« Lust, Caution » d’Ang Lee : La Fleur de Shangai
Lion d’or à la Mostra de Venise cette année, Ang Lee, installé depuis plus de vingt ans aux Etats-Unis, revient chez lui en Chine réaliser une histoire d’amour inscrite sur une page d’Histoire jamais racontée au cinéma : l’occupation japonaise de la Chine avant le communisme. Sortie en salles le 16 janvier.
Dans le salon d’une maison bourgeoise du quartier résidentiel anglophone de Nanjing Road, quatre ravissantes dames, chics et sophistiquées, font une partie de mah-jong. L’une d’elle, Mme Mak, prétexte soudain une course urgente et quitte brusquement le jeu. Elle gagne fébrilement un café à la limite du quartier populaire chinois et téléphone à un homme où l’on comprend qu’elle donne le top départ d’une opération commando. En 1942, une grande partie de la Chine est envahie par le Japon. Dans un Shangai cosmopolite, capitale économique de la Chine, où se sont réfugiés des immigrés et des Chinois d’autres régions, on trouve pas moins de six langues parlées dont le shangaiais, le cantonais, le mandarin, l’anglais, le japonais, l’arabe.
Quatre ans auparavant, sous le nom de Wong Chia Chi, Mme Mak était
une jeune étudiante partie s’installer à Hong Kong qui sera occupé
bien plus tard par les Japonais (en 1941). A l’occasion d’un cours de
théâtre à l’université, Wong se lie à un groupe d’étudiants menés par
le beau Kuang Yu Min. Le groupe très politisé entraîne la jeune Wong
avec eux dans la résistance avec le projet d’assassiner M. Yee, un chef
des services secrets du gouvernement nationaliste chinois*** qui collabore avec les Japonais. Car Wong a une qualité
propre à servir leur grand projet : son talent d’actrice pour séduire
M. Yee en se faisant passer pour une épouse délaissée par son mari,
Mme Mak. Mais le ménage Yee retourne précipitamment à Shangai,
faisant échouer le projet...
En 1941, soit, trois ans plus tard, Hong Kong envahi à son tour, Wong
Chia Chi retourne alors à Shangai où elle vit quelques temps chez sa
tante jusqu’à ce que le beau Kuang Yu Min la retrouve, devenu un des
chefs de la résistance, et lui demande de reprendre l’opération contre
M. Yee.
***(après des années de guerre entre les nationalistes et les
communistes, la République populaire de Chine sera proclamée en 1949.)
Dès le départ, les relations entre Wong/Mme Mak et M. Yee vont être
nettement plus passionnelles que prévu. Dans la première partie du
film, bien avant les quelques scènes sexuelles extrêmement visuelles et
explicites de la seconde partie du film (rarement vues au cinéma à ce
degré et surtout des scènes aussi longues ne faisant pas impasse sur la
violence de la sexualité), une électricité à haute tension passe entre
les deux personnages. La visite à Hong Kong de M. Yee chez le tailleur
de Mme Mak qu’il accompagne est un sommet de tension érotique, comme
elle essaye une robe dans une cabine en commentant qu’elle la trouve un
peu serrée, sur le point de se changer, M. Yee, assis sur un tabouret
de la boutique, submergé par un désir violent, assène un rauque
"gardez-la !"
Le personnage de Wong est émouvant à plus d’un titre. Depuis le début du
récit, Wong attend que son père veuf l’appelle le rejoindre à Londres
où il a emmené son frère. Tout le long du film, Wong feint de croire à
ces possibles retrouvailles. On la voit écrire une lettre de
félicitations à son père qui annonce son remariage. Attirée par Kuang
qui, le nez sur le guidon de la politique, ne la voit pas, elle va se
réfugier dans une mission palliant le vide de son existence. Aspirante
actrice à l’université, férue de cinéma (Wong va voir Soupçons dans
une salle de cinéma), Wong n’aura finalement que ce seul rôle, le rôle
de sa vie, celui de Mme Mak.
Comme l’a dit le scénariste, pour incarner l’héroïne, il fallait
trouver une jeune femme talentueuse et courageuse, capable
émotionnellement de supporter le poids du rôle, un peu comme Maria
Schneider dans Le Dernier Tango à Paris. Car les relations entre
Mme Mak/Wong et M. Yee ont une parenté avec celles de Maria
Schneider et Marlon Brando... Persuadé d’être un monstre capable de
dénoncer sa famille pour son travail, spécialisé dans les
interrogatoires avec tortures, M. Yee va humilier physiquement Wong qui
va en retour se donner entièrement à lui, presque innocemment, au-delà
de ses espérances. Marché de dupes où M. Yee se croit protégé par son
incapacité à aimer et Wong possède l’alibi de servir le réseau de résistance. Wong a une très jolie phrase en disant
au chef de la résistance que, pour la démasquer, M. Yee voudra un jour
pénétrer aussi son cœur et pas seulement son corps. Et ce qui fera
craquer la carapace de Wong et M. Yee, s’avouer in extremis et
tacitement leur amour, n’est pas le sexe si torride soit-il entre eux,
mais un épisode d’un romantisme absolu où l’un des deux n’en réchappera
pas et tous les deux le savent.
Tout est sublime dans ce film, osons le mot ! Dès la première
image, on est immergé dans la beauté pure des images, l’ambiance du
Shangai des années 40, plus tard, l’insouciance de Hong Kong libre
(lumières plus claires, plus transparentes), puis la pauvreté extrême
de l’exode, de l’occupation, la reconstitution est impressionnante.
Film noir, film politique, film rouge passion, histoire d’amour
universelle, c’est le genre de film rarissime avec la qualité du film
d’auteur au service du grand public, la haute couture pour un film
promis à un carton commercial presque malgré lui ! Pour les coquettes,
les tenues des dames dont celles de Mme Mak et Mme Yee sont à
tomber, le satin des robes à col montant, les talons hauts, les grandes
pochettes sous le bras, la démarche semi-ondulante, les ongles carminés
pour jouer au mah-jong, les lèvres rouge baiser, les petits chapeaux
soulignant le regard, un enchantement de plus... Dans le rôle de Wong,
une bouleversante inconnue (Tang Wei) qui ne devrait pas le rester,
dans celui de M. Yee, un Tony Leung assez génial dans un emploi de
méchant, enfin, pour interpréter le beau Kuang, Ang Lee a engagé Wang
Leehom, une star de la musique pop en Asie.
Je le dis en toute sincérité, en sortant de la salle, j’ai regardé ma montre et le film avait duré 2 h 40 sans que je m’en rende compte... J’avais également complètement oublié que ce film a obtenu le Lion d’or à Venise cette année et tant mieux, ça m’aurait sans doute influencée avec une volonté inconsciente de chercher le génie, du pitch, je ne savais rien non plus, voilà les conditions idéales pour essayer d’avoir une idée perso sur un film... Je me demande bien quel défaut on pourra trouver à ce film, sauf peut-être l’ultime fin un petit peu expédiée par rapport au reste, qu’on aurait sans doute pu améliorer dans le scénario, mais on chipote... Le film est tiré d’une nouvelle d’une romancière très célèbre en Chine Lust caution, amour, luxure, trahison d’Eileen Chang (existe traduit en français aux éditions Laffont).
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