses moyens, le bougre impressionne encore.
Il "envoie" en pureté et en simplicité, pas dans la fureur et dans le bruit. Une émotion simple, qui évoque "the ghost of Tom Joad" , presque mieux que ne l’a fait le Boss Springsteen lui-même. Une voix reconnaissable entre toutes dès les premières paroles, comme seuls sans doute Springsteen, Jo Cocker ( et Bashung en France) ont pu le faire avant lui. Vagabond dont la voix racle le fond des choses, Calvin Russell fait de la chanson à risque. Du blues, du vrai. Pas de la bluette. On ne le verra pas à la Télé, celui-là. Dormez tranquilles, bonnes gens.
Alors que de nouveaux ennuis se sont abattus sur le "tramp" génial ( une révocation de sursis suite à une sombre affaire de drogue trouvée dans sa voiture par le Sheriff du coin) , les trois dates prévues en France à l’automne pour la sortie du dernier album sont peut être compromises. Le vagabond est assigné à résidence ( un comble), sous contrôle judiciaire.
Tant pis, on l’écoutera au casque.
Calvin Russell y chantera la tristesse d’être là, la noirceur simple et aveuglante de la vie, le Diable, la rencontre attendue et sans cesse différée avec le grand horloger. Mais aussi des lueurs qui traversent brièvement tout cela. Il chante la vie duraille, la vie durant, la vie quand même.
Ce sont des chansons pour les gens. Des "Folk songs", comme on dit au Texas.
Calvin n’est pas protestant de métier. Les "protest songs", ce sera sans lui. Il ne la ramène pas, il chante sans y croire, il chante pour chanter et pour faire gémir la seule compagne qui vaille
( dit-il) : ses guitares. La vie lui a mis une bonne trempe, et il est devenu
tramp[i]. Tramp de luxe. Le luxe, c’est dans la tête, on vous dit.
Parti de zéro, il n’est arrivé à rien.
Enfin, si. Il chante et on l’écoute. A Paris, au Texas, à Ostende.
Il chante tranquillement que la vie ne vaut rien, mais que rien ne vaut la vie.
Et nous, les gens, on écoute le Monsieur tout cabossé.
[i] Tramp : en anglais, "vagabond".
Notes :
1 : Dernier album : "Dawg eat dawg" 2009 , chez XIII Bis Record.
2 : Lien vers une interview de Calvin Russell parlant de ses guitares :
3 : Pour les plus jeunes d’entre nous, et pour rafraîchir la mémoire, lien vers "Soldier"en live (1992)