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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > La littérature, quel avenir ?

La littérature, quel avenir ?

Je vous avais entretenu précédemment de l’avenir de la poésie, ne dissimulant pas mon anxiété à son sujet, si, cédant à la tentation de l’inintelligible, elle se réduisait à n’être qu’un fruit sec, dépourvu de suc, de goût et d’arôme et si, à force d’épure, elle se contentait de n’être que l’amorce de sa propre caricature ; alors, vous disais-je, oui nous pouvions craindre que la poésie ne soit en train de sombrer, sous la dictée de l’inconscient, dans une irrémédiable décadence. Aujourd’hui, je vous propose la même réflexion à propos de la littérature. Quelle place tient-elle dans notre culture et, à la lumière de son passé, qu’en est-il de son avenir ?

La raison d’être de la littérature est d’exprimer l’homme, ses rêves, ses aspirations, sa réalité tout entière. Aussi est-elle au premier chef un témoignage. De La chanson de Roland à Alain Robbe-Grillet elle n’a cessé de témoigner de la grandeur et de l’absurdité des choses, de la fidélité à l’engagement et du désarroi de la culpabilité. Elle est en elle-même un fait vivant, mouvant, remuant et cette vitalité, qui l’anime, n’a d’autre cause que la validité qu’ont les idées à exercer dans les livres une forme de radioactivité. Cela tient également aux auteurs qui ont eu pour objectif d’imprimer à leurs écrits leur force de persuasion et le rayonnement spirituel de leur temps. Ce sont ceux que Maurice Barrès nomme les bienfaiteurs. Sans leur contribution, la pensée et l’art ne bénéficieraient pas du même éclat et notre civilisation du même retentissement. Que serait, en effet, la poésie française sans Villon et Baudelaire, la pensée moderne sans Descartes ? Il y a, d’une part, les hommes et autour d’eux, une époque qu’ils inspirent ou subissent ; d’autre part, les lieux d’influences : les chambres des dames, les cours d’amour, les étapes de pèlerinage, la maison des princes, les champs de bataille, les salons, les cafés, les académies. Et, par-dessus, l’esprit du siècle, s’il est grand. La Renaissance fera Ronsard, le XVIIe Racine, Molière et Bossuet, le XVIIIe Voltaire et Diderot, le XIXe les Romantiques, le XXe Valéry, Proust, Camus et le XXIe ?

Entre ces créateurs et ces créatures, à la fois miroir de la vie, tableau de l’esprit et histoire des hommes, la littérature est à elle seule un monde dans sa pluralité, sa longue coulée ininterrompue. Mais à quel prix ? Rappelons-nous l’autorité, les superstitions, l’injustice, l’esprit de revanche, la routine, la police des moeurs qui n’ont cessé de l’opprimer et de ralentir sa progression. Rutebeuf était un gueux aux pieds nus, Villon se lamentait au fond d’un cachot, Montaigne et Rabelais étaient contraints à des précautions pour ne pas avoir maille à partir avec la Sorbonne et l’Inquisition. Tel est, de siècle en siècle, le prix du talent et de la foi en ses idées qui peuvent, de par leur audace ou leur modernité, heurter momentanément l’opinion publique pour la raison qu’il la devance dans ses voeux et l’ébranle dans ses assises.

De nos jours, la critique aime à parler de crise et elle n’a pas tort. Il est évident que le monde l’est en permanence. Et la littérature ne peut y échapper, dans la mesure où elle est l’une des fleurs de la conscience humaine. Au point que le roman s’interroge aujourd’hui sur ses moyens et sur ses fins et que le mélange des genres crée une confusion regrettable, du simple fait que les auteurs se réclament d’une sincérité et d’une vérité qu’ils se refusent à reconnaître dans d’autres miroirs que les leurs. Ici on emprunte au poète, là au philosophe, ailleurs à l’homme de cinéma, voire au peintre abstrait. Le théâtre, lui-même, se cherche entre le film et la tragédie, le travail de laboratoire et le grand jeu populaire, tandis que la critique, au-delà de l’appréciation des formes, tente de définir la nature du langage et les catégories permanentes de l’esprit humain.

Heureusement une crise ne signifie pas nécessairement un appauvrissement... Même si la littérature doit traverser une période de défaveur et le roman céder une part de sa place, le fait littéraire perdure. Lui qui est l’instrument de conservation et d’accroissement par excellence du capital humain. N’est-ce pas un nouvel homme qui prend lentement conscience de lui-même et, ce, au prix d’une inévitable mutation et de réels traumatismes. Car à la crise politique s’est jointe une crise morale : les bouleversements de la logique et des mathématiques n’ont-ils pas suggéré une autre idée de la raison ; ceux de la psychologie et de la psychanalyse une autre idée de la conscience, ceux des sciences physiques et des techniques une autre idée de la puissance ? Enfin le travail des explorateurs a précisé à l’homme sa place sur l’échiquier du monde et celui des grands humanistes une idée plus complète et plus riche de sa diversité ethnique. Dans n’importe quel pays, désormais, un écrivain sait ce qu’il doit à Shakespeare et Montaigne, Goethe et Pascal, Nietzsche et Dostoiëvski, Poe et Faulkner, Cervantès et Dante dans sa formation personnelle, le jeu de ses influences et l’écho qu’il entend donner à son oeuvre.

Si la littérature se refuse à tomber dans les pièges de la sous-culture et du néant, si elle garde la foi en sa vocation de tenir le juste équilibre entre les extrêmes, le rêve et le réel, le chimérique et le possible, équilibre certes provisoire, mais qu’elle a su conserver à travers tant d’épreuves, d’échecs et de fractures, l’espoir demeure qu’elle maintienne sa permanence dans le temps, tout en accompagnant l’esprit dans sa marche et l’homme dans son inquiétude.


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10 réactions à cet article    


  • Armelle Barguillet Hauteloire Armelle Barguillet Hauteloire 26 avril 2008 12:33

    Veuillez excuser deux fautes d’accord qui m’ont échappées : il faut lire à la fin du 3e paragraphe : "...et la foi en ses idées" qui m’oblige à accorder au pluriel les verbes devancer et ébranler qui suivent une ligne plus bas.


    • Rosemarie Fanfan1204 26 avril 2008 16:31

      Pourtant il n’y a jamais eu autant de livres publiés.... D’inégale qualité bien sûr mais il reste de très bons écrivains, le tout est de les trouver.

      La littérature a changé, elle a évolué au cours des qq siècles passés et ne sera plus pareil, il faut s’y résoudre.


      • stephanemot stephanemot 27 avril 2008 11:13

        la multiplication des écrits vains est justement un signe de la crise.

        la littérature francophone se porte relativement bien, et au Quebec par exemple de tres nombreuses revues de qualite voient le jour.

        mais en France, c’est l’appauvrissement total depuis la vague de concentration de ces dernières années - des collections entières ont disparu alors qu’elles étaient essentielles au renouvellement des formes et des idées, et les locomotives / best sellers actuels ne résisteront pas à l’oeuvre du temps.

        cela va bien plus loin que l’évolution numérique de l’édition, commune à tous les pays et susceptible d’apporter du nouveau en bien comme en moins bien.


      • la fee viviane 27 avril 2008 18:39

        Il en va de la litterature comme des autres arts, nous somme bien mal parti et encore pour cinq ans en France. Connaissez vous le nom et le visage du ou de la ministre de la culture actuel ? Cette terrible lacune et l’envie de notre cher président si cultivé (casse-toi pauvre con !!) de déstabiliser les chaines du seul groupe qui innove en terme de culture france télévision, en dit long sur l’interêt pour les autres arts, comme les théâtres de rue ou les petites salles !! Si vous passez dans le Var cet été, faites donc un tour au théatre de Gassière à Cotignac, un charmant village de la provence verte. Les deux animateurs acteurs de cette petite structure perdue en pleine nature (théâtre de verdure), la compagnie Triade, valent déjà le détour, des acteurs hors du commun, on oublie très vite qu’ils sont dans le troisième âge car leurs esprits sont déjà immortels !!


        • jack mandon jack mandon 28 avril 2008 11:18

           

          Avant l’écriture, pendant des millénaires, les hommes communiquaient, la culture existait malgré l’absence de ce mode d’échange.

          La mémoire collective était un moyen efficace de conserver et de transmettre.

          Depuis la réforme, le retour au texte, l’histoire a pris l’habitude de privilégier les documents écrits...quel usage en faisons nous ?

          Sur ce site par exemple, modèle réduit de notre monde moderne, bien ou mal écrire, n’apporte rien de plus à la qualité de la communication.

          La tour de Babel n’est pas un mythe.

          Armelle vous aimez les jolis textes mais il existe de belles âmes qui se taisent, se font entendre cependant et remplissent l’espace de leur présence discrète.


        • Armelle Barguillet Hauteloire Armelle Barguillet Hauteloire 28 avril 2008 13:04

          Cher Jack, la question qui introduit mon article, n’est pas de savoir s’il y a de belles âmes qui se taisent, cela est certain, il y en a même de belles et de très cultivées dans les monastères, mais s’il y a encore un avenir pour la littérature. La littérature étant un art comme la musique, la peinture et l’architecture, mieux vaut, lorsque l’on désire l’exercer, le faire avec talent, "car ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire vous viennent plus aisément ". Je trouve que la communication actuelle est souvent entravée par une lisibilité confuse et brouillonne, et c’est l’un des reproches que j’adresse à certains médias. Un mot imprécis et plus rien n’est vrai...

          Quant aux hommes, dès qu’ils commencèrent à évoluer, ils eurent recours aux signes gravés dans la pierre. Les fresques de Lascaut ne sont autres qu’une forme d’écriture, il y eut aussi les hiéroglyphes, tant il est vrai que l’homme pensant a tout de suite voulu laisser aux générations futures la trace de sa pensée. Les grandes civilisations se sont bâties sur l’exercice du langage. On dit des langues européennes ou asiatiques que ce sont des langues civilisatrices. Elles ont permis à ces cultures de rayonner de par le monde et d’aider l’homme à se construire et à se parfaire. C’est ainsi que la disparition d’une langue ( en même temps que de son support l’écriture ) correspond à la disparition de la civilisation qu’elle illustre. Le mauvais français que l’on se plaît à utiliser aujourd’hui ( à l’oral comme à l’écrit ) traduit bien notre état de décadence.

           


          • jack mandon jack mandon 30 avril 2008 06:16

             

            @ Chère Armelle

             

             

            C’était un jeu de ma part. Je faisais allusion au fait que les moyens d’expression n’empêchent pas les humains de ne pas communiquer.

            Nous en faisons l’expérience, vous et moi sur ce site, ou les sujets se polarisent sur l’économie et la politique...dans des formes un peu « hard »

            Au demeurant, je crois que toute forme d’art traverse le temps et l’espace et reste le plus subtile moyen d’expression. Mais la forme qu’elle prend est tout à fait imprévisible comme la destinée humaine.

             

            Jack


          • jack mandon jack mandon 30 avril 2008 06:22

            @ ma voisine d’infortune

             

            Que pensez vous de l’article sur Camille et Auguste, faites moi une critique objective, technique, artistique

            comme vous savez bien le faire.

            Merci

            Jack


          • renaudparis 2 mai 2008 23:25

            La littérature, quel avenir ?

            Armelle, en toute amitié, j’ai du mal à trouver du fond et des arguments dans votre article. Je ne m’explique pas ce pessimisme, ni ces références très classique, voire surannées (ce qui, par ailleurs, n’enlève rien à leur valeur).

            Ne le prenez pas mal mais votre article teinté de nostalgie n’invite ni à la réflexion, ni à aller de l’avant. On a le sentiment très fort d’une variation sur thème "tout fout le camp".

            Pourtant, il me semble que tout temps ont coexisté deux littératures : une pour se divertir et une autre que je suis bien peine de décrire mais qui parle à l’"intelligence" sous toutes ses formes et qui explore le monde, les sentiments, la psychologie, l’histoire, l’actualité... sur un mode plus ou moins artistique suivant le procédé narratif. Or dans la description que vous faites, la première forme, apparemment inédite, se substituerait à la seconde, indice évident d’une société décadente.

            Et bien, sans être historien de la littérature, je crois que cette vision est erronée.

            L’Homme est ce qu’il est et depuis bien longtemps. Il y a eu, il y a et il y aura toujours des artistes. Chaque jour il naît des écrivains. Et la littérature de divertissement n’est pas une invention moderne non plus. Simplement, cette littérature n’est pas passée à la postérité car ce n’est pas celle que l’on enseigne - et c’est heureux !

            Pour ma part, d’après ce que je peux lire sur les blogs, j’ai le sentiment que nous vivons une époque richesse incroyable et inédite, et entre autre du point vue de la littérature, grâce à l’Internet. D’Alembert, Diderot, Voltaire,... mais aussi tous les écrivains, les romantiques, les surréalistes, les nouveaux romanciers,... doivent crever de jalousie. Nous allons découvrir qu’il existe des dizaines, des centaines de milliers de Diderot, de Voltaire,... de Robbe-Grillet qui auparavant vivaient dans l’anonymat.

            Nous allons également découvrir - et peut-être de manière éclatante - que le talent, le génie n’est ni dans l’orthographe, ni dans la conjugaison - mais beaucoup d’entre nous et vous-même le savaient déjà.

            Le corollaire de cela, c’est aussi que nous porterons un autre regard sur ceux qui, en tout domaine, invoquent l’autorité ou l’institution pour se prévaloir de leur talent ou de leur expertise, "ceux qui font profession d’enseigner plus qu’ils ne savent" comme le disait bien le bon et humble Descartes.

            Je ne prendrais qu’une idée, Armelle, et vous laisse la déplier, l’explorer - sur Internet bien sûr : "la longue traîne" (the long tail).

            Bien à vous.

            (J’anime un petit et humble blog pleins de fautes : www.attrape-coeurs.fr.)


            • Armelle Barguillet Hauteloire Armelle Barguillet Hauteloire 3 mai 2008 19:56

              Vous avez dû oublier de lire le dernier paragraphe de mon article qui n’est en rien pessimiste. Il s’agit pour la littérature d’éviter le piège de la sous-culture, ce qui est le danger d’une société décadente et la nôtre l’est. A moins de faire l’autruche, l’Occident tout entier est guetté par la décadence. Les civilisations sont mortelles, hélas ! comme les étoiles. Elles brillent un moment puis s’éteignent. Ce fut le cas de nombreuses civilisations, dont les civilisations égyptienne, grecque et romaine, pour ne citer que les plus connues. Elles ont eu le mérite de nous laisser de beaux vestiges. Il y eut aussi les civilisations précolombiennes qui nous ont légué d’émouvants mystères. Ainsi va le monde depuis sa création ... et ce n’est pas être pessimiste de le dire.

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